Paris, France — Après un suivi de cinq ans, moins de 1% des patients avec tumeurs intracanalaires et mucineuses du pancréas (TIPMP) des canaux secondaires développent un adénocarcinome, selon une étude observationnelle française, dont les résultats ont été présentés lors des Journées francophones d'hépato-gastroentérologie et d'oncologie digestive (JFHOD 2022) [1]. Un taux très en deçà de ceux rapportés dans de précédentes études, ce qui amène à reconsidérer les recommandations qui préconisent une surveillance annuelle par imagerie.
« Je reste étonnée du peu de cancer observés après ce suivi », a déclaré la Pre Vinciane Rebours (Hôpital Beaujon, AP-HP, Clichy), principale auteure de l’étude, lors d’une conférence de presse. Selon la gastro-entérologue, cette étude pourrait contribuer à modifier les dernières recommandations européennes sur la surveillance des patients avec TIPMP, qui devraient être renouvelées « d’ici deux à trois ans ».
Etant donné le faible effectif de patients ayant développé un adénocarcinome dans la cohorte, « il est difficile de déterminer les facteurs prédictif de dégénérescence » des lésions kystiques, a-t-elle précisé. D’autres travaux issus de cette étude devraient aider à affiner les critères. « Une surveillance tous les deux ans pourrait être suffisante en cas de petites lésions (< 10 mm) ».
Des lésions kystiques fréquentes
Les TIPMP sont des lésions précancéreuses du pancréas fréquentes, généralement découvertes de façon fortuite lors d’un examen par imagerie (IRM ou échoendoscopie). Estimée à 7% en population générale adulte, la prévalence de ces lésions kystiques augmente avec l’âge pour atteindre près de 15% chez les plus de 70 ans. Elles seraient à l’origine de 10% des cancers de pancréas.
Le risque de dégénérescence vers un adénocarcinome est variable selon la nature des lésions. Quelques critères essentiellement morphologiques ont été définis pour stratifier le risque de cancer à cinq ans. Celui-ci est > 50% en présence de critères de haut risque de malignité (atteinte du canal principal avec dilatation > 10 mm, bourgeon > 5 mm…) et > 4% en cas de signes dits d’inquiétude (pancréatite aiguë, diabète de novo, kyste > 40 mm…).
En l’absence de ces critères de dégénérescence, soit la grande majorité des cas de TIPMP, le risque de cancer est mal connu. Selon la littérature, il varie de 0 à 10%, voire plus à long terme. Une récente étude japonaise, qui a suivi plus de 1 000 patients avec un TIPMP des canaux secondaires, a révélé un risque de cancer de pancréas de 3,3% à 5 ans, qui augmente au cours du suivi pour atteindre 12% à 15 ans [2].
Compte tenu du risque potentiel de cancer, une surveillance doit être proposée lorsqu’un patient avec TIPMP ne présente pas l’un des critères, conformément aux dernières recommandations de 2018 des experts du Groupe européen d’études des tumeurs kystiques du pancréas [3]. Le suivi est annuel et basé essentiellement sur l’imagerie.
Seulement quatre cas de cancer invasif
Menée par la Pre Rebours et ses collègues, l’étude observationnelle prospective TEAM-P visait à évaluer la pertinence de ce suivi en déterminant le risque de dégénérescence à moyen terme des TIPMP des canaux secondaires sans critères de haut risque ou de signes d’inquiétude. Elle avait également pour objectif de déterminer les critères prédictifs dans ce sous-groupe.
Au total, 1 817 patients avec TIPMP-CS, en majorité des femmes (70%), ont été inclus dans 58 centres français. Ils étaient âgés en moyenne de 65,2 ans. Les TIPMP, exempts de signe de dégénérescence, ont été en majorité découverts de façon fortuite (78%) ou lors d’une pancréatite aiguë (13%). A l’inclusion, les lésions mesuraient en moyenne 11 mm de diamètre (les deux-tiers avaient un diamètre < 10 mm).
Basé sur les recommandations internationales, le schéma de surveillance était proposé selon la taille des lésions kystiques, en combinant au choix l’usage de l’IRM, de la tomodensitométrie et de l’écho-endoscopie.
Au cours du suivi, d’une durée moyenne de 4,29 ans, 38 patients ont été opérés, soit un taux de 2,1%, ce qui représente une incidence de 4 interventions pour 1 000 personnes-années. Les opérations ont été décidées après atteinte du canal pancréatique principal (n=14), pancréatite aiguë récidivante (n=13), augmentation rapide de la taille des lésions (n=13), apparition d’un bourgeon (n=9) ou d’une masse (n=3).
Les chercheurs ont rapporté 25 dysplasies de bas ou moyen grade, 9 dysplasies de haut grade et 4 cas de carcinome invasif, dont un formé à distance de la lésion, ce qui représente un taux d’incidence des lésions de haut grade ou invasives de 1,6 cas pour 1 000 personnes-années.
Une cohorte plus représentative
Chez les patients suivis pendant moins de cinq ans, le taux de lésions de haut grade ou invasives est de 0,6%. Au delà de cinq ans, il passe à 0,9%. Les patients présentant ces lésions étaient en léger surpoids (IMC médian de 25,5) et sans intoxication tabagique.
« Au final, il y a un très faible taux de dégénérescence. On est bien en deçà des chiffres publiés dans la littérature », a commenté la Pre Rebours. Pour expliquer cette différence, elle précise que les cohortes des études publiées provenaient de centres experts, tandis que dans la cohorte française, un tiers des patients étaient également suivis en médecine de ville.
Les experts européens recommandent un suivi annuel des patients opérables par IRM ou écho-endoscopie. « Au regard de ces chiffres, on peut penser que c’est excessif », estime la gastro-entérologue. Selon elle, la surveillance pourrait évoluer vers un suivi tous les deux ans pour les petits kystes de moins de 10 mm, comme le suggèrent déjà des experts internationaux.
D’autres travaux vont être menés à partir des données obtenues avec cette étude, notamment pour déterminer la meilleure stratégie de suivi et définir le coût de la surveillance des TIPMP préconisée par les experts européens « afin de savoir combien il faut dépenser pour éviter le développement d’un cancer du pancréas ».
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Crédit photo de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Cancer du pancréas: la surveillance annuelle des lésions kystiques remise en question - Medscape - 23 mars 2022.
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