L'Ordre des médecins veut réguler l'installation des cabines de téléconsultation

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

28 mars 2022

France — Les cabines de téléconsultation fleurissent un peu partout en France. Inquiet des dérives possibles, notamment commerciales, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) vient d’actualiser ses recommandations dans un rapport sur le mésusage de la télémédecine. Il demande notamment un encadrement plus strict de l’implantation de ce type de cabines.

Le Cnom prend position

« Consultez un médecin dans votre Monoprix ». On se souvient de la réaction indignée sur twitter du Dr Jean-Paul Hamon, président d’honneur de la Fédération des médecins de France (FMF) en découvrant ce message dans une enseigne commerciale de son quartier. En octobre dernier, il s’était alarmé auprès de Medscape édition française que des cabines de téléconsultation soient accessibles avec une simple carte Vitale au sein de grandes surfaces, estimant qu’elles « contournent le parcours de soins et participent à la dérégulation du système de santé et à la dégradation de la qualité de prise en charge des patients ».

Aujourd’hui, alerté à plusieurs reprises par des praticiens, le Conseil national de l'Ordre national des médecins prend position sur ce sujet. Dans un rapport d'une dizaine de pages sur le mésusage de la télémédecine, l'Ordre se prononce pour une régulation stricte de l'implantation des cabines de téléconsultation. Il estime que l'installation de ces bornes connectées « doit être régulée », de préférence par les agences régionales de santé (ARS).

Le ministère de la Santé alerté par l’Ordre

« Cette autorisation ne saurait être donnée sans une concertation préalable des acteurs de terrain (URPS, Cdom, CPTS, …) et elles ne peuvent fonctionner sans un lien avec les médecins du territoire », ajoute l'Ordre, préoccupé que leur implantation puisse déstabiliser l'offre de soins et les initiatives locales. « Cette régulation relève des pouvoirs publics et les dérives marchandes auxquelles nous assistons (cabines de téléconsultation dans les centres commerciaux) doivent conduire les pouvoirs publics à édicter des interdictions législatives ou réglementaires. » Le Cnom indique avoir saisi le ministère de la Santé en ce sens.

Cette autorisation ne saurait être donnée sans une concertation préalable des acteurs de terrain et elles ne peuvent fonctionner sans un lien avec les médecins du territoire

Même si elle est initiée par des élus locaux ou des sociétés commerciales, l’installation de « télécabines » ne peut « prospérer en cas d’opposition des médecins du territoire », ajoute l’Ordre. Cette prise de position fait écho à la mobilisation du Dr Sylvaine Le Liboux, généraliste à Valençay (Indre), qui avait fermé son cabinet et entamé une grève en septembre dernier après avoir appris qu’une cabine de téléconsultation à l’initiative de sa communauté de communes et de la sécurité sociale agricole (MSA) devait être installée dans un local de France Services – le projet a depuis été suspendu.

Jointe par Medscape édition française, la généraliste syndiquée chez les Généralistes-CSMF, est toujours en colère car une nouvelle télécabine a été implantée dans une officine dans une commune limitrophe. « Cette cabine de téléconsultation n’a pas lieu d’être et les actes qui sont réalisés en son sein ne devraient pas être remboursés dans la mesure où une CPTS a créé un service d’accès aux soins pour répondre aux besoins des patients », estime le Dr Le Liboux, selon qui l’avenant 9 qui encadre la télémédecine est contourné. La généraliste estime par ailleurs que les télécabines ne permettent pas d’exercer la médecine dans les règles de l’art.

Des pratiques commerciales contraires à la déontologie

L’Ordre des médecins rappelle lui l’importance du respect impératif de la confidentialité, lors de l’accès à la télécabine (qui fait office de « salle d’attente ») puis au cours de la téléconsultation. Il juge par ailleurs inacceptable que leurs promoteurs proposent que « des personnes, non professionnels de santé, sommairement formées, et non soumis au secret professionnel, puissent assister le patient lors de sa téléconsultation ». « En l’absence de professionnel de santé en capacité d’intervenir lors de la consultation du patient au sein de la télécabine, celle-ci donne au patient une fausse impression de sécurité. Ce dernier ne sera pas forcément en mesure d’utiliser correctement les outils connectés mis à sa disposition. »

L’Ordre met enfin en garde contre une publicité qui dépasserait le cadre informatif et aurait seulement une visée commerciale ou visant à être la promotion des médecins téléconsultants. « Au début de sa téléconsultation, le médecin téléconsultant doit être informé par l’interface du prestataire du cadre et du lieu/contexte de sa prise en charge », rappelle le Cnom.

Dans ce rapport sur le mésusage de la télémédecine, l’Ordre rappelle plus généralement les obligations déontologiques qui s'imposent dans le cadre des téléconsultations. Ces dernières sont en effet réglementées par l'avenant n°9 dont le Cnom conteste une disposition devant le Conseil d'Etat : la suppression du principe de connaissance préalable du patient.

Ne pas oublier l’examen clinique !

L'Ordre s'inquiète que certains patients puissent être pris en charge « exclusivement en télémédecine », et s'oppose à une pratique exclusive de la télémédecine par le médecin, susceptible d’être préjudiciable à son expérience. Il rappelle aux praticiens l’importance de « procéder à un examen clinique chaque fois que cela est souhaitable ».

Le Cnom se montre particulièrement critique à l'égard des plateformes commerciales : « Beaucoup proposent une organisation illégale dans la mesure où elles mettent en place des téléconsultations en dehors de tout ancrage territorial et en font une promotion de nature commerciale et d'ampleur nationale. » Il est reproché à certaines sociétés de procéder à l’encaissement des actes du médecin.

L’Ordre rappelle « fermement aux médecins que la réalisation de téléconsultations par le biais de plateformes commerciales de télémédecine ne les exonère en aucun cas de leurs obligations déontologiques. »

Les télécabines en pharmacie au cœur d’une procédure

Ces derniers mois, de plus en plus de pharmacies se sont dotées d’une cabine de téléconsultation, comme les y autorise l’avenant 15 de leur précédente convention.

Si dans l’ensemble, cette nouvelle disposition ne semble pas poser de problème, elle est contestée par un pharmacien du 18e arrondissement. Ce dernier, I.B., a déposé un recours devant l’Ordre des Pharmaciens contre un confrère ayant installé une cabine de téléconsultation à qui il reproche de faire de la publicité et de « concevoir ce service comme une sorte de produit d’appel pour le développement du chiffre d’affaires de son officine ».

Selon le plaignant, « la publicité donnée par M. X à son offre de téléconsultation, notamment sur les pages publiques des réseaux sociaux et sur la devanture de son officine, est de nature, non seulement à détourner la patientèle des médecins du quartier mais également à détourner la clientèle des autres pharmacies du secteur. »

I.B. ayant refusé la conciliation, l’affaire est en phase d’instruction. Joint par Medscape édition française, l’avocat d’I.B., Maître Grégoire Weigel (Lyon Caen & Thiriez), estime que l’avenant 15 réglementant les téléconsultations en officine contrevient au code de santé publique. « L’article R. 4235-66 du code de la santé publique est très clair, assène-t-il :  “aucune consultation médicale (…) ne peut être donnée dans l’officine“. »

Quand l'ordonnance sort de la télécabine, les patients ne vont bien évidemment pas aller chercher les médicaments dans une autre pharmacie

« Le but de cette disposition était d’empêcher le compérage et une relation financière entre le médecin et le pharmacien, ajoute Me Weigel. Or, quand l’ordonnance sort de la télécabine, les patients ne vont bien évidemment pas aller chercher les médicaments dans une autre pharmacie. » En cours, l’affaire devrait être réglée dans le courant de l’année, espère l’avocat. Joint par Medscape édition française, l’Ordre des Pharmaciens n’a pas répondu.

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