France – Maladie chronique complexe, l'obésité infantile peut entraîner des problèmes de santé mais aussi des conséquences psychologiques et sociales graves. De fait, ces enfants sont plus souvent stigmatisés, harcelés et ont de moins bons résultats scolaires que ceux qui ne présentent pas de surpoids. Ceci a tendance à aggraver encore la prise de poids. Pour aider les professionnels de santé non spécialistes qui prennent en charge ces petits patients et leurs familles, la Haute autorité de santé (HAS) publie un guide afin d'optimiser le parcours de soins de l'enfant et de l'adolescent en situation de surpoids ou d'obésité[1]. Il a fait l'objet d'une présentation lors du Congrès de Médecine Générale France fin mars 2022.
Interrogés par Medscape édition française, le Dr Véronique Nègre, pédiatre au CHU de Nice et présidente de l’APOP (Association pour la Prise en charge et la prévention de l’Obésité en Pédiatrie) et ainsi que le Pr Jean-Claude Carel, pédiatre à l'hôpital Robert-Debré à Paris, et coordinateur du CINFO (Centre Intégré Nord Francilien de l’Obésité) ont souligné lce qu'ils considèrent être des points clefs dans ce guide très complet.
Dix messages pour améliorer les pratiques
La HAS a mis en exergue dix messages-clefs :
Mesurer l’IMC tout au long de l’enfance et de l’adolescence pour dépister et diagnostiquer précocement un surpoids ou une obésité. Pour le faire, le document de la HAS insiste sur la réalisation des courbes de référence du carnet de santé qui permettent au médecin de constater une ascension continue de la courbe de corpulence depuis la naissance, un rebond d’adiposité précoce ou encore un changement rapide de couloir de la courbe de corpulence vers le haut.
Prescrire des examens biologiques de manière ciblée. Il faut distinguer le surpoids sans signe clinique évocateur d’une complication de la situation d'obésité. Dans le premier cas, aucun examen biologique n’est nécessaire. En revanche, lorsque le médecin constate une obésité avec un IMC supérieur à 30, il propose de faire réaliser, sans urgence, un bilan biologique est à réaliser, selon les antécédents familiaux, l’historique et la dynamique de la courbe de croissance et l’histoire clinique de l'enfant ou de l'adolescent.
S’appuyer sur une évaluation multidimensionnelle dès le diagnostic et l’annonce d’un surpoids ou d’une obésité. Pour se faire, le document de la HAS propose de « prendre l’appui d’un ou plusieurs professionnels en proximité (champ sanitaire, social, médico-social, scolaire) ou d’une équipe spécialisée dans l’obésité ». Le répertoire opérationnel des ressources (ROR) régional peut être utile à ce moment-là.
Graduer et moduler les soins et l’accompagnement selon la complexité de la situation. Cette notion de graduation est nouvelle selon les deux spécialistes interrogés qui insistent toutefois sur le fait que les parcours pluridisciplinaires gradués promus par le guide ne bénéficient pas encore de financement.
Proposer des soins et un accompagnement dès le diagnostic d’un surpoids ou d’une obésité. Différents intervenants peuvent être sollicités : médecin, infirmier ou encore puéricultrice, et selon les besoins, enseignant en APA, diététicien, psychologue, pédopsychiatre, kinésithérapeute, ergothérapeute, psychomotricien. Le document détaille les situations dans lesquelles il faut solliciter tel ou tel professionnel.
Perdre du poids n’est pas un objectif prioritaire sauf en cas de complications. Il s'agit d’infléchir la courbe de corpulence tandis que la croissance se poursuit et, en fin de croissance, de stabiliser le poids. Aussi l'objectif principal des soins et de l’accompagnement est de modifier certaines habitudes de vie en cause dans la prise de poids, et d'aider la famille au rééquilibrage alimentaire, à la diminution des comportements sédentaires ou encore à la reprise de l’activité physique.
Compléter si besoin par un séjour en soins de suite et de réadaptation dans les situations complexes
Préparer la transition vers l’âge adulte dès le début de l’adolescence. La démarche de transition doit commencer tôt, entre 11 et 15 ans. Pour s'y préparer, le médecin peut proposer une évaluation pour aider l’adolescent à prendre conscience de son niveau d’autonomie, vers 15-16 ans.
Accompagner l’enfant/l’adolescent(e) en situation de handicap et ses parents. Les recommandations sont valables que les enfants soient en situation de handicap ou non mais la HAS préconise qu'elles soient adaptées en fonction de la nature des difficultés et des possibilités qui peuvent être évolutives. Une spécificité pour les enfants en situation de handicap : « Il est essentiel de prévenir dès le plus jeune âge l’évolution vers un surpoids ou une obésité en lien avec la maladie ou les traitements médicamenteux, en associant systématiquement les parents et les professionnels des structures et services médico-sociaux le cas échéant », indique le guide.
Favoriser l’engagement des associations d’usagers
La courbe de poids, un impératif pour le repérage
Le Pr Jean-Claude Carel considère que le repérage « n'est pas bon ». Pour lui, les courbes de poids et de taille sont essentielles. « Dans 90 % des cas, la taille et le poids sont indiqués à chaque visite dans les pages tableaux du carnet de santé, mais il n'y a pas de report sur les courbes » constate-t-il soulignant « une vraie vertu » au calcul de l'IMC. « C'est vraiment utile car l'appréciation visuelle n'est pas évidente pour repérer un enfant en surpoids. » explique-t-il.
« Souvent, il y a eu un rebond d'adiposité entre 3 et 6 ans , c'est-à-dire une prise de poids excessive pendant cette période, puis on constate une stabilisation et ensuite une aggravation à l'adolescence. On aimerait intervenir au moment de la prise de poids mais visuellement cela ne se voit pas pour un parent. Un professionnel de santé peut repérer ce rebond d'adiposité s'il construit la courbe de poids », renchérit le Dr Véronique Nègre. Elle considère que l'orientation dans un service spécialisé doit être envisagée en cas de facteurs de gravité ou en cas d'évolution rapide. Sinon le médecin de ville, de la maison de santé ou le pédiatre peut établir le diagnostic.
Le guide de la HAS détaille les différents points de vigilance lors de l'annonce du diagnostic :
« Faciliter le dialogue : utiliser les bonnes pratiques de communication, choisir ses mots pour éviter de blesser, de culpabiliser, de stigmatiser, et construire un langage commun.
Recourir à la médiation en santé ou à l’interprétariat linguistique en santé lorsqu’il existe une barrière de langue associée aux migrations de population.
Sensibiliser les parents à la prévention de la stigmatisation au sein de la famille, dans les lieux de soins et de vie. »
Si le guide souligne le rôle essentiel des médecins scolaires après six ans, Véronique Nègre et Jean-Claude Carel rappellent combien la médecine scolaire souffre de pénurie.
Choisir ses mots
« C'est particulièrement intéressant que le guide insiste sur la stigmatisation et les risques d'une approche non adaptée », fait remarquer Véronique Nègre. « Lors de nos journées de bilan pluridisciplinaire, il nous arrive fréquemment de voir des enfants terrorisés. Cela veut dire qu'ils ont entendu des discours inadaptés et culpabilisateurs auparavant de la part de médecins ou de diététiciens », déplore-t-elle. Avant d'insister : « les recommandations de la Haute Autorité de Santé de 2011, qui sont toujours d'actualité, indiquent clairement qu’il ne faut pas faire de régime et qu’il n’y a pas d’aliments interdits ».
Une mauvaise expérience avec un professionnel de santé peut être à l'origine d'une prise en charge retardée de plusieurs années. « Or, un enfant en fort surpoids non pris en charge peut être harcelé et la prise de poids est alors majorée par les difficultés sociales et émotionnelles. Ces enfants arrivent chez nous adolescents avec une obésité qui aurait pu être évitable, me semble-t-il. Et cela m'attriste ». « Outre la culpabilisation des familles qui est un frein évident à la prise en charge thérapeutique, il faut aussi rappeler l'importance des déterminants sociaux », tient à ajouter le Pr Carel. Pour lui, le médecin doit garder en tête le rôle de l'environnement familial, sociétal et économique dans la prise en charge de l'obésité.
Quelle conduite tenir au moment du diagnostic pour ne pas blesser et faire prendre conscience à l'enfant et aux parents de la nécessité d'agir ? « Je pense qu'il faut montrer aux parents le décrochage sur la courbe. Puis les interroger sur l'appétit de l'enfant », conseille Véronique Nègre qui constate lors des formations professionnelles qu'elle anime que les médecins s'intéressent davantage au contenu de l'assiette et à l'offre alimentaire qu'à la quantité. Une erreur selon elle. « Ces enfants ont un appétit très important et ils mangent beaucoup trop par rapport à leurs besoins. Je crois qu'il faut l'expliquer aussi simplement que cela aux parents », indique-t-elle.
L'objectif est d'aider l'enfant à manger en quantité adéquate et autoriser les parents à refuser de la nourriture à un enfant qui réclame trop fréquemment. « Je sais que c'est difficile de dire non à un enfant qui a faim. On va proposer aux parents de les guider pour éviter que l'enfant grossisse trop, pour qu'il soit en bonne santé et qu'il ne soit pas moqué ». Pour elle, cette approche, commencée le plus précocement possible, « n'enlève pas la prédisposition à la prise de poids, mais les enfants apprennent ainsi à se connaître », ce qui évite le harcèlement.
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Citer cet article: Surpoids ou obésité infantile : la HAS publie un guide de bonnes pratiques - Medscape - 14 mars 2022.
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