France — Un récent rapport de la Cour des comptes établit que les médecins coordonnateurs ainsi que les médecins traitants sont de plus en plus souvent absents des Ehpad [1].
Enquête sur la prise en charge médicale
Pratiquement un an avant que n'éclate le scandale Orpéa suscité par la parution de l'ouvrage du journaliste indépendant Victor Castanet*, la commission des affaires sociale du Sénat avait commandé, auprès de la Cour des comptes, une enquête sur la prise en charge médicale en Ehpad. Un an plus tard, ce 23 février 2022, la Cour des comptes a présenté les conclusions de cette enquête, alors même que le Sénat, sous le coup du scandale Orpéa, avait, peu de temps auparavant, constitué une commission d'enquête sur les Ehpad. Le rapport de la Cour sera donc une première étape dans les travaux de cette commission.
*« Les Fossoyeurs », Victor Castanet, éd. Fayard, 2022
Néanmoins, faut-il le rappeler, les travaux de la Cour des comptes ne concernaient que la médicalisation des Ehpad, et non leur gestion globale. Mais cette médicalisation « irrigue tous les aspects de la gouvernance du secteur », donc a vocation à servir de point d'observation privilégié du secteur des Ehpad.
Fort de ce constat, la Cour des comptes, pour bâtir son enquête, s'est fondé sur les « constats des contrôles effectués par les juridictions financières au sein de 57 Ehpad, publics ou privés, choisis pour refléter la diversité de nos territoires », a rappelé Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, aux sénateurs. Qui en a profité pour souligner trois éléments phares de cette enquête : l'absence d'évaluation du groupe Orpéa, la mauvaise gestion des Ehpad publics, à l'instar des Ehpad privés et l'absence de contrôle de la partie « hébergement » des Ehpad.
Plus de la moitié des résidents atteints de maladies neurodégénératives
Au-delà de ces points saillants, la Cour des comptes dresse un tableau inquiétant de la dépendance en France. Ainsi, sur 600 000 personnes résidant en Ehpad, 57% sont atteintes d'une maladie neurodégénérative. 15% des personnes de plus de 80 ans vivent en Ehpad, et un quart des personnes décédées le sont en Ehpad.
L'avenir n'est pas moins sombre : le nombre des plus de 85 ans devrait doubler d'ici 2050, et en 2030, la France comptera 3 millions de plus de personnes de plus de 60 ans. Inutile de dire que le nombre d'ouvertures de places devra doubler d'ici 10 ans. Et les moyens devront suivre. La Cour des comptes établit que, loin de restreindre les budgets de la dépendance, la France a d'ores et déjà ouvert les vannes du financement de cette branche du médico-social. « Le volume global de dépenses destinées aux sections Soins et Dépendance dépassait, en 2019, les 11 milliards d’euros, ce qui représente une croissance de 31 % par rapport à 2011, presque trois fois plus rapide que celle du produit intérieur brut (PIB) sur cette période », analyse la Cour.
Taux d’encadrement insuffisant
Mais cette hausse est loin d'être satisfaisante. Les taux d'encadrement, notamment, demeurent insuffisants. Le ratio d'effectifs, selon les Sages de la rue Cambon, devrait s'élever à 57 ETP (équivalents temps plein) pour 100 résidents, alors qu’il n'est que de 31 ETP. Cela correspondrait à « un besoin d’augmenter l’effectif de soins de 45 % (+ 18 ETP pour 100 places) – croissance qui ferait augmenter le taux d’encadrement global de plus de 25 % », analyse la Cour. Si la quantité de personnel est primordiale, sa qualité compte tout autant. Mais « parmi les aides-soignants, peu nombreux sont ceux qui ont reçu une formation d’assistants de soins en gérontologie », notent les enquêteurs. Ce manque de formation est dû, avant tout, à un problème d'attractivité des Ehpad, pour l'ensemble des professionnels de santé.
Effort de recrutement nécessaire
Car les conditions de travail deviennent de plus en plus difficiles, eu égard à « l'accroissement du niveau de dépendance des résidents ». Ce qui est vrai des aides-soignants l'est tout autant pour les médecins. 32% des Ehpad ne déclaraient aucun ETP de médecins coordonnateur en 2015. En 2019, 20% des Ehpad n'avaient toujours pas de médecins coordonnateurs. Qui plus est, lorsqu'un médecin coordonnateur est présent, il s'agit dans plusieurs cas d'un médecin traitant, « non spécialisé en gériatrie, et non formé à ses fonctions ».
Autre souci médical : les consultations de médecins généralistes dans les Ehpad sont en diminution : « alors que les dépenses correspondantes pour les Ehpad en tarif partiel sans PUI (pharmacie à usage intérieur) s’élevaient entre 30 et 34 € par mois et par résident entre 2014 et 2016, elles ont baissé à 27 € en 2017 et 24 € en 2018 ». Résultat, « les difficultés dans le recrutement des médecins coordonnateurs et les manques de disponibilité de médecins traitants entrainent des problématiques de prise en charge sérieuses, en termes de prévention sanitaire et de suivi, à l’image des surconsommations médicamenteuses », regrette la Cour.
Côté infirmier, la Cour déplore le fait que la fonction d'infirmiers coordonnateur n'ait pas de définition précise, et que les infirmiers soient trop peu nombreux sur les plages horaires nocturnes. Bref, en termes de personnels de santé, un gros effort de recrutement et de formation est préconisé par la Cour des comptes. Pour quantifier le nombre de personnels suffisants pour une bonne prise en charge, les magistrats proposent de constituer des référentiels, « permettant d’évaluer les ratios minima requis pour répondre aux différentes fonctions de soins dans des conditions satisfaisantes ».
Réforme du financement
Côté gestion, les enquêteurs déplorent la grande complexité du financement des Ehpad. Il repose sur trois sections : le soin (l'assurance maladie), la dépendance (les conseils généraux), et l'hébergement (les particuliers et les conseils généraux). Le distinguo établi entre les dépenses de soins et celles afférentes à la dépendance semblent peu pertinent : aussi, dans une optique de simplification, la Cour des comptes préconise le regroupement de ces deux sources de financement, sous la coupe des agences régionales de santé (ARS). Elle préconise aussi d'uniformiser, entre départements, les critères de détermination de la dépendance, dont dépend le financement. Actuellement, de trop grandes disparités dans ces critères aboutissent à une inégalité de prise en charge de la dépendance selon les départements. Administrativement, les enquêteurs constatent, avec déplaisir, que les contrats pluri-annuels d'objectifs et de moyens (CPOM) signés entre les Ehpad et les ARS, manquent de suivi. Ces contrats pourraient pourtant servir, avec un peu plus de suivi, à mieux intégrer les Ehpad dans les filières gériatriques territoriales, ou faire en sorte qu'ils aient la possibilité d'ouvrir des services à domicile. Dans le même ordre d'idées, la Cour des comptes constate que les visites de contrôle inopinées dans les Ehpad sont trop rares : en moyenne, une visite tous les 20 à 30 ans par Ehpad !
Bref, le chantier pour aboutir à l'Ehpad de demain reste faramineux. Outre la réforme du financement des Ehpad et l'amélioration des Cpom (contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens), la Cour des comptes souhaite également renforcer la prise en charge médicale. Pour ce faire, elle proposer d'intégrer dans les indicateurs de dépendance et de soins, « les besoins spécifiques liés aux troubles cognitifs », mais aussi encourage le recours élargi des Ehpad au tarif global, afin de fidéliser leur personnel soignant, médecins compris.
Enfin, outre la confection d'indicateurs sur les ratios de personnels, la Cour des comptes préconise également la conception d'indicateurs de qualité sur les consommations de médicaments et de psychotropes.
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Citer cet article: Ehpad : la Cour des comptes encourage à repenser le modèle - Medscape - 4 mars 2022.
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