Résistance aux antibiotiques : Lyon lance un programme dédié aux phages

Anne-Gaëlle Moulun

Auteurs et déclarations

28 mars 2022

Lyon, France — En fin d’année dernière, les Hospices civils de Lyon (HCL) ont obtenu un financement de 2,85 millions d’euros pour le projet PHAG-ONE dédié à la phagothérapie, dans le cadre de l’appel à projets « Antibiorésistance : comprendre, innover, agir » piloté par l’Agence Nationale de Recherche (ANR). Le Pr Frédéric Laurent, microbiologiste et chef de service de bactériologie au sein de l’Institut des Agents Infectieux à Lyon, explique à Medscape le projet et plus globalement le programme PHAGEinLYON porté par les HCL, le Centre International de Recherche en Infectiologie INSERM U1111 et l’Université Claude Bernard Lyon 1.

Utiliser la machinerie de la bactérie

Alors que la résistance aux antibiotiques est en recrudescence et conduit de plus en plus régulièrement à des impasses de traitement, la phagothérapie offre une alternative thérapeutique intéressante. « La phagothérapie, c’est une thérapie qui utilise des phages, c’est-à-dire des virus qui ne sont actifs que sur des bactéries sans avoir aucun effet sur les cellules humaines. Ils se fixent sur les bactéries, y injectent leur ADN, puis utilisent la machinerie de la bactérie pour fabriquer des bactériophages qui, pour s’échapper, produisent des enzymes qui font exploser la bactérie. Ce cycle se fait en une demi-heure. Un phage a la particularité de libérer 1000 phages qui vont à leur tour attaquer 1000 bactéries, donc c’est un système qui s’auto-entretient jusqu’à disparition complète des bactéries », explique le Pr Frédéric Laurent, microbiologiste et chef de service de bactériologie au sein de l’Institut des Agents Infectieux à Lyon.

 
La phagothérapie, c’est une thérapie qui utilise des phages, c’est-à-dire des virus qui ne sont actifs que sur des bactéries sans avoir aucun effet sur les cellules humaines. Pr Frédéric Laurent
 

Faciles à récolter

Chaque phage est généralement actif sur une espèce ou une souche bactérienne spécifique. Leur récolte est aisée : ils pullulent partout où les bactéries prolifèrent, en particulier dans les eaux usées. « Les premiers phages sur lesquels nous avons travaillé, nous les avons isolés du lac du parc zoologique de la Tête d’or, à Lyon », raconte le Pr Laurent. Les phages sont récoltés, isolés, puis caractérisés au niveau génétique pour savoir sur quelles souches bactériennes ils sont actifs. Ils doivent ensuite être multipliés, puis purifiés, avant d’être administrés sous forme de « cocktails » de plusieurs phages, à un patient. « Pour multiplier les phages, il faut les mettre en contact avec les bactéries. À la fin, nous obtenons de nombreux phages, mais aussi plein de débris bactériens et de produits secrétés par les bactéries. Tout l’enjeu est de purifier les phages sans ces débris et ces métabolites », souligne-t-il.

Découverte française

Découverts dans les années 1920 en France par Félix d'Hérelle, les bactériophages, ou phages, ont été utilisés en France de 1920 à 1940, avant d’être détrônés par les antibiotiques. Si la France et l’Europe de l’Ouest ont délaissé les phages, ils ont continué à être exploités dans les pays de l’Est, notamment en Géorgie, en Russie et en Pologne mais dans des conditions de production pharmaceutique ne répondant pas aux normes strictes exigées par les autorités de santé françaises et européennes, ce qui empêche une utilisation sous forme d’injection. Les phages produits dans ces pays ne sont donc pas autorisés en France et dans les pays d’Europe de l’Ouest.

Impasses thérapeutiques

Or les antibiotiques, si appréciés, ont commencé à montrer leurs limites. De plus en plus de patients présentent des infections liées à des bactéries multirésistantes. Au sein des Hospices Civils de Lyon (HCL), le Centre de Référence des Infections Ostéo-Articulaires complexes (CRIOAc Lyon) a fait ce constat alarmant sur des infections de prothèses de genou et de hanche. « Chez certains patients, de plus en plus nombreux, plus aucun antibiotique n’est actif, s’inquiète le Pr Laurent. Désormais, nous nous retrouvons dans des impasses thérapeutiques pour certains patients ». Pour lui, les phages apparaissent donc comme une alternative thérapeutique intéressante, bien que leur utilisation reste très encadrée pour l’instant.

Usage compassionnel uniquement

« Actuellement, les phages n’apparaissent pas à la pharmacopée française ou européenne et ne sont pas autorisés par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicaments (ANSM) en France. Le seul usage possible de ces traitements est dans un cadre compassionnel, strictement encadré par l’ANSM et sous sa supervision », précise le Pr Laurent. Pour l’instant, seuls 36 patients ont pu bénéficier de la phagothérapie à Lyon, pour des infections ostéo-articulaires ou des endocardites. « Ce sont des patients en fin de ligne de traitement, pour lesquels les traitements classiques ont conduit à un échec thérapeutique. Un certain nombre d’entre eux ont pu rentrer chez eux après la phagothérapie, alors qu’ils ne marchaient plus, présentaient des douleurs chroniques et pour certains étaient sous morphine ».

 
Le seul usage possible de ces traitements est dans un cadre compassionnel, strictement encadré par l’ANSM et sous sa supervision. Pr Frédéric Laurent
 

Les HCL ont reçu en fin d’année 2021 un financement de 2,85 millions d’euros pour leur projet PHAG-ONE, qui vise à réaliser l’isolement, la production, la purification, le conditionnement et les contrôles de qualité de phages thérapeutiques actifs sur 3 espèces (Staphylococcus aureus, Staphylococcus epidermidis et Escherichia coli) afin de remplir toutes les exigences réglementaires pour une utilisation chez l’homme. Les phages thérapeutiques produits seront ensuite utilisés pour traiter les infections à bactéries multirésistantes aux antibiotiques, dans un cadre compassionnel et dans le cadre d’essais cliniques.

 
Un certain nombre d’entre eux ont pu rentrer chez eux après la phagothérapie, alors qu’ils ne marchaient plus. Pr Frédéric Laurent
 

Entraînement de phages

« Sur les staphylocoques dorés, nous avons déjà sélectionné les trois phages les plus intéressants et nous travaillons sur la validation des process de production et de purification. Pour les E. coli, nous avons isolé une première vingtaine de phages. Nous allons maintenant devoir sélectionner ceux qui ont les activités les plus intéressantes, en lien avec le Centre National de Référence de la Résistante aux Antibiotiques, qui nous fournit les souches résistantes qui circulent en France. Nous savons déjà que nous avons des phages candidats qui ciblent les clones les plus résistants et les plus épidémiques en Europe, ce qui est une bonne nouvelle », détaille le Pr Laurent.

 
Nous avons des phages candidats qui ciblent les clones les plus résistants et les plus épidémiques en Europe, ce qui est une bonne nouvelle. Pr Frédéric Laurent
 

« Nous réalisons aussi du « Phage training », c’est-à-dire de l’entraînement de phages : en subcultivant plusieurs phages ensemble un grand nombre de fois en présence de certaines souches bactériennes, nous forçons les phages à échanger leur matériel génétique pour donner naissance à des « superphages » encore plus actifs. L’idée est d’obtenir des phages qui tapent plus fort et qui tapent sur plus de souches d’une même espèce », explique-t-il. Son équipe travaille également sur des phagogrammes, c’est-à-dire des techniques simples à mettre en œuvre dans un laboratoire pour savoir quel phage utiliser sur quelle bactérie.

Réunion pluridisciplinaire

En parallèle, l’équipe du Pr Tristan Ferry, infectiologue aux HCL, copilote du programme PHAGEinLYON avec le Pr Laurent a mis en place une réunion de concertation pluridisciplinaire dédiée à la phagothérapie. « Nous discutons entre nous, infectiologues, microbiologistes, pharmaciens, pour savoir si les patients relèvent de la phagothérapie ou pas. Nous faisons le point sur les phages dont nous disposons ou non, sur la façon de traiter le patient, le rythme d’administration, etc. Nous effectuons désormais des injections itératives, ce qui représente plus de travail pour nous et pour la pharmacie qui prépare les phages », développe le microbiologiste.

 
Nous discutons entre nous, infectiologues, microbiologistes, pharmaciens, pour savoir si les patients relèvent de la phagothérapie ou pas. Pr Tristan Ferry
 

Outre les patients traités à Lyon, l’équipe des HCL intervient aussi en soutien pour la mise en place de traitements pour des patients en dehors du CHU. « Nous avons été sollicités par des collègues d’autres hôpitaux en France, pour avoir notre avis, nos conseils et fournir des procédures. Notre idée est de nous positionner comme un centre de référence pour la phagothérapie en France », indique-t-il.

Au sein du consortium PHAG-ONE, d’autres travaux ont été initiés en collaboration avec l’équipe CNRS de Montpellier de Rémy Froissart ou l’équipe de Charlotte Brive à Bordeaux (Centre Émile Durkheim) qui s’intéresse aux cadres épistémologiques, aux méthodes et techniques présidant à la production des savoirs liés au développement de cette innovation biomédicale en France.

« Actuellement, il n’y a pas d’autres hôpitaux en France qui développe une production publique et académique de phages comme nous le faisons », précise le Pr Laurent. « Un seul laboratoire privé produit des phages thérapeutiques en France, Pherecydes pharma avec lequel mon collègue Tristan Ferry va initier un essai clinique appelé PhagoDAIR*. Nous sommes en contact avec d’autres industriels étrangers qui veulent mettre en place ce même type d’essai en France », conclut le Pr Laurent.

*une étude clinique de phase I/II dans le traitement des infections ostéoarticulaires sur prothèses causées par le Staphylococcus aureus. Le protocole a été approuvé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en décembre dernier.

 

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