France – La transe, pratique traditionnelle des chamanes de Mongolie, fascine les neuroscientifiques. Elle est désormais enseignée dans une université parisienne et pourrait même constituer une nouvelle offre de soins en oncologie ou dans la douleur chronique, aux côtés de l’hypnose et de la méditation. Explications de 3 scientifiques.
Voyage en Mongolie
Vos patients ne le savent pas encore mais, dans les années qui viennent, il est possible qu’un médecin ou un psychologue leur propose d’entrer en transe. Comment ces pratiques chamaniques, a priori très éloignées de notre culture occidentale, pourraient-elles entrer dans le domaine du soin ? Tout est parti de l’expérience de Corine Sombrun, une ethno-musicienne qui a expérimenté la transe lors d’un voyage en Mongolie, en 2001. De retour en France, elle entre en contact avec des scientifiques et fonde en 2019 le TranceScience Research Institute, dont l’objet est d’asseoir cette pratique sur des bases scientifiques solides. Cet institut collabore aujourd’hui avec des neuroscientifiques, spécialistes des états de conscience modifiés, notamment l’équipe du GIGA-Consciousness de l’université de Liège en Belgique dirigée par le neurologue Steven Laureys. Un diplôme universitaire a même accueilli ses premiers étudiants en novembre 2021, à l’université Paris VIII, sous la houlette d’un spécialiste de l’hypnose, le Pr Antoine Bioy, psychologue clinicien et professeur de psychologie clinique et psychopathologie sur l'université de Paris 8.
Transe, hypnose, méditation : quelles différences ?
La transe permet d’expérimenter un «état de conscience modifié» comme peuvent l’être l’hypnose ou la méditation. « La transe est caractérisée par des modifications de la conscience de soi et de l’environnement, cette conscience pouvant être plus élargie, plus étendue », explique le Dr Audrey Vanhaudenhuyse, neuropsychologue, chercheuse au centre interdisciplinaire d’algologie du CHU de Liège et directrice d’un laboratoire du GIGA-Consciousness : Sensation & Perception Research Group.
Publiée en 2017, une étude sur la transe chamanique, menée par une équipe de psychiatres canadiens et Corine Sombrun, s’est intéressée non seulement aux spécificités de l’électroencéphalogramme en état de transe, mais aussi aux récits d’un volontaire. Il y est question de distorsions temporelles, de force musculaire décuplée, de disparition de la douleur… « Ces travaux qui portent sur de petits échantillons doivent être vérifiés par des études plus robustes et plus larges. Et c’est précisément ce que nous faisons à l’université et au CHU de Liège », précise Audrey Vanhaudenhuyse.
Chaque transe est différente
Pour entrer dans un état de conscience modifié, un inducteur est nécessaire. Dans le cas de l’hypnose, le psychothérapeute joue ce rôle. Par la force de la suggestion, il attire l’attention du sujet sur un élément visuel ou une sensation corporelle, par exemple de légèreté ou de lourdeur. Dans la méditation, cette attention est focalisée sur le flux de pensées, sur la respiration ou sur un objet.
L’entrée en transe est différente. « La transe est comme une serrure. Différents trousseaux de clés peuvent l’induire », observe Antoine Bioy. Elle peut être déclenchée par un son, une vocalise ou un simple mouvement du corps. À chacun de découvrir sa propre clé. Les premières séances se font avec l’aide d’un «facilitateur», une personne initiée qui, selon Antoine Bioy, « va encourager par sa présence à laisser aller ce qui vient ».
Selon lui, on peut aussi « mettre une intention » sur la transe, par exemple retrouver un souvenir d’enfance ou sortir de son corps. L’expérience, toujours puissante, n’est pas forcément agréable. « La transe remue beaucoup d’émotions au départ, et puis ça s’allège au fil du temps et de la pratique », observe Audrey Vanhaudenhuyse qui n’a pas hésité à la tester. Sa consœur, le Dr Olivia Gosseries, chercheuse qualifiée FNRS (Fonds de la recherche scientifique) et co-directrice du Coma Science Group (un laboratoire du GIGA-Consciousness), se souvient pour sa part d’envies de vomir, « comme si je n’avais pas digéré quelque chose, comme s’il fallait que ça sorte pour que je me sente mieux après. »
La transe, une capacité innée
Selon l’Institut TranceScience, quelques jours d’apprentissage suffisent à s’initier à ce que Corine Sombrun appelle la « transe cognitive auto-induite », un état dans lequel on entre volontairement, sans aide extérieure. « Plus on pratique et plus c’est facile d’y entrer. C’est une capacité innée. Nous sommes tous capables d’entrer en transe ou en hypnose, mais avec des sensibilités différentes », observe Audrey Vanhaudenhuyse.
La transe n’est pas réservée à quelques initiés. La plupart des gens peuvent en faire l’expérience. « Selon Corine Sombrun, 80 % des personnes réussissent à entrer en transe au premier essai, 90 % au deuxième essai. Ces chiffres, qui restent à confirmer, sont comparables à ceux de l’hypnose qui présente également 10 % de personnes résistantes », estime Antoine Bioy.
Les chercheurs restent cependant prudents. Par sa charge émotionnelle, la transe est susceptible de déséquilibrer un mental fragile. « Ce n’est pas anodin. En cas de trouble psychologique, il faut l’accord d’un médecin avant d’expérimenter la transe. Comme pour l’hypnose », confirme Audrey Vanhaudenhuyse.
Quelles applications thérapeutiques ?
L’équipe belge mène actuellement deux études scientifiques autour de la transe. La première compte une vingtaine de participants-experts, tous initiés à la transe cognitive auto-induite par l’institut TranceScience. « Nous avons évalué la perception de la force musculaire et nous commençons à travailler sur la douleur », explique Olivia Gosseries.
La seconde étude porte sur des patients atteints de cancer, après la fin de leur traitement. Trois groupes de 40 personnes ont été formés, en fonction de leurs affinités pour différentes pratiques. Le premier a choisi l’auto-hypnose, le second l’auto-compassion en pleine conscience (une forme de méditation) et le troisième la transe cognitive auto-induite. « Le but est d’évaluer leurs expériences respectives et d’analyser les contenus rapportés, précise Olivia Gosseries. Des électroencéphalogrammes sont pratiqués régulièrement et des questionnaires portant sur l’anxiété, la dépression, la douleur, la fatigue, les troubles cognitifs perçus ou encore la gestion émotionnelle, leur sont proposés ». Le protocole est prévu sur quatre ans. Il a démarré en janvier 2021 avec l’aide d’une post-doctorante Charlotte Grégoire et d’une doctorante Nolwenn Marie*. L’équipe scientifique espère mettre en évidence des différences entre l’hypnose, la transe et la méditation, en termes d’amélioration de la qualité de vie. On peut imaginer qu’à l’avenir, les patients se verront proposer la technique qui leur convient le mieux, en fonction de leurs symptômes.
* Ces recherches sont financées par le Télévie (opération caritative belge et luxembourgeoise), la fondation contre le cancer et la fondation Bial.
Des formations universitaires
D’ores et déjà, la transe suscite un certain intérêt. En témoigne le lancement d’un diplôme universitaire (DU) « Etude des transes et des états de conscience modifiés » en novembre 2021 à l’université Paris VIII. « C’est le tout premier en Europe », se réjouit Antoine Bioy, l’un de ses initiateurs. Sur quelque 130 candidatures, 35 étudiants ont été admis. Leur profil : professions médicales, paramédicales, psychologues ou chercheurs. La session 2021-2022 leur permet d’acquérir des bases théoriques sur la transe, sur le plan historique, anthropologique et neuroscientifique.
Pour la pratique, il faudra attendre l’ouverture d’un DESU (diplôme d’études supérieures universitaires) à la prochaine rentrée. « Il est nécessaire d’évaluer la transe cognitive auto-induite et de la tester avant de la proposer à des thérapeutes », insiste Olivia Gosseries. Il est encore trop tôt pour affirmer que la transe est sortie du domaine de l’ésotérisme pour entrer dans le champ des soins de support.
La Diagonale de la joie de Corine Sombrun, Albin Michel, 2021
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Citer cet article: Anxiété, douleur, dépression… : entrez dans la transe ! - Medscape - 16 mars 2022.
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