France — « Qui aurait cru que nous lancerions, en 2022, une alerte sur la mortalité infantile dans notre pays ? ». Le Pr Martin Chalumeau, coordinateur d’une étude INSERM qui révèle cet inquiétant phénomène français, n’en revient pas lui-même. Interrogé par Medscape France, le pédiatre et épidémiologiste espère que le bruit provoqué par cette publication objectivant l’augmentation de la mortalité infantile en France depuis 2012 [1] incitera les pouvoirs publics à créer un recueil systématique des circonstances du décès, afin d’approfondir les hypothèses de ce recul historique, à ce jour inexpliqué. L’étude a été publiée dans le journal The Lancet Regional Health-Europe[1].
Taux de mortalité infantile : une augmentation significative depuis 2012
En l’absence de données actualisées sur les tendances statistiques de l’indicateur « taux de mortalité infantile » (TMI) en France, soit l’excès de décès des 0-1 ans, les chercheurs de l’Inserm, de l’Université de Paris, de l’AP-HP et du CHU de Nantes, en collaboration avec des équipes de l’Université de Californie, ont analysé les données d’état civil de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) entre 2001 et 2019. Ils ont identifié une augmentation significative du taux de mortalité infantile depuis 2012, la France s’éloignant ainsi de la situation d’autres pays avec des économies développées.
Au cours des trente dernières années, le taux de mortalité infantile a diminué dans tous les pays à revenu élevé, mais la situation est hétérogène. Dans certains pays comme la Finlande, l’Islande, le Japon et la Slovénie, le TMI n’a cessé de diminuer depuis la Seconde Guerre mondiale, y compris au cours des dernières années, et a maintenant atteint des niveaux très bas, d’environ 2 décès pour 1 000 naissances vivantes. En revanche, le taux de déclin du TMI semble s’aplatir au cours des dernières décennies dans certains autres pays, dont la France. Cette dernière était pourtant dans le peloton de tête des pays ayant la plus faible mortalité infantile de l’UE. Par exemple, la baisse continue observée depuis la Seconde Guerre mondiale a ralenti, entraînant une chute du classement mondial du TMI en France, du 7e rang en 1989 au 25e rang en 2017, avec un TMI de 3,5 décès pour 1 000 naissances vivantes en 2017.

Légende : Taux de mortalité infantile en France (2001-2019) : évolutions temporelles du nombre mensuel de décès d'enfants de moins d'un an pour 1 000 naissances vivantes (ligne continue) et points de rupture où la pente a changé (ligne verticale pointillée). Crédit : Pr Chalumeau.
+ 7 % du taux de mortalité infantile sur la période 2001-2019
Après des décennies de baisse, la mortalité infantile repart à la hausse depuis plusieurs années : au cours de la période d’étude 2001-2019, 53 077 décès de nourrissons ont été enregistrés parmi les 14 622 096 naissances vivantes, soit un taux de mortalité infantile moyen de 3,63/1 000 (4,00 chez les garçons, 3,25 chez les filles). Près d’un quart des décès (24,4 %) sont survenus au cours du premier jour de vie et la moitié (47,8 %) au cours de la période néonatale précoce (7 premiers jours de vie).
Dans le détail, le taux de mortalité infantile a fortement diminué de 2001 à 2005, puis de façon plus lente de 2005 à 2012. A partir de 2012, une augmentation significative du taux de mortalité infantile a été observée. Cette augmentation de 7 % a fait passer la mortalité infantile de 3,32 en 2012 à 3,56 décès pour 1 000 naissances vivantes en 2019. En comparant les données par rapport à d’autres pays européens à économie similaire tels que la Suède et la Finlande, il y a chaque année en France un excès d’environ 1 200 décès d’enfants âgés de moins d’un an. « L’écart avec ces pays s’est creusé, commente Pr Martin Chalumeau (Unité Inserm - Université de Paris 1153, Centre de Recherche Épidémiologie et Statistiques, Équipe de recherche en Épidémiologie Obstétricale, Périnatale et Pédiatrique - EPOPé). Et depuis 2012, l’aggravation significative et sans précédent du taux de mortalité infantile en France inquiète franchement : l’excès de décès chez les 0-1 an est de 1 200 enfants chaque année dans l’Hexagone, et l’augmentation récente du TMI global est tirée notamment par une augmentation de la mortalité dans la période néonatale précoce. »
En comparant les données par rapport à d’autres pays européens, il y a chaque année en France un excès d’environ 1 200 décès d’enfants âgés de moins d’un an.
1 200 décès annuels inexpliqués
« Nos résultats sont robustes à diverses analyses de sensibilité, écrivent les chercheurs dans leur publication [1], y compris celles tenant compte des variations des pratiques cliniques dans la période périnatale et des artefacts d’enregistrement. » Ces derniers ne peuvent en effet pas être mis sur le compte de modifications apportées en 2008 à la législation en matière d’enregistrement à l’état civil. C’est donc un phénomène de fond.
« C’est un « problème français » et malheureusement, la mortalité infantile n’est pas une priorité de santé publique » Pr Martin Chalumeau
Pour Martin Chalumeau, la situation est grave, et ce sujet un réel problème de santé publique, la mortalité infantile étant un indicateur clé de la santé d’une population : « Cela doit conduire à une enquête urgente et approfondie pour en comprendre les causes et préparer des actions correctives. Mais les tutelles ne s’en soucient pas », regrette-t-il.
A ce stade, faute de donnés exhaustives sur les circonstances du décès et de son environnement parental, impossible de conforter les hypothèses. La collecte systématique des facteurs potentiels associés au TMI pour chaque nouveau-né n’existe pas, ni sur sa prise en charge médicale ni sur celle de sa mère. C’est pourquoi le chercheur plaide pour « le recueil systématique de paramètres tels que la cause du décès et l’âge de l’enfant au moment décès au cours de la première année de vie, le sexe, l’âge gestationnel à la naissance, un retard de croissance intra-utérin, des malformations congénitales, le niveau socio-économique des parents, l’âge de la mère, sa nationalité, son niveau d’éducation et les contextes sociaux et géographiques, etc. ».
Age, obésité, prématurité…Quelques pistes explicatives
L’augmentation du TMI était principalement due à une augmentation des décès néonataux précoces, dont les principaux facteurs de risque touchent à des indicateurs de santé à la naissance (prématurité, présence d’anomalies congénitales). Ces facteurs sont à leur tour affectés par la santé maternelle avant et pendant la grossesse, ainsi que par les facteurs socio-économiques en amont affectant la famille et le bien-être pendant la grossesse.
Précisément, concernant la santé maternelle avant et pendant la grossesse, l’âge maternel, l’indice de masse corporelle et le tabagisme pendant la grossesse avaient augmenté régulièrement au cours de la période d’étude : le pourcentage des mères âgées de 35 ans et plus est passé de 12,5 % à 21,3 % entre 1995 et 2016. De plus, la proportion de femmes obèses a progressé, de 7,5 % à 11,8 % entre 2003 et 2016 [2]. Par ailleurs, près du quart des femmes qui ont accouché en 2018 sont nées à l’étranger, une proportion en augmentation [3], et il a été montré que leur risque de problèmes maternels et fœtaux est plus élevé que celui des femmes nées en France [4].
Par ailleurs, le taux de prématurité en France a augmenté régulièrement, de 4,5 % en 1995 à 6 % en 2016, tandis que le taux de survie des bébés très et extrêmement prématurés est resté faible par rapport aux autres pays [5], même s’il tend à s’améliorer.
Enfin, si une meilleure prise en charge des mères à haut risque de complications de grossesse peut conduire à la prévention des « mortinaissances », cela peut aussi reporter certains décès à la période néonatale. Les données du réseau Euro-Peristat suggèrent une augmentation du taux de mortinaissances en France de 4,3 % en 2010 à 4,8 % en 2015, confortant les inquiétudes soulevées dans cette analyse du TMI.
Une des explications pourrait également être le taux élevé de mort subite du nourrisson en France par rapport aux autres pays européens [6].
Liens d’intérêts
Le Pr Martin Chalumeau déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec ce sujet.
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Citer cet article: Hausse historique de la mortalité infantile en France : des chercheurs tirent le signal d’alarme - Medscape - 3 mars 2022.
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