Nice, France — Alors que les thérapies ciblées sont à l’origine de fréquentes hyperglycémies, le plus souvent modérées et réversibles, les immunothérapies sont responsables de rares mais sévères diabètes auto-immuns. D’apparition brutale, voire sous forme d’acidocétose, ces diabètes de type 1 apparentés nécessitent une surveillance attentive et une insulinothérapie à vie. Le point complet sur les effets diabétogènes de ces nouvelles thérapies anti-cancéreuses[1]avec le Pr André Scheen, diabétologue-endocrinologue (CHU de Liège, Belgique), interrogé par Medscape édition française au congrès de la Société francophone du diabète (22-25 mars 2022, Nice).
En quelques années, le traitement du cancer a opéré un véritable tournant. Les thérapeutiques anticancéreuses se sont multipliées et diversifiées, avec l’avènement des thérapies ciblées (inhibiteurs de la tyrosine kinase, inhibiteurs de la MAP Kinase, inhibiteurs de mTOR, inhibiteurs du Vascular Endothelial Growth Factor-VEGF), ainsi que des immunothérapies, dont les anti-checkpoint qui ciblent des récepteurs inhibiteurs présents à la surface des lymphocytes (CTLA-4, PD-1). « Un nombre croissant de patients seront donc sujets au conséquences métaboliques de ces thérapeutiques (trouble du métabolisme glycémique, diabète, acidocétoses, hypoglycémies) et suivis en médecine générale, en oncologie et en diabétologie », a souligné Pr André Scheen.
De fréquentes mais légères hyperglycémies sous thérapies ciblées
Alors que les thérapies ciblées sont à l’origine de fréquentes hyperglycémies, de l’ordre de 15 à 50 % des cas, les diabètes auto-immuns de novo sont plutôt exceptionnels. « Ces hyperglycémies étant relativement modérées pour la plupart (glycémie à jeun (GAJ) jusqu’à 1,50 g/L), elles peuvent être contrôlées par des mesures hygiéno-diététiques et la prescription de metformine », indique André Scheen.
Précisément, concernant les inhibiteurs de la tyrosine kinase[2], une revue d’experts a relevé une dysglycémie fréquente (15- 41 % selon les études) avec ces thérapeutiques, moins de 5 % d’hyperglycémies sévères (GAJ > 2,50-5,00 g/L) et aucune acidocétose.
Les données sur les inhibiteurs de mTOR vont globalement dans le même sens, avec une incidence variable des hyperglycémies (entre 2 et 50 % selon les études) et 6 % ou moins d’hyperglycémies de grade 3-4 (>2,51 g/L).

Pr André Scheen
En résumé, les inhibiteurs de la tyrosine kinase ou des mTOR induisent fréquemment des hyperglycémies, de survenue rapide après l’instauration du traitement en général, sont légères sans acidocétose, et réversibles [3]. Pour André Scheen, « l’effet classe ne fait aucun doute. En pratique courante, les oncologues sont en mesure de gérer ce type d’hyperglycémies non problématiques sans devoir recourir aux diabétologues ».
Un diabète de type 1 de novo sous inhibiteurs de point de contrôle immunitaire
Si l’effet métabolique des thérapies ciblées n’est pas réellement préoccupant, en revanche les effets diabétogènes des immunothérapies, à l’instar des inhibiteurs de checkpoint immunitaires, sont aussi sévères qu’ils sont rares. Ces immunothérapies sont une véritable révolution dans la prise en charge de certains cancers (ipilimumab en 2000, nivolumab en 2006 ; pembrolizumab en 2011 ; atezolizumab en 2011, etc.) avec des indications variées, dans le mélanome en 2011, dans les cancers urothéliaux en 2016 et de la vessie en 2017, dans le carcinome hépatocellulaire en 2017 et le cancer bronchique non à petites cellules en 2015, etc.[4].
Le blocage par un anticorps monoclonal de la CTLA4 (cytotoxic T-Lymphocyte antigen-4) (ipilimumab) et des récepteurs de la programmated cell death protein ligan 1 (PDL-1) (atezolizumab, avelumab, durvalumab) et PD-1 (pembrolizumab, nivolumab) permet un effet antitumoral puissant chez les répondeurs, qui les expose à des effets indésirables potentiels[5] : thyroïdite, hypo et hyperthyroïdisme, hépatite, néphrite, neuropathie, colite, myocardite, rash, uvéite, pneumonie, arthralgie, insuffisance surrénalienne primaire, hypophysite[6]… « D’où le réflexe à adopter, en cas de survenue d’un diabète sous immunothérapie checkpoint, de rechercher une éventuelle complication autre que l’hyperglycémie », prévient le Pr Scheen.
Jusqu’à 80 % d’acidocétoses
En ce qui concerne les hyperglycémies sous immunothérapies, elles concernent moins de 5 % des patients (0,2 - 4,9 %)[3]. Une étude a estimé à 2,26 % la survenue d’hyperglycémies (tous stades) sous inhibiteurs checkpoint et à 0,28 % celle des hyperglycémies sévères (> 2,50 g/L à jeun) avec, dans le détail, une incidence de 4,86 % et de 0,49 % respectivement pour les inhibiteurs PD-1, de 0,81 % et de 0 % pour les PDL-1 inhibiteurs, ainsi qu’une moindre incidence (0,52 % et 0,06 %) pour les inhibiteurs CTLA4[7].
Le risque de développer une hyperglycémie sous immunothérapie était doublé comparé aux chimiothérapies et aux thérapies ciblées (OR : 2,41 ; 1,52-3,82), celui de développer un diabète était triplé (OR : 3,54 ; 1,32-9,51) et celui d’un diabète de type 1 sévère était multiplié par six (OR : 6,50 ; 2,32-18,17)[7].
« Bien que peu fréquentes, lorsqu’elles apparaissent, ces hyperglycémies peuvent s’avérer extrêmement sévères, avertit André Scheen, de l’ordre de plusieurs grammes de GAJ, avec pratiquement 80 % d’acidocétoses[3].
Cela s’explique probablement par une destruction des cellules bêta des îlots de Langerhans, à l’image de la physiopathologie du diabète de type 1. D’ailleurs, nous retrouvons des marqueurs typiques du diabète de type 1, comme les anticorps antiacide glutamique décarboxylase (GAD), antiprotéine tyrosine phosphatase (IA2), anti-îlots de Langerhans. Nous constatons également la présence d’un terrain génétique prédisposant au diabète de type 1, avec les sous-groupes HLA DR 3 et DR4, que l’on retrouve plus fréquemment chez les patients qui vont développer un diabète très sévère sous checkpoint inhibiteurs.
Par ailleurs, l’effet classe ne semble pas exister : au contraire des anti-PL1 et anti-PDL1, les anti CTLA4 présentent un risque d’hyperglycémie relativement négligeable (la CTLA-4 n’est pas exprimée dans la cellule bêta mais augmente le risque de pancréatite). Cependant, tous induisent un diabète irréversible dans la plupart des cas d’hyperglycémie sévère[8 ]».
L’immunothérapie rompt la tolérance du soi
« Comme leur nom l’indique, les immunothérapies interfèrent avec la tolérance immune, explique André Scheen. Le diabète de type 1 étant une maladie auto-immune où le système immunitaire du patient ne reconnaît pas ses propres cellules bêta comme faisant partie du soi, on constate avec les immunothérapies un phénomène similaire, avec une destruction des cellules bêta. D’où une survenue très rapide, parfois dans les jours suivant l’initiation du traitement, et plus généralement après quelques semaines, voire mois (jusqu’à un an), sans signe annonciateur, dans le sens où les glycémies à jeun précédent le pic peuvent être parfaitement normales, sans élévation progressive des valeurs. L’hyperglycémie majeure apparaît en quelques jours à peine, à l’instar de ce qui peut être observé dans le diabète de type 1 chez les enfants se révélant par un coma acitocétosique ».
Plus de cas avec les anti-PD1
Deux bases de données, celles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et américaine (Food and Drug Administration, FDA), rapportent plusieurs centaines de cas d’hyperglycémies sévères sous inhibiteurs de checkpoint avec un certain nombre d’admissions en soins intensifs d’une part, et de décès d’autre part.
Dans la base de données de l’OMS, dont est issue une publication de 2018[9], une minorité des nouveaux cas de diabète était due aux thérapies CTLA4 (4,2 %). Cependant, 76 % étaient imputables à la monothérapie anti-PD1, et dans 8,5 % des cas d’autres endocrinopathies étaient associées.
La seconde base de données de la FDA[10] (FAERS) publiée en 2020 a également constaté une incidence relativement faible des nouveaux cas de diabète (1,24 % des 735 cas colligés entre 2015-2019) dont 25 % des diabètes de type 1 fulminants, 46 % avec acidocétose, 25 % avec pronostic vital engagé et 5,6 % de décès liés à l’hyperglycémie. Dans cette série, 69,4 % des patients étaient sous anti-PD1 seuls (1,1 % sous anti-CTLA4).
Un diabète apparenté au diabète de type 1
« Ce diabète aigu est assez curieux, pointe le Pr Scheen, car il survient sans crier gare, avec un délai variable (de 30 jours à 300 jours) suivant l’instauration d’un traitement par checkpoint inhibiteur[11]. L’histoire naturelle peut s’apparenter au diabète de type 1[12], avec la détection d’auto-anticorps anti-îlots positifs dans 53 % des cas, ainsi qu’une prédominance des anticorps anti-GAD et le génotype HLA de susceptibilité présent dans 65 % des cas (principalement DR4) ».
Une revue de huit publications parue en 2020 a dressé le profil de ces patients nouvellement diabétiques sous immunothérapies, constatant des âges variables, une apparition dès la première semaine de traitement ou après de nombreux mois, sans obligatoirement de maladie auto-immune préexistante, une HbA1c parfois normale (car le reflet des trois derniers mois) et, dans tous les cas, un effondrement de l’insulinosécrétion vérifié par un taux extrêmement bas de C-peptide[13].
La physiopathologie se rapproche de celle observée dans le diabète de type 1, de nature auto-immune, avec quatre mécanismes proposés : une augmentation de l’activité des cellules T contre les antigènes, des taux d’auto-anticorps préexistants, des concentrations de cytokines inflammatoires et, enfin, de l’inflammation médiée par le complément via le blocage de la TCLA4[14].
Dans l’interaction physiologique entre les cellules bêta du pancréas et les cellules T, l’implication de l’axe PD1/PDL1 conduit à une tolérance du soi et à une homéostasie immunitaire. Les checkpoint inhibiteurs entraînent une rupture des mécanismes de tolérance immune physiologique, ce qui aboutit à une réactivation des cellules T auto-réactives et à une destruction auto-immune des cellules bêta pancréatiques et donc à un diabète apparenté au diabète de type 1[15]. Cela est repris dans la publication citée plus haut[12] : les cellules bêta pancréatiques expriment le PDL1. Cette expression est augmentée dans les îlots enflammés, siège d’une infiltration de cellules T CD8+. « On peut spéculer que les cellules bêta, poursuit le spécialiste, via les PDL1, tentent de supprimer les cellules T CD8+ autoréactives. Ainsi, inhiber les PDL1 conduit à réduire les possibilité de défense des cellules bêta pancréatiques. »
Une surveillance codifiée, graduée et systématique
La conduite à tenir consiste, dès la mise sous inhibiteurs de checkpoint, à procéder à des glycémies, à jeun si possible, toutes les semaines ou bimensuelles au début du traitement puis de manière plus espacée ; les cas semblent rares au-delà de la première année de traitement.
En février 2022, la surveillance de ces patients a été codifiée par un groupe d’experts italiens[16]. Un avis d’experts français guide également la prise en charge quotidienne de ces patients sous immunothérapies anticancéreuses[2].
La surveillance
En préambule, une glycémie à jeun doit être prescrite et, en cas d’hyperglycémie et de diabète de type 2, une correction par traitement antihyperglycémique est préconisée.
En cas d’apparition d’un diabète de type 1, les règles habituelles s’appliquent pour limiter le risque d’acidocétose. L’insulinothérapie basale, d’instauration précoce, laisse rapidement la place au schéma basal bolus, indispensable et à poursuivre à vie à l’instar du diabète de type 1[3].
L’intérêt de rechercher les anticorps anti-GAD, anti-IA2, anti-insuline et ZnT8 n’est qu’académique.
Trois types de patients doivent être identifiés [17 ]:
Si ceux-ci ne sont pas diabétiques avant l’immunothérapie, la GAJ et la pression artérielle doivent être contrôlées toutes les deux semaines le premier mois, puis chaque mois sur une durée de 6 à 12 mois.
Si les patients ont un diabète connu, la GAJ, l’HbA1c, les HDL-chol, les triglycérides et la pression artérielle sont à contrôler chaque trimestre, en renforçant l’auto-surveillance glycémique (continuous glucose monitoring/ surveillance flash du glucose). Dans le contexte d’un diabète auto-immun lié à ce type de médicament, aucune molécule antihyperglycémique (agonistes du GLP-1, inhibiteurs des SGLT-2 et inhibiteurs de la DPP-4) n’a été testée et l’insulinothérapie est de mise [17].
Lorsque la dégradation du contrôle glycémique s’aggrave, la prise en charge doit faire l’objet d’une collaboration entre oncologues et diabétologues-endocrinologues pour instaurer une insulinothérapie sous multi-injections couplée à un autocontrôle glycémique.
Le Pr André Scheen, diabétologue-endocrinologue (CHU de Liège, Belgique) déclare n’avoir aucun lien d’intérêts avec ce sujet.
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Citer cet article: Attention aux effets diabétogènes des nouvelles thérapies anti-cancéreuses - Medscape - 7 avr 2022.
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