« Le CBD peut aider à réduire la consommation de cannabis »

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

2 mars 2022

Dr Dan Velea

Paris, France — Après la suspension de l’arrêté sur l’interdiction de la commercialisation de fleurs de cannabidiol (CBD), le chanvre « bien-être » vanté pour ses propriétés relaxantes est à nouveau en vente libre à l’état brut. Quels sont les bénéfices réels à en attendre ? L’avis du Dr Dan Velea, psychiatre addictologue à Paris. 

De nombreuses boutiques ont essaimé

C’est une victoire en demi-teinte pour les entreprises qui commercialisent en France des produits à base de cannabidiol (CBD). Après un recours judiciaire des professionnels de cette filière en plein essor, le Conseil d’Etat a suspendu fin janvier l’arrêté gouvernemental interdisant la commercialisation des fleurs et des feuilles de cannabis CBD, mais il ne s’est pas encore définitivement prononcé sur la légalité de cet arrêté.

Les nombreuses boutiques qui ont largement essaimé en quelques années à travers la France n’ont plus à se contenter de vendre des produits transformés à base de CBD (huiles, chocolat, biscuits et même vin…), mais peuvent reprendre la vente de chanvre CBD, proposé essentiellement sous forme d’amas de bourgeons de fleurs, destiné à être fumé ou consommé en infusion. L’interdiction aura duré trois semaines.

Pour rappel, le cannabis CBD ne doit pas contenir plus de 0,2% de THC pour rentrer dans la catégorie du « chanvre bien-être » destiné à la grande consommation (alimentaire, cosmétique, liquide pour cigarette électronique…) et vanté pour ses vertus apaisantes. Il est à distinguer du chanvre à usage médical, combinant des doses variables de CBD et de THC, actuellement à l’essai, et du chanvre à effet psychotrope, riche en THC, dont la vente est illégale.

Pour justifier l’interdiction, le gouvernement évoque dans son arrêté des motifs de santé. S’il existe encore des incertitudes, « des études scientifiques ont montré que le CBD agissait au niveau du cerveau sur les récepteurs à la dopamine et à la sérotonine (…). Sa consommation peut donc avoir des effets psychoactifs, de sédation et de somnolence. » En plus d’une démarche préventive, les autorités évoquent les difficultés à distinguer le cannabis CBD de celui illégal riche en THC, rendant la lutte contre les stupéfiants plus complexe.

Face à cette position, la confusion règne chez les consommateurs, séduits par ailleurs par les arguments en faveur du CBD, vanté pour ses propriétés apaisantes. D’autant plus que les donnes scientifiques restent encore insuffisantes pour attester d’un risque réel ou confirmer ses effets bénéfiques. Si des études ont suggéré un potentiel bénéfice sur l’anxiété, la douleur et le sommeil, certains évoquent un effet placebo.

Quel est le réel bénéfice à attendre de ces produits à base de CBD, en particulier de la consommation des extraits bruts de la plante ? Nous avons demandé l’avis du Dr Dan Velea, psychiatre addictologue à Paris.

Medscape édition française : Que pensez-vous de la position du gouvernement qui veut interdire la commercialisation de feuilles et de fleurs de cannabis CBD?

Dr Dan Velea : Je ne comprends pas la logique de cette interdiction. A l’inverse du THC, le CBD n’est pas une substance addictive. On soupçonne ses effets bénéfiques depuis qu’on a remarqué qu’il peut se fixer sur les deux types de récepteurs à cannabinoïdes de l’organisme, le CB1 et le CB2, tout comme le THC, mais sans induire un effet psychotrope, ni une éventuelle dépendance. Dans les produits à base de CBD disponibles sur le marché, la part de THC est infime (le seuil est limité à 0,2%) et ne présente pas de risque. Ces produits apparaissent notamment comme une bonne alternative chez certains usagers à risque pour les aider à réduire leur consommation de cannabis « classique », avec THC. Mais, les études sont manquantes pour confirmer les bénéfices du CBD. Maintenant que l’arrêté est suspendu, il faut sortir du débat idéologique qui s’est construit autour du cannabis en France pour se concentrer uniquement sur des discussions basées sur les connaissances scientifiques. Pour cela, il faut aussi que la recherche sur l’intérêt thérapeutique du cannabis soit davantage encouragée.

Il faut sortir du débat idéologique qui s’est construit autour du cannabis en France pour se concentrer uniquement sur des discussions basées sur les connaissances scientifiques.

Vous considérez que le CBD peut aider à réduire la consommation de cannabis. C’est ce que vous constatez dans votre pratique en tant qu’addictologue?

Dr Velea: Certains de mes patients ont effectivement réussi à réduire nettement leur consommation de cannabis en passant au CBD. En étant conscient des risques et des inconvénients liés à l’absorption de THC, ils préfèrent fumer du CBD. Bien entendu, ils ne retrouvent pas l’effet fulgurant du THC, souvent présent à des concentrations très élevées dans le cannabis, mais ils estiment que la sensation obtenue avec le CBD reste agréable et décrivent un effet apaisant et distrayant qu’ils disent apprécier. Etant donné que la grande majorité consomme le cannabis de manière récréative, on peut considérer qu’il s’agit là d’un bénéfice non négligeable. Même ceux qui ont une forte dépendance préfèrent alterner en consommant le CBD pendant la journée et se limiter à un joint de THC le soir. Ils se sentent ainsi beaucoup mieux et le risque sur la santé est clairement réduit.  A mon avis, le CBD peut être envisagé comme alternative en cas de consommation problématique de cannabis. Si un patient me pose la question, je réponds clairement qu’il y a moins de risque qu’avec le cannabis habituel.

A mon avis, le CBD peut être envisagé comme alternative en cas de consommation problématique de cannabis.

Y a-t-il malgré tout un risque de mésusage? Une dose de cannabidiol à ne pas dépasser?

Dr Velea: Sincèrement, en dehors des effets nocifs liés à la combustion lorsque ce mode de consommation est privilégié, je ne vois pas de risque pour la santé humaine dans la consommation de CBD. Je n’ai jamais vu de patient venir se plaindre après avoir consommé ces produits. Personne ne m’a rapporté être devenu accro ou avoir ressenti des effets psychotropes. Il n’y a pas de modification de comportement, même avec des doses importantes. Les experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considèrent d'ailleurs que l’utilisation de CBD pur n’a pas de potentiel d’abus ou de dépendance et que le produit est en général bien toléré.

Il n’y a pas de modification de comportement, même avec des doses importantes.

Quels sont les autres bénéfices réels du CBD? On évoque également des vertus relaxantes, voire anxiolytiques.

Dr Velea: Les produits à base de CBD sont vantés pour leurs propriétés relaxantes, qui aideraient notamment à améliorer le sommeil. La question est de savoir si ces bienfaits sont réels ou s’il s’agit effectivement d’un effet placebo, qui serait renforcé par la conviction que ces produits apportent un bien-être. Même lorsque le CBD est utilisé pour lutter contre les douleurs, il n’est pas exclu que l’effet placebo soit une composante importante du résultat obtenu. Certains patients atteints de pathologies lourdes ont pu trouver un certain réconfort dans l’utilisation du CBD, mais on n’a jamais pu démontrer réellement que l’effet bénéfique provient du produit en lui-même, faute d’étude randomisée bien construite. Il se peut aussi que l’effet apaisant et myorelaxant obtenu avec le CBD par la stimulation des récepteurs à cannabinoïdes aide à faire passer la douleur. Mais, cela reste à prouver.

La question est de savoir si ces bienfaits sont réels ou s’il s’agit effectivement d’un effet placebo, qui serait renforcé par la conviction que ces produits apportent un bien-être.

Quelle position peut alors adopter un médecin face à des patients qui expriment leur volonté d’utiliser des produits à base de CBD?

Dr Velea: En l’absence d’études fiables sur laquelle s'appuyer, il est difficile de se prononcer. Il existe aussi actuellement un flou juridique qui ne permet pas aux médecins de prendre position. Les usagers se retrouvent donc pénalisés et ne peuvent pas choisir d’utiliser des produits à base de CBD de manière éclairée. Je pense tout de même que, tant que nous ne disposons pas de données scientifiques, la consommation de ces produits doit se limiter à un usage récréatif avec un objectif de relaxation. En cas de trouble du sommeil par exemple, ils ne peuvent pas remplacer une prise en charge thérapeutique habituelle visant à améliorer ses cycles de sommeil. Pour l’instant, le seul réel intérêt du CBD que je perçois est la possibilité de réduire la consommation de cannabis avec THC.

Il existe aussi actuellement un flou juridique qui ne permet pas aux médecins de prendre position.

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