POINT DE VUE

Exercer la cancérologie en Ukraine aujourd’hui : témoignages de 2 oncologues

Kate Johnson

Auteurs et déclarations

24 mars 2022

France – Organisé le 18 mars dernier par l'American Society of Clinical Oncology (ASCO) et l'European Cancer Organisation (ECO), une rencontre en vidéo a permis à deux oncologues ukrainiens, le Dr Oleksandr Stakhovskyi et le Dr Andriy Hrynkiv d’apporter leur témoignage sur la situation dans leur pays.

Rester à Kyiv

Dr Oleksandr Stakhovskyi

L'unité d'oncologie pédiatrique de l'Institut national de cancérologie de Kyiv est vide, tous les enfants ayant été évacués vers des hôpitaux plus sûrs dans l'ouest de l'Ukraine ou au-delà.

Sur fond d'animaux colorés peints sur le mur, le Dr Oleksandr Stakhovskyi, évoque avec optimisme l'avenir de sa ville, de son pays et même de ses patients, tout en reconnaissant que ses mains de chirurgien sont désormais entraînées à utiliser une mitrailleuse.

« Ce n'est pas aussi grave que la semaine dernière », dit-t-il, expliquant que les habitants de Kyiv sont plus détendus aujourd'hui malgré les sirènes de raids aériens, parce que le système antimissile de la ville les a jusqu'à présent protégés.

Les missiles ont cependant continué à frapper des résidences de civils et le Dr Stakhovskyi, chirurgien urologue-oncologue, a fait évacuer du pays sa femme et ses enfants, comme 70% de ses collègues. Mais pour ceux qui sont restés à Kyiv, la détermination est forte.

« Des personnes qui travaillent dans l'informatique, le droit ou d'autres professions, ont tout simplement pris les armes et sont restés à Kyiv, » a-t-il déclaré à Medscape Medical News. « Ce sont juste des civils, armés, qui essaient de protéger et de fortifier Kyiv – de la rendre imprenable. »

Le Dr Stakhovskyi n'a pas d'antécédents militaires, mais il sait désormais comment utiliser une mitrailleuse. « Je suis un oncologue très spécialisé, mais je réalise que si je pars maintenant, cela donnera aux Russes une opportunité d'entrer dans la ville. Plus cela prendra du temps, plus l'armée adverse sera affaiblie. Et nous sommes de plus en plus optimistes ».

 
Je réalise que si je pars maintenant, cela donnera aux Russes une opportunité d'entrer dans la ville. Dr Oleksandr Stakhovskyi
 

Report des opérations

À Kyiv, O. Stakhovskyi répartit son temps de travail entre l'hôpital de cancérologie et l'hôpital militaire voisin. Mais, il explique qu’à ce jour, les victimes de guerre sont très peu nombreuses dans la ville, et que le flux de patients atteints de cancer a diminué.

« J'avais planifié mes opérations jusqu'à la fin du mois de mars, mais lorsque la guerre a éclaté, elles ont toutes été reportées », déclare-t-il. Les opérations oncologiques d'urgence ont été maintenues, et il est maintenant question d'en reprendre d'autres. « Nous allons répartir les patients en fonction de leurs besoins », précise-t-il. « Nous allons probablement opérer les patients pour qui la chirurgie peut en principe stopper la maladie et qui n'ont pas besoin de chimiothérapie néoadjuvante. »

Les cliniques d'oncologie médicale ont également repris, poursuit O. Stakhovskyi, mais le volume de patients est faible, car beaucoup ont quitté la ville. On estime que 3,3 millions de personnes ont quitté l'Ukraine depuis l'invasion russe du 24 février.

A Lviv : une augmentation du nombre de patients

À l'autre bout du pays, à Lviv, près de la frontière polonaise, le récit du Dr Andriy Hrynkiv, un autre chirurgien oncologue est assez différent. Lui explique que son hôpital a vu une augmentation spectaculaire du nombre de patients, déplacés dans le pays depuis des zones où l'infrastructure médicale s'est effondrée.

« Les forces russes ont détruit plus de 117 hôpitaux, 43 ambulances ont été la cible de tirs, 6 médecins ont été tués et 13 blessés », décrit A. Hrynkiv [au 18 mars, NDLT]. Dans la ville de Marioupol, « des médecins et des patients ont été pris en otage, » ajoute-t-il, et utilisés comme boucliers humains par les forces russes. À Kharkiv, qui compte environ 1,5 million d'habitants, le seul hôpital oncologique de la ville a été détruit.

On assiste à une pénurie de fournitures médicales et une incertitude règne sur l’approvisionnement, notamment pour tous les médicaments contenant de l'iode, que les citoyens stockent en prévision d'une éventuelle attaque nucléaire, explique-t-il.

L’aide des Sociétés savantes et de laboratoires pharmaceutiques

L’ASCO et l’ECO collaborent entre elles et avec l'Organisation mondiale de la santé pour créer un réseau spécial visant à mettre en relation des professionnels, des académiciens et des centres cliniques ainsi que des associations de patients.

En outre, l'Ukranian Society of Clinical Oncology (USCO), cofondée par le Dr Stakhovskyi, tente de maintenir le lien entre les patients et des organisations non gouvernementales.

Le Dr Stakhovskyi précise que l'USCO coordonne également la distribution d’anti-cancéreux, issus de don de sociétés pharmaceutiques.

Il reste optimiste malgré tout, un optimisme alimenté par le soutien que les Ukrainiens ressentent de la part du reste du monde.

 
Nous voyons la réaction de nos collègues au niveau international. C'est vraiment impressionnant et cela nous touche beaucoup. Dr Oleksandr Stakhovskyi
 

« Nous voyons la réaction de nos collègues au niveau international. C'est vraiment impressionnant et cela nous touche beaucoup. Nombre de mes anciens professeurs m'envoient des sms et des messages des quatre coins du monde, d'Allemagne, du Canada, de France, des États-Unis », conclut-il. « Et si nous ressentons de l’optimiste nous-mêmes, alors cela se transmet certainement à nos patients ».

 

L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous l’intitulé Hands Trained for Surgery Now on Machine Gun: Kyiv Oncologist. Traduit par Mediquality, membre du reseau Medscape

Suivez Medscape en français sur Twitter.

Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....