France— Le 16 janvier dernier paraissait au Journal officiel le cahier des charges des toutes nouvelles salles "halte soins addiction". Digne successeur des salles de consommation de moindre risque (SCMR), les « haltes soins addiction », tout en s'inscrivant dans la droite ligne des SCMR, visent une prise en charge plus large. Le Pr Nicolas Simon, médecin addictologue et pharmacologue à l'assistance publique des hôpitaux de Marseille, nous fait part de son engouement pour ce tout nouveau dispositif.

Pr Nicolas Simon
Medscape édition française : Quels sont les principaux enseignements que l'on peut tirer des SCMR ?
Pr Nicolas Simon : Il faut d'abord savoir que ce dispositif que la France a découvert récemment est utilisé depuis dix à quinze ans dans d'autres pays. J'ai envie de dire que l'on a réinventé la roue. De manière plus élégante, je dirai que les études françaises nous ont confirmé les enseignements de l'étranger. Les principaux résultats de Strasbourg et de Paris sont en droite ligne avec les publications qui existent, que ce soit en Espagne, au Canada, partout où l'on a mené des expérimentations. Avoir une étude confirmatoire, scientifiquement parlant, c'est toujours intéressant, car cela vient confirmer que ce qui avait été observé ailleurs n'était pas le fruit du hasard. L'arrêté sur ce point est très clair : il établit que ce qui a été démontré via les SCMR est ce qui avait déjà été prouvé dans des études d'autres pays.
Qu'est-ce qui a été démontré ?
Pr N. Simon : Dans un premier temps, l’on a constaté que, dès lors que ces structures sont placées dans des endroits de consommation de drogues, cela ne nuit pas à l'environnement social. Ça aurait même plutôt tendance à le régulariser. Voilà pour ce qui concerne l'acceptabilité sociale, qui est l'aspect le plus difficile à faire passer. Vis-à-vis des patients, cela présente de nombreux avantages, en rendant accessibles un certain nombre d'usagers qui d'ordinaire nous échappent. Cela nous permet d'aller vers eux, de les impliquer et de les faire rentrer dans le soin. Cela nous permet aussi de faire du dépistage, de traiter un certain nombre de maladies transmissibles, comme l'hépatite ou le VIH... Cela permet aussi de diminuer un certain nombre de problèmes de santé dus à une mauvaise hygiène par exemple. On peut ainsi limiter le risque d'overdose mais aussi d'abcès causés par des mauvaises injections. Sur le plan social, cela permet également d’intégrer ces usagers dans une recherche d'hébergement, d’un médecin traitant, etc. Toute sorte de prise en charge qui d'ordinaire sont impossibles, puisque ce sont des personnes que nous ne voyons pas. Tout cela est listé dans l'arrêté et cela confirme les données internationales.
Quel sont selon vous les principales différences entre les SCMR et les nouvelles « haltes soins addictions » ?
Pr N. Simon : Elles sont mieux cadrées et très ouvertes. Des SCMR sont par exemple très focalisées sur les injections, là ce n'est pas le cas. Mais sinon le principe reste le même.
Le volet social semble très important dans cette nouvelle expérimentation. Vous sentez-vous concerné en tant que médecin ?
Pr N. Simon : Oui, c'est fondamental car quand vous voulez vraiment aider quelqu'un il faut adopter une approche holistique, et pas seulement somatique. Un usager qui ne sait pas où dormir, qui boit parce qu'il est stressé, qui s'injecte des substances parce qu'il est au bout du bout, doit être aidé au niveau social pour résoudre ces problèmes de consommation. Si ce n'est pas le cas, vous ne l'aiderez pas.
Dans votre pratique professionnelle, qu'attendez-vous des « haltes soins addictions » ?
Pr. Nicolas Simon : Les haltes soins addiction sont un outil complémentaire à notre pratique. Elles nous permettent d'approcher des gens que l'on ne voit pas à l’hôpital par définition. Je travaille dans un CHU où nous n'avons pas l'occasion de rencontrer cette frange de la population. C'est le principal intérêt de ces haltes soins.
Vous avez évoqué des pays voisins qui avaient une dizaine d'années d'avance sur la France en ce qui concerne les haltes soins addictions, de quels pays s'agit-il ?
Pr N. Simon : Il y en a à Bilbao en Espagne, au Canada, en Suisse, également.
Y a-t-il dans ces pays des expériences novatrices dont la France pourrait s'inspirer ?
Pr N. Simon : Il faut tout de même rappeler que la France a un réseau Csapa (centres de soin, d'accompagnement et de prévention en addictologie) et Caarud (centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues) dont elle peut s'enorgueillir. Nous pouvons également vanter le fait que nous disposons en France de deux molécules pour la prescription que sont la méthadone et la buprénorphine. La délivrance n'est pas simple mais plutôt gérable. Nous ne sommes pas mal lotis. Maintenant, il est vrai qu'il existe des expérimentations dont nous pouvons nous inspirer, comme l'héroïne médicalisée dispensée en Suisse par exemple, ou la morphine administrée pour des traitements de substitution. Nous sommes en revanche faibles en matière de couverture hospitalière.
Voyez-vous des désavantages aux haltes soins addictions ?
Pr N. Simon : Je trouve que c'est une vraie avancée sur le plan médical et social. Le seul souci de ces établissements, c'est l'acceptabilité sociale. Les maires sont réticents à accorder des autorisations d’ouverture de ce type de dispositifs. Nous le savons, à Marseille, puisque nous voulions en installer une mais nous avons été confrontés à un frein politique local. Dans le texte lui-même, tout peut être amélioré, mais en l'état c'est une belle avancée.
Allez-vous demander à Marseille l'ouverture d'une halte soins addictions ?
Pr N. Simon : Je me suis empressé de signaler le dispositif auprès du directeur général de l'AP-HM, et j'aimerais bien avoir une réponse positive...
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Crédit image de Une : APHM
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Citer cet article: Haltes soins addiction : « elles nous permettent d'approcher des gens que l'on ne voit pas à l’hôpital » - Medscape - 11 mars 2022.
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