France — Quel est le programme du parti socialiste (PS) pour la santé ? Medscape a interrogé le sénateur Bernard Jomier, expert santé auprès d’Anne Hidalgo, candidate du PS à la présidentielle 2022 et, par ailleurs, médecin généraliste.
Medscape édition française : Quels sont les principales propositions du Parti socialiste pour réenchanter l'hôpital public ?
Bernard Jomier : les difficultés de l'hôpital public sont antérieures à la crise, car rappelez, vous en 2019, l'hôpital public a connu un mouvement social des personnels hospitaliers. Ce sont des difficultés anciennes qui se sont aggravées au fil des ans. Nous pensons qu'il faut tourner la page du concept d'hôpital/entreprise, une formule tirée de la loi HPST mise en place sous Nicolas Sarkozy. Ce concept a généré au fil des ans une crise de sens des personnels hospitaliers, à laquelle il faut répondre. Nous pensons que la logique soignante doit reprendre le dessus, mais nous sommes aussi convaincus que l'hôpital doit reprendre sa place dans le territoire de santé. Non seulement le champ de mission de l'hôpital devient flou, mais on ne lui donne pas non plus les moyens d'exercer ses missions.
Que proposez-vous pour relancer le financement de l'hôpital public ?
Bernard Jomier : Je ne peux pas vous répondre sans mise en perspective. Lorsque l'Ondam a été institué en 1995, il était uniquement question d'un droit de regard du Parlement sur les dépenses de santé. Pendant 15 ans, cela n'a pas eu d'effet, c'est-à-dire que la dépense a continué à croitre. À partir de 2010, des outils ont transformé cet objectif en une forme de "plafond" : ce sont les lettres clés flottantes, les réductions de tarifs, les réserves financières hospitalières... Mais à aucun moment, le Parlement ne débat des objectifs de santé publique. C'est cela qu'il faut remettre en cause.
Vous proposez la suppression de l'Ondam ?
Bernard Jomier : Nous proposons de faire précéder les discussions sur l'Ondam d'un débat sur les objectifs de santé publique – après échanges avec les professionnels de santé dans les territoires. Le cadrage budgétaire doit faire suite à la discussion sur les objectifs nationaux de santé publique. Je constate par ailleurs que dans le dernier rapport du Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) sur les leçons de la pandémie, il est préconisé de mettre en place cette mesure. C'est ainsi que nous pensons qu'il faut construire le budget de l'hôpital public. Mais nous pensons aussi que l'hôpital public a besoin d'être mieux financé et nous estimons le budget de l'hôpital à 4 milliards d'euros chaque année. Sur un quinquennat, cela représente 20 milliards.
Le Ségur de la santé a-t-il été bénéfique ?
Bernard Jomier : Malgré ses revalorisations, il n'y a pas eu de retour des personnels soignants vers l'hôpital. Au contraire, les personnels continuent de fuir l'hôpital, ce qui prouve bien que l'hôpital traverse une crise de sens. Tant que l'on ne prendra pas à bras-le-corps des questions comme le ratio des soignants par patient, on ne progressera pas. Ces ratios n'existent réglementairement que pour les soins critiques, mais dans les faits les Copermo (Comité Interministériel de Performance et de la Modernisation de l'Offre de Soins, mis en place en 2012 par Marisol Touraine. Il a pour objectif de prioriser les investissements hospitaliers, et d’aider au redressement financier d’hôpitaux en difficulté, NDLR) ont imposé des ratios dans l'ensemble des services car les financements de restructuration étaient conditionnés à une maitrise des dépenses, c'est-à-dire à la maitrise de la masse salariale. C'est comme cela que, sans que ce soit écrit noir sur blanc dans le règlement, l'on passe d'une infirmière pour 10 patients à une infirmière pour 14 patients. Il faut mettre un terme à ce mouvement, car les soignants n'ont plus suffisamment de temps pour prendre en charge les patients, ils ont alors l'impression de les maltraiter, et prennent la décision d'arrêter ou de partir ailleurs. Il faut inverser cette tendance. La question des ratios est l'un des problèmes de l'hôpital mais ce n'est pas seul.
Quels sont justement les autres problèmes que rencontre l'hôpital ?
Bernard Jomier : On ne peut pas demander à l'hôpital de boucher tous les trous et de se substituer aux autres acteurs de santé. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne la permanence des soins. Mais c'est aussi vrai dans de nombreux autres domaines. L'hôpital n'a pas vocation à prendre en charge des actes de santé qui peuvent être pris en charge par le système ambulatoire. Prenons par exemple la question de la chimiothérapie ou encore des soins palliatifs : ce sont des soins qui pourraient être organisés au domicile plutôt qu'à l'hôpital.
La médecine libérale traverse aussi une crise, les déserts médicaux se multiplient. Quelles sont les solutions apportées par le Parti socialiste ?
Bernard Jomier : Il faut prendre conscience que nous faisons face à une pénurie médicale. Et lorsque nous sommes en situation de pénurie, il est compliqué d'apporter rapidement des réponses satisfaisantes. Cependant, à court terme, on peut rediscuter du partage des taches. Nous allons demander aux professions de santé, dans un cadre conventionnel, de discuter de ces nouveaux partages des taches. Nous rejetons l'intervention brutale du législateur en la matière, comme cela a pu être le cas lors de la discussion de la dernière loi de financement de la sécurité sociale. C'est à l'Assurance Maladie de mener des discussions pluri-catégorielles pour avancer sur ces questions. Si ces avancées ne sont pas suffisantes, alors le Parlement doit intervenir. Nous proposons aussi que la quatrième année de médecine générale soit une année de professionnalisation : cette mesure permettrait d'amener 4000 jeunes médecins dans ces territoires sous-dotés. Pour l'année 2022, cette mesure serait appliquée sur la base du volontariat, puis, à partir de 2023, elle serait généralisée à tous. Ce dispositif sera ensuite amené à se déployer pour l'ensemble des spécialités en ambulatoire. Pour les médecins déjà installés dans ces zones sous-denses, il faut déployer plus rapidement les assistants médicaux, le mouvement est actuellement trop lent.
Le programme santé du PS a-t-il été percuté par la pandémie de Covid-19 ?
Bernard Jomier : La pandémie n'a fait que renforcer l'analyse que nous faisions de la santé publique, à savoir que nous n'avons pas construit un vrai système de santé publique. Nous sommes rentrés dans la crise avec nos forces et nos faiblesses. L'hôpital a tenu, le secteur ambulatoire, quand il a été sollicité, a été très aidant. Au-delà, cela nous incite à mettre en place une culture de santé publique plus efficiente. Nous nous rendons bien compte que les pays asiatiques, qui avaient tiré les leçons de l'épidémie de 2009, ont beaucoup mieux réagi que nous à l'arrivée de la pandémie de Covid-19. La France a eu des résultats moyens. Il aurait fallu associer beaucoup plus les acteurs locaux de santé, le secteur ambulatoire, les collectivités territoriales, les hôpitaux et le médico-social. Mais nous avons géré de manière centralisé et verticalisé et cela a été accentué par Emmanuel Macron, avec la création du conseil de défense sanitaire, du secret institué sur les délibérations, etc.
Comptez-vous bouleverser le financement de l'assurance maladie ?
Bernard Jomier : Nous nous élevons contre le mouvement de baisse des cotisations au profit d'une fiscalisation, qui n'est rien d'autre que la poursuite de l'étatisation de l'assurance maladie. À l'occasion de la pandémie, la prise en charge des mesures pour faire face à la Covid-19 a été transférée à la Cades, l'État s'est déchargée sur l'Assurance Maladie. Le remboursement de cette dette par la Cades (caisse d’amortissement de la dette sociale, fondée en 1996, dans le but d’éponger la dette de la sécurité sociale, NDLR) va priver l'assurance maladie chaque année de 800 millions à 1 milliard d'euros. Cette décision fragilise énormément la sécurité sociale. Autre fragilisation de l'Assurance Maladie : la création de la cinquième branche, sur l'autonomie, que nous avons votée. Mais cette branche n'est pas financée en propre, elle bénéficie d’un transfert de la branche maladie vers la branche autonomie. Nous avons fait des propositions de financement de cette branche, mais nous n'avons pas été entendus et le gouvernement a ainsi créé une branche en déficit. Ce n'est pas responsable. Mettre en déficit la sécurité sociale, c'est envoyer un message politique qui est de dire que la sécurité sociale coûte cher, pour en réduire le périmètre. C'est une orientation du quinquennat que nous rejetons. La sécurité sociale est un élément fondateur de notre pacte social, elle peut être à l'équilibre mais il faut que l'État se comporte de manière honnête, y compris sur un plan d'écriture budgétaire.
Vous avez évoqué la création du cinquième branche autonomie. Que veut le parti socialiste pour éviter de nouveaux scandales éclaboussant les groupes privés gérant des Ehpad ?
Bernard Jomier : Depuis plusieurs années, j'ai dénoncé au Sénat le fait qu'il pouvait être plus rentable d'investir dans une chambre en Ehpad que dans de l'immobilier de bureau. C'est le signe d'une perte de sens dans la sphère médico-sociale. Nous avons besoin d'une loi cadre, que le gouvernement n'a pas souhaité présenter. Nous constatons actuellement que les règles sont beaucoup trop lâches : comment accepter que, en suivant une logique lucrative, on dégrade les ratios d'aide-soignant par patients ? Nous sommes en dessous de 0,50 soignant par patient dans le privé lucratif, contre 0,70 soignant par patient dans le public ainsi que dans les Ehpad privés à but non lucratif. Nous constatons une différence de ratio qui tient à un défaut de réglementation. Je tiens à préciser que nous ne sommes pas favorables à l'interdiction des Ehpad privés à but lucratif mais il me semble qu'un encadrement plus strict des ratios de prise en charge dans les Ehpad privés est indispensable. Cela doit être inscrit dans la loi.
Les autres propositions du programme santé du PS* :
dotation populationnelle en lieu et place de la T2A à l'hôpital
formation de 15 000 médecins par an, 1250 sages-femmes, 25 000 infirmiers et aides-soignants, 5000 logisticiens, techniciens et agents hospitaliers
mise en place d'un grand plan de prévention des maladies chroniques
reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle
création d'un service public d'accompagnement de la perte d'autonomie
droit d'accéder à une aide active à mourir
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Crédit image de Une : Philippe Lopez/AFP via Getty Images
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Citer cet article: Professionnaliser la 4ème année de médecine générale : 1 des mesures de la candidate Anne Hidalgo - Medscape - 25 mars 2022.
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