
Alain Durand
France— Eric Zemmour parle peu de santé. Quand il le fait, c’est pour exprimer son intention, s’il est élu président de la république, de réformer en profondeur le système de soins. Il veut supprimer les ARS, prône l’indépendance nationale en matière d’équipements et de médicaments, la diminution du personnel administratif à l’hôpital et la fin du recours aux médecins étrangers. En ville, il est favorable à l’ouverture du secteur 2 pour tous… Autant de mesures radicales que nous présente Alain Durand, chirurgien-dentiste à Toulouse et responsable du pôle santé de Reconquête.
Sur Zemmour2022.fr, on trouve dans le programme d’Eric Zemmour des fiches thématiques sur ses axes prioritaires de campagne : la sécurité, le pouvoir d’achat, l’immigration, la justice et même les automobilistes… mais pas un mot sur la santé (une fiche spécifique sur la santé a été publiée depuis l'entretien, ndlr) . Considère-t-il qu’il n’y a rien à changer dans le système de santé ?
Alain Durand : Oh que non (rires) ! Nous avons un programme assez complet et assez long ! Et je peux vous affirmer qu’Eric Zemmour souhaite mettre en place une loi de programmation sanitaire quinquennale de façon à donner une stratégie à long terme pour faire évoluer le système de santé.
Le système de santé a justement été fortement éprouvé ces deux dernières années par l’épidémie de Covid. Quels enseignements Éric Zemmour tire-t-il la gestion de la crise sanitaire ?
Alain Durand : La gestion de la crise sanitaire a été désastreuse car elle n’a pas été anticipée. On a estimé qu’une telle épidémie n’arriverait jamais. Des patients et des professionnels de santé ont été mis en péril faute de masques et de protections. Aucun vaccin n’a été trouvé en France. Bref, nous devons gagner l’indépendance sanitaire sur les médicaments et les EPI, dans la recherche et l’innovation. Il nous faut aussi simplifier la procédure de mise sur le marché des médicaments en Europe. Pour cela, il sera nécessaire d’aider la recherche, pas de la taxer, mais aussi de favoriser la complémentarité de la recherche publique et privée, d’encourager les start-up et les biotechnologies.
Éric Zemmour veut supprimer les ARS. Pour quelles raisons et pour les remplacer par quoi ?
Alain Durand : Les ARS ont prouvé leurs dysfonctionnements pendant la crise. C’était un désastre. Elles n’ont pas su s’organiser et n’ont géré l’épidémie que de façon comptable. Elles ne remplissent pas leurs missions de santé publique alors qu’elles coûtent 600 millions d’euros par an de frais de fonctionnement. Nous défendons la création de structures interpros de santé qui répondent aux besoins de santé de chaque département.
Malgré les revalorisations du Ségur de la Santé, les soignants quittent l’hôpital public. Il n’a jamais autant manqué de personnels, d’infirmières notamment. Comment redonner envie de travailler à l’hôpital ?
Alain Durand : Il faut avant tout donner davantage de moyens à l’hôpital, notamment techniques, pour leur permettre de travailler. Il devient urgent de moderniser les logiciels, notamment. Nous projetons aussi de diminuer la part d’administratifs qui peut représenter dans certains établissements jusqu’à 34% du personnel ! Nous ne voulons pas supprimer la T2A mais la pondérer, en mettant en place une dotation par service. L’hôpital a voulu traiter ce qui rapporte mais la notion de service public n’est pas remplie. La dotation permettrait de compenser le manque à gagner éventuel. Il faut comprendre que mettre de l’argent dans la santé est un investissement, pas un coût. Éric Zemmour veut augmenter de 12% les salaires des infirmières et des aides-soignantes, ce qui représenterait 2 milliards d’euros, nous l’avons budgété. Beaucoup font des heures sup’ non rémunérées, c’est inadmissible. Nous proposons d’augmenter de 40 000 le nombre de soignants dans les hôpitaux. Cette hausse d’effectif permettrait de réduire le fort taux d’absentéisme dans les hôpitaux (12-13%).
Vouloir former 40 000 soignants de plus est-il réaliste ?
Alain Durand : Oui. Nous proposons de supprimer le numerus apertus qui est une connerie monumentale pour revenir à un numerus clausus qui serait doublé. Actuellement, avec la visioconférence, on peut former 20% d’étudiants en plus. Nous avons l’intention de créer des facs de médecine privées dans les zones sous dotées après autorisations des ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur. Car une fois décroché leur diplôme, les soignants restent en majorité dans les 50 kilomètres autour de leur lieu de formation. Ces facs privées bénéficieraient d’un système de bourses pour donner une égalité des chances et donneraient lieu aux mêmes UV et stages pour tous.
Les services des urgences des hôpitaux sont souvent saturés. Rétablir l’obligation de permanence des soins pour les libéraux comme le propose Éric Zemmour est-il faisable dans un contexte de tension démographique ?
Alain Durand : Nous proposons de rétablir la permanence des soins les dimanches et les jours fériés ; la nuit, c’est plus délicat. L’avantage serait que les médecins gagneraient deux fois plus qu’un jour normal lorsqu’ils travaillent un dimanche ou un jour férié. Ce n’est pas négligeable.
6 millions de Français n’ont pas accès à un médecin traitant, les inégalités d’accès aux soins se creusent. Faut-il revoir la liberté absolue d’installation pour améliorer la présence médicale ?
Alain Durand : La coercition ne marche pas. Nous ne voulons pas d’un conventionnement sélectif mais préconisons un conventionnement préférentiel. Il faut inciter davantage les médecins à s’installer en imaginant, pourquoi pas, des niveaux de rémunération majorés dans les zones sous-denses. Par ailleurs, nous voulons instaurer un secteur 2 accessible à tous les médecins. Il faudra bien sûr respecter le tact et mesure et ne pas tolérer les C à 100 ou 150 euros.
La consultation d’un généraliste est à 25 euros. Éric Zemmour est-il favorable à la revalorisation des médecins ? Quelle place pour les forfaits ?
Alain Durand : 25 euros la consultation, ce n’est pas assez. Le secteur II permettrait d’attendre et de voir si on peut augmenter la consultation. Une certaine candidate (Valérie Pécresse, NDLR) a proposé de passer le C à 30 euros, c’est démagogique ! Par ailleurs, il faut prioriser l’acte ou nous allons fonctionnariser les médecins. Nous sommes pour une liberté totale. Dans les déserts médicaux, nous voulons créer des centres externalisés des hôpitaux. Des mini-services avec des médecins chefs détachés de l’hôpital ou des libéraux attachés à l’hôpital, avec quelques internes reliés par télémédecine au chef de service du CHU. Ces mini-services comprendraient trois lits pour les urgences pures et pourraient fonctionner pour le suivi des grossesses ou des chimiothérapies par exemple -pour éviter les déplacements de gens immunodéprimés-. Ce système permettrait de rétablir une égalité des chances et d’accès aux soins pour tous les patients.
Éric Zemmour souhaite interdire le concours qui permet aux médecins étrangers de venir exercer en France. Dans certains départements, ces médecins à diplôme étranger représentent pourtant une part importante des nouveaux inscrits à l’Ordre. Que fait-on ? On renvoie ces médecins et on laisse ces populations sans docteur ?
Alain Durand : Une chose me dérange profondément : que l’on pille les cerveaux des pays qui en manquent. On en profite et je trouve cela inadmissible. Certains professionnels de santé à diplôme étranger ne sont pas bien formés. J’ai moi-même vu par exemple un confrère chirurgien-dentiste roumain qui tenait une radio à l’envers ! Il nous semble que c’est au pays qui accueille de donner le diplôme validant. Si un Français n’est pas bon, qu’il va en Roumanie et y est recalé, cela ne me dérangera pas. Pendant des années, on a préféré prendre des médecins à l’étranger car cela coûtait moins cher que de les former en France. Gardons ceux que l’on a mais arrêtons d’en faire venir d’autres sans contrôler leurs compétences ! Il faut garantir la qualité des soins avec un diplôme qualifiant pour ceux qui veulent entrer.
Le candidat de Reconquête prône l'embauche de 1 000 médecins salariés (généralistes et spécialistes) par l'Etat dans les déserts. Est-ce l’avenir de la médecine ?
Alain Durand : Nous proposons d’investir dans les centres de santé, de former rapidement 1000 médecins et de les inciter à s’installer avec un salaire qui pourrait selon nous monter jusqu’à 13 000 ou 15 000 euros par mois s’il le faut. Nous suggérons aussi de renforcer la part des passerelles pour accéder à médecine. Aujourd’hui, ces passerelles ne représentent que 5% des entrées en médecine. Nous souhaitons les faire passer à 30% en permettant notamment à un pharmacien ou à une IPA de passer en 3e année en suivant des rattrapages dans certaines matières. Il faut ouvrir la possibilité d’une évolutivité de carrière. Une aide-soignante doit pouvoir devenir infirmière et une infirmière doit pouvoir devenir IPA puis médecin. Certaines IPA feraient de très bons médecins.
Ces dernières années, le gouvernement a privilégié les organisations collectives et interpro, les MSP, les CPTS, les délégations, les assistants médicaux et IPA. Poursuivrez-vous ce mouvement ?
Alain Durand : L’interpro n’est pas notre tasse de thé, elle est inefficace dans les secteurs désertifiés.
Cette crise et un récent livre ont mis au jour la souffrance et même la maltraitance des personnes âgées en Ehpad. Comment changer ce système ?
Alain Durand : Nous proposons d’instaurer plus de contrôles inopinés et drastiques dans les EHPAD. Il faut encadrer davantage les grands groupes d’EHPAD à but lucratif avec des indicateurs qualité à tous les niveaux (soins, repas, hygiène…). Nous proposons aussi de créer des mini-structures avec 7 ou 8 unités pour que des personnes puissent être en famille avec une infirmière et où un médecin passerait de temps en temps. Cette prise en charge psychologique et médicale coûterait bien moins cher et serait bien plus adaptée, parfois, qu’un EHPAD à 70 kilomètres de sa famille.
Les comptes sociaux n’ont jamais autant été dans le rouge. Comment rétablir l’équilibre des comptes ? Quid du projet de Grande Sécu ?
Alain Durand : La grande Sécu est une aberration. Nous y sommes diamétralement opposés. Si on rembourse à 100% tous les soins à tout le monde, il faudra augmenter la CSG et la CRDS et les entreprises vont subir cette forte hausse. Il faudrait augmenter les cotisations des mutuelles et il faudrait se doter de surmutuelles. Pour rétablir les comptes sociaux, il faut augmenter la part du budget consacré à la prévention (4% aujourd’hui) et faire moins de curatif. Et arrêter de dilapider l’argent public comme on a pu le faire en remboursant les tests Covid à hauteur de 4 milliards d’euros !
Les autres mesures santé du candidat
Favoriser le cumul emploi retraite
Créer un grand ministère One Health qui regrouperait l’Agriculture, l’Environnement et la Santé pour favoriser la prévention et non le curatif
Relocaliser en France la production des antiobiothérapies et antalgiques
Rendre obligatoires pour les médecins et infirmières les stages en soins palliatifs
Supprimer l’aide médicale d’Etat (AME)
Mettre en place une carte Vitale à empreintes digitales pour lutter contre la fraude
Renoncer à la prolongation à 14 semaines du droit de procéder à une IVG
Mettre fin à la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes
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Crédit image de Une : Clement Mahoudeau/AFP via Getty Images
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Citer cet article: « Avec Éric Zemmour, nous voulons gagner la souveraineté sanitaire » - Medscape - 29 mars 2022.
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