France— À l’issue d’une mission de quatre mois, une commission sénatoriale vient de rendre un rapport sur l’hôpital, et propose plusieurs mesures pour les établissements de santé, à quelques semaines de la présidentielle.
En pleine campagne présidentielle, sénateurs Les Républicains et socialistes ont travaillé de concert pendant quatre mois pour rendre un nouveau rapport sur la situation de l'hôpital public. Intitulé « la situation de l'hôpital et le système de santé en France », ce rapport a été présenté le 31 mars dernier.
La commission d'enquête, présidée par le sénateur socialiste Bernard Jomier et la rapporteure LR Catherine Deroche, qui a planché sur ce texte volumineux (267 pages) a été saisie en décembre 2021, et a auditionné près « d'une centaine de personnes », selon Bernard Jomier.
Premier constat, selon la sénatrice Catherine Déroche : le malaise des personnels hospitaliers est palpable, après deux ans de pandémie. Sans compter qu'il était déjà présent, avant la crise du Covid, laquelle a amplifié le désespoir des « médecins, soignants, mais aussi des personnels de direction ». « Conditions de travail dégradées, injonctions contradictoires, surcharge administrative », explique en grande partie ce malaise hospitalier.
Peu d’effet des accords de Ségur
Et les accords dits « Ségur de la santé », signés en juillet 2020, qui ont permis une revalorisation salariale de près de 7 milliards d'euros annuel pour les hospitaliers, n'ont pas eu les effets escomptés. « La mise en application de ces accords du Ségur de la santé a été vécue comme une mesure de rattrapage. Qui plus est, ces mesures ont été saupoudrées entre 2020 et 2022, et les personnels n'ont pas réellement senti leur application. Elles n'ont pas réussi à stopper l'hémorragie des personnels hospitaliers », ajoute Catherine Deroche. Car les ressources humaines sont en tension à l'hôpital : à l'AP-HP, le nombre de postes vacants d'infirmiers s'établit à 1400 actuellement, soit 1000 de plus qu'en 2019.
Pas de visibilité sur les capacités hospitalières
Aussi étonnant cela puisse-t-il paraitre, l'État ne dispose d'aucune statistique nationale sur l'évolution des capacités hospitalières, ou encore sur le nombre d'ouvertures de lits. « Notre première recommandation est de mettre en place un pareil outil », recommande chaudement Catherine Deroche.
« Ce fatalisme à l’égard de la possibilité d’évaluer l’état des capacités hospitalière autrement qu’en interrogeant un à un les établissements est d’autant plus étonnant qu’existe depuis plusieurs années le répertoire opérationnel des ressources (ROR) destiné à permettre aux professionnels d’identifier les disponibilités en lits », ajoute les auteurs du rapport.
S’il est difficile de connaitre les capacités hospitalières à l’échelle nationale, en revanche le CNG s’occupe du suivi des ressources médicales hospitalières. Et, les statistiques de désaffection de l'hôpital public par les soignants et médecins sont mauvaises. Concernant les praticiens hospitaliers, « le « taux de vacance statutaire » a sensiblement progressé en deux ans, passant, pour l’ensemble des praticiens hospitaliers à temps plein, de 30,3 % à 32,6 ». Les spécialités particulièrement touchées sont la radiologie et l'imagerie médicale (43,1% au 1er janvier 2022), l'anesthésie-réanimation (41,3%), et la psychiatrie (38,2%). Une enquête du ministère de la santé entre octobre et novembre 2021 établit par ailleurs que sur les 1100 établissements publics, les départs de personnels ont été supérieurs aux arrivées. Ces départs sont majoritairement des démissions (54%) ou des mises en disponibilité/congés de longue durée (38%). « L’enquête fournit également, par catégorie, des ordres de grandeur sur l’absentéisme, de 1 % à 5 % pour les médecins, de 5 % à 10 % pour les sages-femmes, autour de 10 % pour les infirmiers et de 10 % à 15 % pour les aides-soignants, soit des niveaux globalement supérieurs d’environ un point, en octobre 2021, à celui de fin 2019 », informent les rapporteurs. Bref, tous les indicateurs, à l'endroit des ressources humaines, sont dans le rouge.
La moitié des hôpitaux en déficit
Le tableau n'est pas plus enthousiasmant à l'endroit de la situation financière des hôpitaux. « Pourtant le financement des hôpitaux en France est dans la fourchette haute des pays de l'OCDE », indique Catherine Deroche. Il représente environ 4% du PIB, contre 3,1% pour l'Allemagne par exemple. « Mais dans le même temps les tarifs hospitaliers ont diminué à partir de 2010 avec un point bas en 2016. Cette baisse des tarifs va de pair avec l'accélération de la tarification à l'activité », ajoute la sénatrice LR.
Résultat, en 2019, plus de la moitié des hôpitaux était en déficit. Ce qui a conduit à réduire de moitié l'investissement en dix ans. Et a contribué au délabrement des hôpitaux. Baisse des tarifs, mais aussi gel prudentiel de l'Ondam hospitalier, ont détérioré les finances de l'hôpital.
Boite à outils
Aussi, les sénateurs proposent une véritable boite à outils pour résoudre les problèmes hospitaliers, et éviter que les établissements ne soient aspirés par une spirale destructrice.
Pour l'investissement, la commission sénatoriale demande la mise en place d'un système pérenne, qui ne soit plus fonction de l'activité. Pour que l'hôpital puisse de nouveau respirer, la commission demande également l'abandon pendant cinq ans du gel prudentiel de l'Ondam hospitalier. Cette mesure irait de pair avec une réforme de l'Ondam, lequel serait « construit » en fonction des besoins de santé.
La T2A « ne serait pas remise en cause, mais réduite à certaines activités », explique Catherine Deroche.
Reste à régler le problème le plus crucial : l'attractivité des métiers soignants. « Il n'y a pas de réponses simples et uniques », prévient Catherine Deroche. « Il faut d'abord permettre aux acteurs de l'hôpital de reprendre prise sur leurs métiers. Il faut déléguer aux pôles et aux services, et adopter une logique ascendante et non plus descendante. Il faut aussi mettre en œuvre une politique de la qualité de vie au travail, et former l'ensemble des personnels notamment infirmier. » En effet, l'instauration de la sélection à l'entrée des écoles d'infirmières via Parcoursup a fait en sorte d'éliminer l'entretien de motivation. « Cela explique le nombre d'abandon important en cours d'études chez les infirmiers », regrette la rapporteure.
Autre écueil à lever : la charge administrative : « nous proposons d'optimiser le recours aux secrétaires médicales, ainsi qu'aux outils numériques, pour libérer soignants et médecins de taches chronophages. Par ailleurs si les sénateurs souhaitent renforcer les personnel infirmier et aide-soignant, ils ne se sont pas lancés dans la définition d'un ratio national.
Territoire de santé
Last but not least : revoir la place de l'hôpital dans le système de santé. « Il faut renforcer les soins primaires en dégageant du temps médical. À cette fin, il faut déverrouiller le recours aux assistants médicaux et aux infirmières de pratique avancée (IPA). De la même manière il faut développer l'hospitalisation à domicile (HAD), systématiser la présence d'infirmières la nuit dans les Ehpad pour éviter les hospitalisations aux urgences », ajoute catherine Deroche. Qui appelle de ses vœux la mise en place de cellule ville/hôpital dans chaque établissement, pour fluidifier la communication entre médecins de ville et médecins hospitaliers.
D'autres propositions affleurent, comme la réforme des communautés hospitalières de territoire (CHT), la labellisation des hôpitaux de proximité, ou encore le développement des gestionnaires de lits... Ces propositions seront-elles entendues par les candidats à la présidentielle ? Réponse dans quelques semaines...
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Crédit image de Une : BSIP
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Citer cet article: Le Sénat au chevet de l’hôpital - Medscape - 4 avr 2022.
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