Paris, France — Malgré des progrès évidents dans la lutte contre les infections nosocomiales, les dernières données montrent une hausse en 2020 de certaines résistances bactériennes aux antibiotiques dans les établissements de santé français, tandis que d’autres continuent de régresser. Comment interpréter ces résultats ? Quelles sont les marges de manœuvre encore disponibles dans le contrôle de la diffusion des germes résistants en structure de soins ? Nous avons demandé l’avis du Dr Pierre Parneix, président de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H).
En une vingtaine d’années, la proportion de souches de Staphylococcus aureus résistantes à la méticilline (SARM) détectées en milieu hospitalier a diminué de plus de la moitié, preuve des progrès majeurs obtenus dans la lutte contre les infections résistantes aux antibiotiques.
Selon le dernier bilan de la mission nationale de Surveillance et prévention de l'antibiorésistance en établissement de santé (Spares), la proportion de SARM est de 14% en 2020 [1], contre plus de 30% dans les années 2000.
En revanche, le bilan est moins concluant du côté des entérobactéries productrices de bêta-lactamases à spectre étendu (BLSE), une autre catégorie majoritaire de bactéries multirésistantes (BMR), dont l’émergence est plus récente. La prévalence repart à la hausse pour atteindre 8,3%. Concernant les entérobactéries productrices de carbapénémase (EPC), des bactéries hautement résistantes (BHR) qui focalisent désormais toute l’attention, le taux est de 0,2%.
Consommation d’antibiotiques stabilisée
S’agissant de la consommation d’antibiotiques en établissement de santé, « l’année 2020 est marquée par une stabilisation de la consommation globale, après une période de réduction ces dernières années », notent les auteurs du bilan. La part d’antibiotiques à large spectre à 35% en 2020 est toutefois en hausse, surtout en réanimation, en raison d’un traitement probabiliste plus systématique des surinfections bactériennes liées au SARS-CoV-2 en début d’épidémie de Covid-19.
Selon les auteurs, la prise en charge des patients atteints de Covid-19 serait en cause dans la hausse des résistances bactériennes. « La densité plus élevée d’infection à EBLSE et EPC pourrait être liée aux caractéristiques des patients pris en charge (séjours prolongés, notamment en réanimation, traitements par corticoïdes) et à la densité d’utilisation plus élevée en 2020 d’antibiotiques à large spectre ».
Pour le Dr Parneix, l’épidémie pourrait à l’inverse contribuer à améliorer la lutte contre l’antibiorésistance et les infections nosocomiales, en attirant l’attention sur la nécessité de prévenir le risque infectieux. A condition d’avoir les moyens humains et les financements suffisants, a rappelé le président de la SF2H. Entretien.
Medscape édition française : Les données SPARES de 2020 montrent que l’incidence des SARM continue d’être en baisse dans les hôpitaux, tandis que les EBLSE repartent à la hausse. Comment expliquer ces différences?
Dr Pierre Parneix: Globalement, on a depuis longtemps des évolutions contraires pour ces deux types de bactéries. Concernant les SARM, on revient de loin puisque la France présentait des taux extrêmement élevés en milieu hospitalier. En 20 ans, l’incidence de ces germes, qui se trouvent essentiellement au niveau cutané, a été divisée par quatre, en appliquant des mesures d’hygiène simples, comme le lavage systématique des mains, la mise à disposition de solutions hydro-alcoolique ou la préparation cutanée du patient avant opération.
Dans le cas des BLSE, la prévention est bien plus complexe. Les bactéries digestives sont beaucoup plus nombreuses. L’hygiène des mains ne suffit pas. Pour prévenir la dissémination des germes, il faut aussi pouvoir gérer convenablement les excretas. Or, il y avait des lacunes en France sur ce point, ce qui peut expliquer que les taux de BLSE ont été multipliés par six en milieu hospitalier entre 2002 et 2015. Des progrès dans la prévention ont ensuite conduit à une décroissance lente jusqu’en 2019, avant une nouvelle progression en 2020.
Que pensez-vous de ces nouveaux résultats concernant l’antibiorésistance en établissement de santé? Faut-il s’inquiéter de l’évolution des BLSE?
Dr Parneix: Même si l’application des mesures d’hygiène a permis une baisse drastique des SARM, les taux restent élevés en France. Il y avait beaucoup de retard dans la prévention et forcément, il faut du temps pour le rattraper. Le mauvais contrôle de la diffusion de ces germes combiné à une pression de sélection trop forte liée à un usage excessif d’antibiotiques à large spectre ont favorisé un contexte rendant les progrès plus lents. On peut aussi regretter le manque d’ambition des stratégies de dépistage des SARM, qui se limitent encore à certains secteurs, comme la chirurgie cardiaque ou orthopédique.
Pour les BLSE, la France se situe dans la moyenne des pays européens. Le contrôle de la diffusion observé à partir de 2015 avec la maitrise du péril fécal est en train, soit de stagner, soit de se dégrader. A voir l’évolution dans les années à venir. Dans le cas plus particulier des bactéries hautement résistantes (BHR), qui focalisent désormais toute l’attention, il y a également une hausse, mais la situation n’est pas explosive.
Quelles sont les marges de manœuvre encore disponibles pour améliorer le contrôle de la diffusion des germes résistants en milieu hospitalier?
Dr Parneix: Il y a encore un champ de progression important. Par exemple, la gestion des excretas a beaucoup progressé avec notamment l’utilisation de sac à usage unique pour éliminer les selles, mais elle n’est pas optimisée dans tous les centres. Du côté de l’hygiène des mains en établissement de santé, il est difficile de faire mieux. On a atteint une limite. Il faut désormais agir davantage au niveau de la population générale qui est un vecteur important de transmission de germes résistants en milieu hospitalier. Eviter les infections en population générale reste le meilleur moyen de lutter contre l’antibiorésistance. On a pu le constater pendant l’épidémie de Covid-19: la baisse des cas de grippe qui a suivi la mise en place des mesures de prévention s’est accompagnée d’une réduction de l’utilisation des antibiotiques. L’enjeu majeur est désormais de limiter les infections communautaires. Pour cela, il faut renforcer l’hygiène des mains dans la population générale.
L’adoption des règles d’hygiène pendant l’épidémie de Covid-19 a donc représenté un progrès important. Peut-on espérer un effet sur le long terme?
Dr Parneix: Il y a eu clairement une prise de conscience de l’utilité des mesures de prévention, mais le retour à la situation antérieure à l’épidémie est trop rapide. On le constate dans les supermarchés: les solutions hydroalcooliques mises à disposition à l’entrée sont en train de disparaitre et il y a un relâchement dans les comportements. La prévalence de l’hygiène de mains des clients avant l’entrée dans les supermarchés est rapidement passée de 40%, ce qui représentait un énorme progrès en un temps si court, à 10% ou moins actuellement dans les magasins encore équipés. On constate déjà une hausse des gastro-entérites depuis l’allégement des gestes barrières. En l’absence de moyens de prévention généralisés et sans effort de sensibilisation pour ancrer une prise de conscience collective, les progrès apportés par l’épidémie dans la prévention vont progressivement disparaitre.
On parle surtout d’une amélioration de l’hygiène par des modifications de comportements. Est-ce que des innovations plus technologiques sont à espérer en milieu hospitalier?
Dr Parneix: L’évolution technologique reste assez lente dans les hôpitaux. En France, on a beaucoup développé le nettoyage vapeur. La technique est efficace sur l’écologie bactérienne et a contribué à des changements de pratique. Mais, globalement, il n’y a pas d’innovation majeure à attendre en milieu hospitalier. Elles sont rares et il y a un manque d’investissement évident. Concernant l’hygiène des mains, il devrait y avoir au minimum des indicateurs permettant d’évaluer la consommation de solution hydro-alcoolique par des systèmes de distribution automatisés. On aurait ainsi un pilotage de ce moyen de prévention en temps réel.
En France, on reste sous-équipés d’un point de vue technologique. C’est pourquoi les efforts se focalisent essentiellement sur les changements de comportements, avec la mise en place de nouvelles organisations, d’objectifs d’amélioration. C’est une démarche longue, difficile et pas toujours durable, qui implique un accompagnement permanent.
Il y a aussi eu des progrès dans les techniques de diagnostic rapide des germes résistants …
Dr Parneix: Les tests de diagnostic moléculaire se sont, en effet, beaucoup développés. Les résultats peuvent être obtenus en quelques heures, ce qui permet de traiter rapidement un patient porteur de germes résistants. Ceci dit, pour mener les diagnostics, il faut des effectifs de soignants suffisants, ce qui est loin d’être le cas. Il y a certes des progrès dans le diagnostic et le suivi des patients porteurs, mais il faut des moyens humains appropriés et aussi des évolutions technologiques. Le manque d’uniformité dans les logiciels informatiques utilisés par les établissements de santé représente, par exemple, un frein dans la prévention de la diffusion des bactéries hautement résistantes (BHR) provenant de l’étranger. Les sociétés de rapatriement sanitaire doivent, en effet, informer l’Agence régionale de santé (ARS) lorsqu’une personne est rapatriée de l’étranger. Celle-ci est isolée et testée. Si elle est porteuse de BHR, l’information devrait être partagée par tous les établissements de santé du territoire par voie dématérialisée. Or, l’information ne passe pas toujours en l’absence d’uniformisation des logiciels.
On constate dans l’enquête SPARES de 2020 que le risque d’infections reste très élevé dans les services de réanimation. La surveillance et les mesures de prévention appliquées dans ces services vous semblent-elles suffisantes?
Dr Parneix: Il y a moins de diffusion massives de germes résistants dans ces secteurs, qui ont nettement amélioré le contrôle des infections, en appliquant notamment de manière rigoureuse des règles de bonne pratique. On peut considérer que ces services maitrisent bien les risques. Par exemple, le dépistage des germes résistants est effectué dès l’admission des patients, puis répété chaque semaine, les soins de bouches préventifs sont généralement respectés… Il s’agit aussi d’un secteur où le ratio soignants/patients est plutôt bien respecté, car assujetti à une norme réglementaire, ce qui permet d’avoir les effectifs suffisants pour appliquer les protocoles de soins. On ne dénombre quasiment plus d’infection sur voie veineuse centrale et les pneumopathies nosocomiales sont en baisse grâce à un recours moins fréquent à la ventilation invasive. La vulnérabilité des patients est toutefois maximale dans les services de réanimation et le risque infectieux reste incompressible, malgré les progrès en prévention.
Concernant le bon usage des antibiotiques, quelle est la situation aujourd’hui à l’hôpital? Sur quels points peut-on encore espérer des améliorations?
Dr Parneix: Le raccourcissement de la durée des traitements antibiotiques dans le respect notamment des recommandations de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) est un progrès important. L’objectif est de ne plus mettre sous antibiotiques pendant plus de sept jours. Certains établissements ont encore des difficultés à réduire les traitements, mais la situation s’est améliorée. Il faut toutefois encore faciliter l’accès à des outils d’aide à la prescription, à l’image d‘AntibioClic dédiée aux soins primaires, certaines prescription d’antibiotiques étant encore inadaptées. Chaque établissement devrait pouvoir avoir son propre outil d’aide à la prescription d’antibiotiques accessible à tous et mis à jour en permanence, notamment selon l’évolution des prévalences des infections enregistrées localement. Mais, il faut pour cela un investissement que ne font pas tous les établissements.
Pour finir, quelles sont les priorités actuellement de la Société française d’hygiène hospitalière ?
Dr Parneix: Notre principale priorité est d’avoir davantage de moyens humains et financiers dans la prévention et le contrôle des infections en milieu hospitalier. Rappelons qu’en France, on compte une infirmière pour 400 lits, contre une pour 150 lits dans la plupart des autres pays européens. Il nous faut aussi davantage de praticiens dans les établissements, à la fois pour la prévention et le traitement des infections, pour accompagner et conseiller les équipes afin de les orienter vers de bonnes pratiques. On peut espérer que la crise Covid-19, en focalisant l’attention sur l’importance la prévention du risque infectieux, va contribuer à amener davantage de qualité et d’innovations. Mais rien n’est gagné. Il faudra voir d’ici deux à trois ans si les leçons de cette crise ont été tirées.
La vocation de la SF2H est aussi de rappeler que la prévention de la transmission des germes résistants à l’hôpital se joue également hors hôpital. Il faut insister sur le respect des règles d’hygiène dans la population générale, mais aussi encourager à avoir une meilleure hygiène de vie, à se faire vacciner pour préserver un bon état de santé. C’est le meilleur moyen de réduire l’usage des antibiotiques et l’antibiorésistance.
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Citer cet article: Antibiorésistance et infections nosocomiales: « la prévention se joue aussi hors hôpital » - Medscape - 5 avr 2022.
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