
Dr Patrick Barriot
France—Quel est le programme du Rassemblement National pour la santé ? Medscape a interrogé le Dr Patrick Barriot, expert santé auprès de Marine Lepen, candidate du RN à la Présidentielle 2022.
Medscape édition française : L'hôpital public est en crise, faut-il revoir son financement ?
Dr Patrick Barriot : La crise de l'hôpital public dépasse la seule problématique de son financement. L'hôpital rencontre un problème d'effectifs, avec 30% des postes de PH qui ne sont pas pourvus, un déficit de personnels soignants de l'ordre de 50 000... Ces pénuries de personnel entrainent des fermetures de lits, et un état de détresse des soignants, qui ont l'impression de mal faire leur travail. Les hospitaliers rencontrent aussi une perte de sens, liée à leurs conditions de travail, qui dépassent largement les questions de financement. Je rappelle qu'en janvier 2020, plus de 1000 chefs de services avaient démissionné de leurs fonctions administratives. Récemment, quelque 500 de ces démissionnaires ont été interrogés au cours d'une enquête et ils ont affirmé que la situation depuis ne s'était pas arrangée, elle s'était même détériorée. Quoi qu'il en soit, sur le plan du financement de l'hôpital, nous sommes pour la suppression, ou tout du moins la réduction à 50% de la tarification à l'activité. Elle est inadaptée. Les autorités ont voulu calquer le système public sur le système privé, avec des indicateurs purement comptables et financiers. Cette T2A est inadaptée pour un grand nombre de soins, comme les polypathologies, et les maladies chroniques. Elle peut être adaptée pour certains actes avec un prix moyen, mais nous sommes plutôt favorables à la dotation globale. Il faut revoir ce principe dans tous les cas, qui participe d'une dérive bureaucratique de l'hôpital, qui aboutit à une déshumanisation des soins.
Comment réenchanter l'hôpital public et lui rendre son attractivité ?
Dr Patrick Barriot : Il faut nécessairement passer par une revalorisation des salaires, la refonte du statut des praticiens hospitaliers (actuellement en cours). En matière de salaire, le Ségur de la Santé a permis de gagner 10% mais les salaires des infirmiers restent en deçà de la moyenne de l'OCDE. Mais avant même de penser recruter, il faut d'abord mettre un terme à l'hémorragie de personnels. On parle d'un déficit de 25 000 personnels, mais à mon avis, il s'agit plus vraisemblablement de 50 000 personnels en plus. Il faut aussi améliorer les conditions de travail qui actuellement sont déplorables.
La pandémie de Covid a-t-elle un impact sur le programme santé du RN ?
Dr Patrick Barriot : Oui, car la mesure phare du programme santé du RN est de faire face aux maladies chroniques et au vieillissement de la population. Or, les maladies chroniques ont été aggravées par la pandémie : ainsi, le manque de dépistage du cancer aurait pu coûter jusqu'à 6000 vies selon la Ligue contre le Cancer, mais cela est vrai pour toutes les maladies chroniques, en particulier pour les maladies mentales, qui coûtent chaque année 110 milliards d'euros par an. C'est le premier poste de dépense de l'assurance maladie. Sans compter la perte de productivité, le coût de l'allocation handicapé... Il faut considérer que, du fait du covid, des mesures de rattrapage et de reprogrammation vont devoir être prises, car il y a eu tellement de ruptures de parcours de soins. Il faut aussi y ajouter les covid longs, etc. Il faut maintenant considérer comment on va faire face à cette problématique de rattrapage et de déprogrammation.
La médecine libérale est en pleine mutation actuellement. Que propose le RN pour accompagner ces changements ?
Dr Patrick Barriot : Sans évoquer le problème des déserts médicaux, en considérant la médecine générale, on note une évolution vers un exercice pluri-professionnel, et il est important d'accompagner cette évolution grâce aux maisons de santé pluri-professionnelles. Nous insistons aussi sur la création de maisons de santé pluri-professionnelles pédiatriques, avec des pédiatres, des auxiliaires de puériculture, des orthophonistes... Il n'y a pas, actuellement, de permanence de soins en pédiatrie, donc il est très important de créer cette trajectoire spécifique en pédiatrie. Et à cette fin il faut aussi développer l'exercice coordonné. Nous soutenons énormément le développement des équipes de soins coordonnés auprès du patient, qui sont des structures extrêmement souples. Nous nous sommes rendus compte que les CPTS n'ont pas répondu à leur objectif initial d'assurer les soins pour tous et en tout lieu. Pour gagner du temps médical, il faut être plus ambitieux, [donc] il nous faut notamment beaucoup plus d'assistants médicaux. Le gouvernement a créé 4000 postes d'assistants médicaux, mais c'est notoirement insuffisant, l'Ordre des médecins l'évalue à 30 000. Il faut que chaque médecin libéral puisse avoir un assistant médical. L'on voit bien que le temps administratif rogne de plus en plus de temps médical. Il faut aussi valoriser la visite à domicile car malheureusement il y en a de moins en moins. Aussi, pour désengorger les urgences, il faut mettre des cabinets libéraux à proximité des urgences des hôpitaux, car l'on estime que la moitié des urgences à l'hôpital relève de l'exercice libéral ambulatoire.
Quid des déserts médicaux ?
Dr Patrick Barriot : Il faut rappeler qu'il y a des déserts médicaux un peu partout et pas seulement dans la Creuse ou en Ardèche. Il y en a en Val-de-Loire ou même à proximité des grands centres urbains. Nous sommes opposés à toute mesure coercitive, d'installation ou de conventionnement sélectif. Nous proposons dans un premier temps de moduler le tarif de la consultation médicale en fonction des zones médicales et de revaloriser le tarif de la consultation dans les zones sous-dotées. Deuxième mesure : nous prônons la « démétropolisation » et le réaménagement des territoires, car il est évident qu'un jeune médecin n'ira pas s'installer dans un territoire où son conjoint n'aura pas de travail, où il n’y aura pas d’école pour leurs enfants, etc…
Le Rassemblement national compte-t-il réformer le financement de la sécurité sociale ?
Dr Patrick Barriot : Non, nous ne souhaitons pas révolutionner le système, mais nous sommes attentifs aux économies que l'on peut faire. Comme vous le savez, Marine Le Pen a insisté sur la problématique de la fraude aux prestations sociales : nous évaluons à 15 milliards d'euros l'argent que nous pourrions récupérer sur la fraude sociale. Nous défendons également la suppression de l'aide médicale d'État (AME), qui représente plus d'un milliard d'euros par an. D'autres économies sont à évaluer, en ce qui concerne par exemple la sur-représentation du personnel administratif à l'hôpital, que l'on veut réduire. Voilà, nous tablons beaucoup plus sur les économies que nous pouvons faire pour les redistribuer dans le soin, que sur une réforme de la sécurité sociale.
S'il y avait une mesure à retenir du programme du RN pour la santé, laquelle serait-elle ?
Dr Patrick Barriot : Un énorme effort de prévention et de dépistage, en matière de maladies chroniques, pour passer d'un système essentiellement curatif, à un système préventif, en faisant jouer un rôle majeur aux acteurs de première ligne.
Les autres propositions du RN pour la santé
Placer les hôpitaux sous la tutelle des préfets de région
Partager la gouvernance des hôpitaux entre le directeur et un médecin
Recruter 10 000 étudiants de plus en soins infirmiers
Consacrer 2 milliards d'euros à la revalorisation des salaires des hospitaliers
Fixer un plafond de 10% de postes administratifs dans les hôpitaux
Instaurer un moratoire sur la suppression des lits à l'hôpital public
Renforcer le personnel des urgences, créer un partenariat avec les cabinets médicaux, créer une filière distincte pour les personnes âgées
Financer l'hôpital sous la forme d'une dotation globale
Pour résoudre le problème des déserts médicaux, moduler le tarif de consultation en fonction du lieu d'installation, développer la télémédecine, desserrer le numerus clausus, encourager la prévention, multiplier les transferts de tache vers les pharmaciens, infirmiers, sages-femmes...
Rendre aux médecins leurs libertés de prescription et d'expression
Réduire l'aide médicale d'État à la seule prise en charge des soins urgents
Créer un ministère spécifiquement dédié à la lutte contre la fraude.
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Crédit image de Une : Eric Piermont/AFP via Getty Images
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Citer cet article: « Passer d'un système essentiellement curatif, à un système préventif » : la mesure phare du programme santé du RN - Medscape - 17 mars 2022.
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