Jadot veut un ministère de la santé environnementale mais pas seulement…

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

10 mars 2022

Yannick Jadot

France— Recrutement de 100 000 infirmières à l’hôpital en cinq ans, premières années d’exercice des généralistes en zone sous dense pour améliorer l’accès aux soins, création d’un ministère dédié à la santé environnementale... Yannick Jadot souhaite une réforme en profondeur du système de santé qui érigerait en priorités la prévention et la gestion des risques liés aux expositions environnementales. Consultant en affaires publiques dans les politiques de santé, Béchir Saket, délégué à la santé de Yannick Jadot (avec Anne Sourys), présente à Medscape France les axes phares du programme du candidat écologiste à la présidentielle.

Le système de santé français a été bousculé par l’épidémie de Covid. Quels enseignements le candidat Jadot tire-t-il de la gestion de cette crise sanitaire ?

Béchir Saket : Cette crise a mis en lumière la paupérisation du service public de santé depuis une vingtaine d’années. Cela doit nous amener à réagir. Nous devons considérer la santé comme un bien commun essentiel et même l’ériger en droit constitutionnel. Nous devons mettre fin à la rigueur budgétaire et arrêter de considérer l’hôpital public comme une entreprise. Le budget de la santé devrait lui être déterminé en fonction des besoins dans les territoires et des problématiques locales.

Yannick Jadot augmentera-t-il le budget alloué à la santé qui représente 12% du PIB en France ?

Béchir Saket : Une chose est sûre, il faut accroître de 4 % le montant de l’Ondam hospitalier et favoriser l’hôpital public plutôt que les établissements privés à but lucratif. Le budget de la prévention doit lui aussi augmenter. Le meilleur système de santé est celui qui empêche les maladies plutôt que celui qui les soigne. La santé doit devenir un objectif de l’ensemble des politiques publiques, qu’il s’agisse du sport, de l’alimentation, de l’agriculture, du travail. Au final, il ne sera pas forcément nécessaire d’augmenter considérablement le budget de la santé car quand tout le monde aura une meilleure alimentation, fera davantage de sport, et que les travailleurs se sentiront mieux dans le cadre de leur exercice professionnel, nous aurons moins de burn-out, de diabète, de cancers…

La France est en retard en matière de santé environnementale. Quelles sont les priorités en la matière du candidat écologiste ?

Béchir Saket : Nous projetons de créer un ministère de plein exercice dédié à la santé environnementale. Nous devons créer la révolution de la prévention à l’école en transmettant les bons gestes aux enfants dès le plus jeune âge. La prise de décision doit être facilitée au niveau local. Yannick Jadot préconise la création de collectivités de santé, des circonscriptions de 100 000 à 150 000 habitants qui réuniront les professionnels de santé et les élus et auront à mettre en place des politiques de santé environnementale et de prévention coordonnées à l’échelle d’un territoire.

 
Nous projetons de créer un ministère de plein exercice dédié à la santé environnementale.
 

Yannick Jadot veut « reconstruire un service public de la santé ». Comment ?

Béchir Saket : Tout d’abord, il faut mettre fin à l’endettement des hôpitaux et assurer des financements pérennes. Aujourd’hui, les hôpitaux sont submergés, les professionnels de santé au bout du rouleau. Nous abolirons la convergence tarifaire. Nous avons une règle d’or pour l’hôpital public : nous n’accepterons plus que l’hôpital public soit en sous-effectif. Nous voulons aussi renforcer le lien entre médecine libérale et l’hôpital, désengorger les urgences grâce à une plus importante permanence des soins en ville, et concentrer la prise en charge des cas les plus lourds à l’hôpital.

Malgré les revalorisations du Ségur de la Santé, les soignants quittent l’hôpital public. Il n’a jamais autant manqué d’infirmières. Que fera Yannick Jadot pour redonner envie de travailler à l’hôpital ?

Béchir Saket : L’engagement de Yannick Jadot, c’est de recruter 100 000 infirmiers et infirmières pendant le quinquennat. La France compte environ 760 000 infirmiers dont près des deux tiers à l’hôpital. On en forme près de 30 000 par an. Ce n’est pas suffisant. Les infirmières et les aides-soignantes sont notoirement sous-valorisées. Nous réclamons qu’elles perçoivent le salaire moyen des professionnels de santé de l’OCDE. Cela représente une nouvelle hausse de 140 à 160 euros par mois. Il faut aussi revaloriser le travail de nuit payé de façon indigne. Nous proposerons de revoir le rythme de travail à l’hôpital. Infirmières et aides-soignantes s’épuisent car elles font des heures sup pour pallier les absences. Jusqu’au stade où elles n’en peuvent plus. Il faut mettre fin à cet engrenage. Nous voulons engager une négociation et favoriser le passage aux 3x8 h plutôt qu’aux plages de 12 heures. Pour améliorer les conditions de travail, nous mettrons en place des ratios de patients pouvant être pris en charge par une infirmière. Nous rétablirons pour les infirmières et les aides-soignantes l’attribution d’une année de retraite au titre du compte de pénibilité pour dix ans de travail. Enfin, il est crucial d’améliorer leur qualité de vie au travail, leur permettre d’avoir une salle de pause hors du service, d’avoir accès à une psychologue du travail…

 
L’engagement de Yannick Jadot, c’est de recruter 100 000 infirmiers et infirmières pendant le quinquennat.
 

Les soignants à l’hôpital déplorent l’absence de perspective de carrières avec un salaire figé. Que leur proposez-vous ?

Béchir Saket : L’évolution des statuts et des rémunérations en cours de carrière est problématique. Il faut valoriser le rôle de ces soignants dans la prise de décision à l’hôpital. Le statut d’infirmière de pratique avancée (IPA) est un premier pas mais il n’est accessible que par la formation. Nous voulons qu’une infirmière, à l’échelle d’une carrière, puisse valoriser ses acquis à travers la formation continue, pour gagner des échelons et revaloriser son salaire. En ville, le médecin garde un rôle essentiel pour poser le diagnostic et assurer le suivi du patient mais il ne peut pas tout faire seul. Il reviendra de plus en plus aux infirmières d’assurer la coordination du travail des professionnels de santé. Dernier point, selon les syndicats, 180 000 personnes formées au métier d’infirmière n’exercent pas aujourd’hui. Dès notre arrivée aux responsabilités, nous renforcerons les dispositifs financiers et sociaux pour les inciter à revenir travailler à l’hôpital.

Six millions de Français n’ont pas accès à un médecin traitant. Comment empêcher que les inégalités d’accès aux soins se creusent ?

Béchir Saket : 10 % des Français vivent dans un désert médical. Il faut donner corps au numerus apertus. Aujourd’hui, les ARS, en lien avec les facs de médecine, déterminent les capacités d’accueil mais si on ne leur donne pas plus de moyens, ces UFR ne peuvent pas accueillir davantage d’étudiants. Il faut plus d’enseignants et de terrains de stage pour recruter une nouvelle génération de médecins. Les médecins généralistes passent un temps important à des tâches administratives. Nous les aiderons à recruter des assistants. Si les praticiens peuvent accueillir un peu plus de patients, cela permettra déjà de pallier quelques difficultés dans les déserts médicaux.

Faut-il revoir la liberté absolue d’installation pour améliorer la présence médicale ?

Béchir Saket : Nous connaissons les oppositions qu’il peut y avoir sur cette question mais il est important d’agir. Nous proposons une mesure temporaire, le temps de voir arriver une nouvelle génération de médecins. Nous voulons que les internes qui s’orientent chaque année vers la médecine générale réalisent leur dernière année d’internat et leurs deux premières années d’exercice dans un désert médical. Un dispositif équivalent sera pensé pour les spécialistes.

 
Nous voulons que les internes qui s’orientent chaque année vers la médecine générale réalisent leur dernière année d’internat et leurs deux premières années d’exercice dans un désert médical.
 

Dans les zones suffisamment dotées en médecins, nous mettrons en place un conventionnement sélectif simple et nous interdirons toute nouvelle installation conventionnée (hors remplacement). Nous n’imposerons pas un lieu d’installation aux nouveaux médecins mais nous n’accepterons pas le conventionnement dans les 10 à 20 % de zones suffisamment dotées en médecins. La formation et le recrutement d’assistants sont des réponses de long terme, les mesures d’urgence devraient nous permettre d’améliorer la situation sur le court terme.

Ces dernières années, le gouvernement a privilégié les organisations collectives et interpro, les maisons de santé, les CPTS, les délégations, les assistants médicaux et IPA. Poursuivrez-vous ce mouvement ?

Béchir Saket : Les MSP sont formidables pour les jeunes médecins qui ne veulent pas travailler seuls. Le salariat des médecins n’est plus un tabou. Nous allons l’encourager. Le salariat a l’intérêt d’apporter aux médecins une protection sociale. Il faut favoriser la coordination entre les professionnels de santé. Nous voulons la simplifier quand c’est possible par le truchement des collectivités de santé qui rassembleront tous les professionnels des GHT, des CPTS….

La consultation d’un médecin généraliste est à 25 euros. Yannick Jadot est-il favorable à la revalorisation des médecins ? Donnerez-vous plus de place aux forfaits ?

Béchir Saket : Augmenter la consultation ne nous paraît pas être une priorité, la rémunération globale des médecins français étant plutôt au-dessus de la moyenne de leurs confrères de l’OCDE. Il nous paraît en revanche primordial de renforcer certaines consultations spécifiques des médecins généralistes qui assurent la continuité de la prise en charge de patients en addictologie ou en santé mentale. Cela devra être discuté avec les professionnels de santé.

La crise sanitaire et un récent livre ont mis au jour la souffrance et même la maltraitance des personnes âgées en Ehpad. Que propose Yannick Jadot pour réformer la dépendance ?

Béchir Saket : Notre société doit revoir son rapport aux personnes âgées. Il ne s’agit pas seulement de la dépendance. Comment prend-t-on en charge, comment accompagne-t-on et comment héberge-t-on les personnes âgées ? Le gouvernement a créé une 5e branche sur l’autonomie, c’est une bonne mesure mais elle est insuffisante. Son budget est ridicule. Nous la financerons mieux. Nous interdirons les établissements lucratifs qui font des bénéfices sur le dos des personnes âgées. Nous ne voulons pas supprimer ces établissements. Nous leur proposerons de changer de statut. Ceux qui refuseront pourront être rachetés par l’Etat mais l’idée n’est bien évidemment pas de donner des milliards à Korian, Orpea ou Domusvi. Par ailleurs, pour assurer des conditions d’accueil dignes, nous établirons des indicateurs de qualité et fixerons par la voie réglementaire un tarif minimum pour chacun des actes (change, repas, dispositifs médicaux…).

 
Notre société doit revoir son rapport aux personnes âgées.
 

Les autres mesures santé du candidat

Légaliser la vente du cannabis : l'Etat encadrerait la production et la vente de cannabis. Les taxes perçues sur les ventes financeraient les politiques de santé publique et de prévention des drogues.

Baisser la TVA à 0 % sur les produits issus de l'agriculture biologique : Au-delà de la TVA à 0 % pour les produits bio, le candidat écologiste propose de relever de 5,5% à 20% le taux de TVA pour « une liste de produits trop gras, trop sucrés ou ultratransformés ». Une loi porterait un « objectif de 100 % de produits bio dans chaque cantine en 2027 ».

Etablir un « Planet score » pour tous les produits alimentaires, qui tiendrait compte des critères pesticides, climat, biodiversité et bien-être animal.

Reconnaître l’obésité comme ALD : Jadot veut ouvrir un parcours de soins pour les patients obèses qui inclurait notamment des consultations de diététiciens et de psychologues pris en charge à 100%.

Inscrire le droit à l'IVG dans la constitution

Reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle

Lutter contre la pollution de l’air : Le candidat veut accélérer la révision des normes européennes en matière de qualité de l’air pour élargir les polluants pris en compte (seuils concernant les pesticides). Pour améliorer la qualité de l’air intérieur, il propose la généralisation des capteurs de CO2 et veut imposer un diagnostic technique de qualité de l’air obligatoire pour les logements.

Interdire les néonicotinoïdes, le glyphosate et « tous les pesticides cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques et perturbateurs endocriniens dangereux pour la santé et la biodiversité ».

Réformer la santé mentale : Yannick Jadot veut reconstruire un « système de soins psychiques préventif et curatif alliant une véritable psychiatrie de secteur bien-traitante, qui “prend le temps qu’il faut pour soigner” ». La présence d’au moins un psychologue dans chaque Centre Médico-Psychologique serait garantie et le nombre de lits psychiatriques serait augmenté de 10 000 lits pendant le quinquennat. Une nouvelle loi encadrerait strictement les pratiques de contention et d’isolement.

Encadrer l’industrie du médicament : Le candidat vert renforcer la transparence sur toute la chaîne du médicament avec une loi qui obligerait les entreprises pharmaceutiques à divulguer les informations sur la mise sur le marché, les ventes, les remboursements et les prix dans d’autres pays, lorsqu’elles font une demande de remboursement de leurs produits.

 

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