Dans nos sociétés très préoccupées par le refus du vieillissement, on croit parfois à tort que le sexe est une activité réservée à celles et ceux qui ne portent pas encore de prothèses ou d'implants dentaires, ou qui n'ont pas besoin de déambulateur. « Plus rien ne marche » à partir d'un certain âge, pense-t-on, mais rien n'est moins vrai.
Par-delà le vécu de tout un chacun, une étude américaine publiée en 2007 contestait cette idée reçue.[1] Stacy Tessler Lindau (professeure d'obstétrique, de gynécologie et de gériatrie à l'université de Chicago) et ses collaborateurs ont interrogé plus de 3000 seniors sur leur sexualité. Résultat : 73% des sujets âgés de 57 à 64 ans déclaraient avoir eu au moins un rapport sexuel au cours de l'année écoulée. Cela concernait 53% des participants âgés de 65 à 74 ans et 26% des 75 à 85 ans. D’après cette étude, même si la fréquence l’activité sexuelle diminue avec l’âge, elle continue de jouer un rôle important malgré temps qui passe.
Le désir d'intimité persiste
La sexualité est un élément prépondérant du « bien vieillir », qui n'a pas été suffisamment pris en compte jusqu'à présent, a souligné la gériatre Annette Ciurea (hôpital Waid, de Zurich) dans une présentation au congrès annuel de la société allemande de gériatrie de 2019. [2] Selon elle, l'étude berlinoise sur le vieillissement BASE a montré que l'activité sexuelle diminue avec l'âge, mais que le désir d'intimité reste bel et bien présent. Il ne s'agit pas seulement de l'acte sexuel en lui-même, mais aussi et surtout du besoin de tendresse et de contact.
Dans un article du New York Times Magazine, l'auteure américaine Maggie Jones (Université de Pittsburgh) relate de cas d’un couple d'octogénaires qui lui a expliqué que le sexe à cette étape de la vie était « meilleur que jamais ». [3] Ces amants lui ont également confié qu'ils avaient des relations sexuelles plus détendues que lorsqu’ils étaient dans la vingtaine ou la trentaine, époques où les responsabilités débordaient et le temps manquait. Ils indiquent cependant qu’« il a tout de même fallu quelques efforts pour y parvenir ».
Les obstacles : maladies, discriminations et préjugés
Il existe de nombreux obstacles, voire des inhibitions, que les personnes âgées doivent surmonter si elles souhaitent avoir des relations intimes et sexuelles. Il s'agit notamment des maladies et de l'évolution des corps avec l'âge, comme l'explique les travaux d’une équipe dirigée par le Dr Birgitta Sträter (Université catholique de Rhénanie, Allemagne) [4]. Chez l'homme, il y a notamment des modifications structurelles du pénis avec une réduction des fibres élastiques, du collagène et des muscles lisses. La sensibilité du pénis diminue, ce qui peut être la cause d'un dysfonctionnement érectile chez certains hommes par ailleurs en bonne santé somatique. D’autres raisons évoquées sont le cancer de la prostate et son traitement chirurgical.
Chez les femmes, la ménopause entraîne des changements physiques durables pouvant conduire à une santé sexuelle perturbée. Les conséquences d'un taux d'œstrogènes réduit, comme la sécheresse vaginale, sont les plus fréquentes. D'autres causes possibles sont la faiblesse du plancher pelvien, l'incontinence urinaire, les cystocèles, les rectocèles, les entérocèles et le prolapsus vaginal ou utérin. En outre, les hystérectomies et les cancers de l'ovaire peuvent entraîner un dysfonctionnement sexuel. [4]
Chez les hommes comme chez les femmes, certaines maladies systémiques peuvent entraver l'expression de la sexualité ; c’est le cas du diabète de type 2, de l'hypertension artérielle, des maladies cardiovasculaires, des affections pulmonaires, des douleurs chroniques et des maladies neurologiques telles que l'épilepsie, la maladie de Parkinson, la sclérose en plaques et la démence. En outre, les antidépresseurs et les neuroleptiques peuvent réduire la libido.
Les personnes âgées sont également confrontées à différents types de stigmatisation et peuvent ne pas oser vivre leur sexualité ou en parler parce qu'on leur suggère que la sexualité ne joue plus aucun rôle à leur âge. La structure sociale et le système de valeurs (ou normes morales) du milieu culturel dans le lequel évoluent les individus ont un impact important sur ces comportements.[4] L’idée selon laquelle les ainés seraient asexués et fragiles contribue à propager, parmi eux, une attitude négative envers le sexe. Souvent, les personnes âgées sont réduites à des troubles cognitifs ; les maladies liées à la démence jouent notamment un rôle crucial à cet égard.
La stigmatisation dite institutionnelle constitue également un obstacle majeur : certains thérapeutes de couple et même de nombreux médecins généralistes ne parlent pas de sexualité avec leurs patients plus âgés. [3,4] Très peu de patients osent aborder le sujet de leur propre initiative. Une étude a ainsi révélé que seuls 5% des femmes âgées interrogées abordent d'elles-mêmes la question de leur santé sexuelle, tandis que 20% d’entre elles font état de problèmes lorsque le médecin de famille le leur demande explicitement. Une autre étude a indiqué que 75% des sujets féminins souhaitaient un entretien et, le cas échéant, une thérapie pour des problèmes de santé sexuelle, mais que seules 55% en avaient bénéficié. [3,4]
La prise en charge en maison de retraite se réduit aux soins corporels et aux repas
Les seniors vivant en maison de retraite se heurtent à un obstacle supplémentaire. Car si la sexualité peut être vécue chez soi, il existe des restrictions importantes dans ces établissements de soins. Pour de nombreux patients en EHPAD et services gériatriques, le contact physique se limite le plus souvent aux soins corporels et à la prise de repas [2]. Les résidents sont privés d'une grande partie de leur sphère privée et donc de la possibilité de s'épanouir sexuellement [4]. Même les couples qui emménagent ensemble en maison de repos sont souvent séparés physiquement, sans que le sujet de la perte de proximité physique ne soit pris en compte. De plus, le personnel de ces établissements n'est pas suffisamment formé sur la santé sexuelle des aînés.
Il est également plus difficile pour les seniors vivant dans des maisons de retraite d'avoir une vie intime épanouie, notamment en raison des affections liées à la démence. Les personnes atteintes de démence sont plus susceptibles d'être agressées sexuellement ou ont parfois un comportement sexuel inapproprié, comme les patients atteints de démence fronto-temporale. « Très peu de centres prenant en charge des personnes âgées proposent de l’information sur la sexualité à leurs résidents ou des formations pour le personnel », selon Maggie Jones. [3] Un éducateur en santé sexuelle lui a ainsi donné l’exemple d'une femme âgée qui recherchait des informations sur la sexualité et le vieillissement dans un centre pour personnes âgées. Elle n’a pas pu y accéder sur l'ordinateur parce que le mot « sexe » était bloqué, peut-être pour éviter que certains ne visitent des sites pornographiques. Faut-il y voir un souci premier de moralité ou de préjugés, les autres conditions nécessaires à une vie saine et épanouie venant éventuellement en second lieu ?
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Citer cet article: La sexualité au 3e âge : plus rien ne marche ? Pas si sûr... - Medscape - 3 mars 2022.
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