Durham, Etats-Unis – Un nombre important de patients souffrant d’un diabète de type 2 présentent aussi une maladie cardiovasculaire athérosclérotique (MCAS) mais moins de 1 sur 20 bénéficie du triumvirat thérapeutique – hypocholestérolémiants, anti-hypertenseurs et hypoglycémiants – dont l’efficacité est fondée sur les preuves et est capable de diminuer le risque majeur d’accidents cardiovasculaires. Telle est la conclusion d’une étude multicentrique de cohorte.
Cette cohorte regroupe 324 706 patients ayant un diabète et une MCAS, recrutés dans le National Patient-Centered Clinical Research Network en 2018.
L’auteur senior le Dr Christopher B. Granger, a déclaré au cours d’une interview que ces résultats montrent « une sous-utilisation choquante des traitements dont l’efficacité est prouvée dans cette population à haut-risque ». Par exemple, note-t-il, les statines à haute efficacité sont « bon marché, bien tolérées et très efficaces mais en fait elles sont prescrites chez seulement 26,8% dans leur population, ce qui constitue une réelle critique et un fait embarrassant pour notre système de santé ».
Des failles dans la prescription médicamenteuse
L’étude a analysé les prescriptions associant ces trois produits : une statine à haute efficacité nécessaire pour diminuer le cholestérol, un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC) ou du récepteur de l’angiotensine 2 (ARA2) pour l’hypertension et un inhibiteur du SGLT2 ou un agoniste des récepteurs du GLP-1pour l’hyperglycémie, dans une population ayant à la fois un diabète et une MCAS [1].
« L’étude amplifie la perception, précédemment constatée, d’une faille dans la réduction du risque cardiovasculaire chez les personnes ayant un diabète », déclare le Dr. Paul S. Jellinger (Center for Diabetes and Endocrine Care, Hollywood), lors d’une interview. « Cette déplorable insuffisance du traitement, chez 325 000 patients dans 12 systèmes de santé, est précisément quantifiée et le message est fort, clair et simple : il y a une importante sous-utilisation des médicaments – IEC et ARA2, antagonistes du SGLT2, agonistes des récepteurs du GLP-1 et de statines de haute intensité à posologies élevées – dont les effets bénéfiques ont été définitivement prouvés dans la MCAS ».
Cette cohorte comprend 44% de femmes, 18,2% des patients blacks, 12,8% de latino-américains. Concernant le suivi, sur les 205 885 patients qui ont bénéficié d’une prise en charge spécialisée dans l’année précédant l’étude : 74,8% ont vu un médecin généraliste, seulement 8,7% ont consulté un endocrinologue et 26,4% avaient vu un cardiologue.
En termes de prescriptions médicamenteuses 58,6% avaient une statine et moins de la moitié à dose élevée, 45,5% avaient soit un IEC soit un ARA2, 3,9% avaient un agoniste des récepteurs du GLP-1, et 2,8% un inhibiteur du SGLT2.
Les investigateurs insistent sur le fait que ce chiffre de 58,6% de patients recevant une statine, est significativement plus faible que les 74 ,6% précédemment rapportés dans une étude commerciale basée sur les données de patients assurés [2] mais est plus en accord avec une autre datant de 2018 effectuée sur des données de patients ayant un diabète et une MCAS [3].
Seulement 4,8% des patients recevaient les trois types de traitement et un fort pourcentage de patients (42,6%) n’avait aucun médicament dirigé vers les trois facteurs de risque majeurs.
Surmonter les obstacles aux prescriptions
Dans l’étude, il est précisé qu’un effort plus important est nécessaire pour surmonter les obstacles à une utilisation plus répandue de ces traitements chez les patients atteints à la fois d’un diabète et d’une MCAS.
Pour les inhibiteurs du SGLT2 et les agonistes des récepteurs du GLP-1, le coût est plus susceptible que pour les autres classes de médicaments de constituer un obstacle mais cela n’explique pas le faible niveau de prescription pour les statines à haute intensité, remarque le Dr Granger, Duke University, Durham N. C.
Le premier obstacle qu’il mentionne est ce qu’il appelle « l’inertie clinique ». « Je suis un cardiologue, je reçois dans ma clinique ces patients chaque semaine et il y a tellement de choses à effectuer avec chacun d’eux, en si peu de temps, que nous pouvons manquer l’opportunité de cette prise en charge », reconnait-il.
Les autres obstacles tiennent, selon le Dr Granger, à un défaut d’éducation et à la désinformation. Ainsi, « beaucoup de patients pensent qu’avoir souffert de douleurs musculaires dans le passé empêche de prendre une dose élevée de statine. Or, nous savons que ce n’est pas vrai », explique-t-il.
Pour lui, « une partie du problème vient du fait que la désinformation progresse plus vite que l’information scientifique. Il circule beaucoup de fausses informations sur l’effet toxique des statines, alors que ce n’est tout bonnement pas la vérité ».
La fragmentation du système de santé US, le manque de retour d’information sur les critères de qualité, sans oublier les médecins remettant à plus tard la décision de débuter les médications hypoglycémiantes prises par l’endocrinologue, ajoutent des obstacles à l’utilisation plus vaste des médicaments reconnus par la médecine fondée sur les preuves chez les patients ayant un diabète et une MCAS, insiste le Dr Granger.
« C’est un appel à l’action » insiste le Dr Granger. « En décrivant très clairement ces lacunes, nous espérons que les gens considéreront cela comme une sérieuse opportunité pour améliorer la prise en charge non seulement individuelle mais surtout au niveau des systèmes de santé ».
Pour le Dr Jellinger, les « résultats accablants » de cette étude doivent servir « de réveil ». « Ma perception personnelle, en accord avec les données formulées dans cet article, est d’insister sans relâche sur une utilisation plus élevée chez les patients disposant d’une assurance. Cependant, même parmi les populations les plus aisées, le message n’a pas l’impact escompté. Nous avons des traitements remarquables pour nos patients diabétiques, capables d’avoir une réelle efficacité sur la morbidité-mortalité liées au diabète. Notre double but doit être d’éduquer activement une large tranche de professionnels de santé et, bien sûr, de permettre au patient d’avoir un accès facile et abordable sans « autorisation préalable ».
Les auteurs insistent sur la nécessité de délivrer des schémas de prescriptions aux patients souffrant d’un diabète et une MCAS plus en rapport avec les recommandations de la médecine basée sur les preuves. A cette fin, ajoute le Dr Granger, les chercheurs travaillent à une étude randomisée basée sur un projet d’amélioration de la qualité recrutant environ 45 cliniques cardiologiques américaines, utilisant une boucle rétroactive pour pouvoir mettre en œuvre des modèles de prescriptions plus adaptés pour les trois groupes thérapeutiques. « Avec un peu de chance, dans un an, nous aurons une quantité plus importante d’informations à ce sujet », conclut le Dr Granger.
Quid de l’Europe ?
En Europe à ma connaissance, aucune étude n’a étudié cette triple association.
En se référant au registre EUROASPIRE IV, on peut lire : 54% des patients diabétiques ayant une MCAS confirmée ont un traitement antihypertenseur, 28% ont un taux de LDL-cholestérol <1.8mmol/L, 53% ont une hémoglobine glyquée <7% et 11% > 9%. 60% auraient une ou plusieurs médications recommandées : aspirine, statine, IEC ou ARA2 et bêtabloquant [4]. Le traitement hypoglycémiant n’est pas détaillé.
Dans le registre EURO HEART SURVEY chez les patients diabétiques [5], l’utilisation combinée systématique des antiagrégants, inhibiteurs du système rénine angiotensine, statine et bêtabloquant, a un impact hautement favorable sur le pronostic à un an comparativement aux patients n’ayant pas de diabète. Aussi bien sur la mortalité (HR 0.37 : P=0,001) que sur la survenue d’événements majeurs (HR 0,61 : P= 0,015) L’effet des hypoglycémiants n’est pas répertorié.
Il est d’ailleurs surprenant que l’étude américaine ne se soit pas intéressée à la prise d’antiagrégant dans l’arsenal thérapeutique de leurs patients. L’anti-agrégation plaquettaire bénéficie d’une recommandation I A de la part des Sociétés savantes US ou européennes [6]. Il est probable que tous les patients en recevaient.
Lors du congrès de l’ESC 2020, le constat sur environ 2700 patients à haut risque du registre EUROASPIRE V (16 pays) est celui d’une sensible amélioration [7], pour le contrôle du diabète (67% avaient une hémoglobine glyquée <7,0 mmol/L) comparé à EUROASPIRE IV. Pour les lipides 47% ont un LDL-C <2,6 mmol/L, concernant la tension artérielle 47% des diabétiques ont < 140/85 mmHg.
Cette prise en charge des patients à haut risque reste insuffisante également en Europe « de nombreux patients sans hypotenseur ou sans hypolipémiant ont une hypertension artérielle (43%) et un LDL-C élevé (81%) », remarque la Pre. Kornélia Kotseva (Londres, UK)
Pour G.Ferraninin et coll. dans EUROASPIRE V Diabète care , un tiers seulement des patients ayant une MCAS a un profil glycémique normal [8]. Seulement 58% des patients diabétiques ont une prescription avec tous les médicaments cardioprotecteurs et l’utilisation des SGLT 2 (3%) ou agonistes des récepteurs du GLP-1 (1%) reste faible, mais les nouveaux antidiabétiques viennent seulement de faire leur apparition.
Dr Jean-Pierre Usdin
Boehringer Ingelheim and Lilly ont sponsorisé l’étude. Le Dr Granger signale des relations financières avec Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Janssen, Pfizer, Medtronic, Akros Pharma, Apple, AstraZeneca, Daichi-Sankyo, Novartis, AbbVie, Bayer, Boston Scientific, CeleCor, Correvio, Espero, Merck, Novo Nordisk, Rhoshan Pharmaceuticals, et Roche Diagnostics. Jellinger fait partie du panel des speakers d’Esperion et Amgen.
L'article a été publié initialement sur Medscape.com sous le titre Full-press Therapy Rare in Diabetes With ASCVD . Traduit et complété par le Dr Jean-Pierre Usdin.
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Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Prise en charge insuffisante en cas de diabète et MCAS - Medscape - 7 mars 2022.
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