France— Après Thimothy Ray Brown le « patient Berlin », récemment décédé et le patient londonien une femme américaine est la troisième personne à être considérée comme guérie d’une infection à VIH. La guérison de cette patiente, qui a reçu une greffe unique de cellules souches, fait naitre un espoir de traitement à plus grande échelle contre cette pandémie qui sévit depuis maintenant depuis des décennies. Mais si cette prouesse constitue indéniablement une avancée thérapeutique, les experts impliqués dans la prise en charge affirment que nous sommes encore loin d'une guérison universelle.
Le Dr Yvonne Bryson, cheffe du service des maladies infectieuses pédiatriques à l'UCLA (Université de Californie Los Angeles), a déclaré mardi aux participants à la conférence sur les maladies infectieuses CROI[1] que le cas de cette patiente est très particulier : elle est en effet d’origine ethnique multiple, contrairement aux deux patients précédemment traités par transplantation, l’un étant caucasien, l’autre latino. Cette femme, atteinte d’une leucémie, a bénéficié de greffe de cellules souches associée à la transplantation de cellules de sang de cordon. Le traitement a non seulement permis la rémission de son cancer, mais aussi de son VIH.
Pour les chercheurs qui ont pris en charge avec succès cette patiente, la piste de la greffe de cellules souches doit être approfondie car elle peut permettre de traiter en même temps un cancer ou d’autres affections et l’infection par le VIH. Bien que cette nouvelle ait été accueillie avec enthousiasme par la communauté scientifique, l'approche ne sera pas disponible universellement, puisque les greffes ont toutes été effectuées avant tout dans le but de traiter des cancers chez les trois patients infectés par le VIH.
« Il est donc raisonnable d’estimer que seules 50 personnes par an pourraient en bénéficier », explique le Dr Bryson. Néanmoins ce succès pourrait ouvrir la voie à d’autres pistes de recherches thérapeutiques pour d’autres populations de patients VIH.
Le Dr Sharon Lewin, présidente-élue de la International AIDS Society, a qualifié cette avancée de passionnante et a mis les résultats en perspective. « La greffe de moelle osseuse ne peut pas devenir une stratégie à grande échelle pour le traitement du VIH. Néanmoins, ce cas clinique est une preuve de concept d’une possible guérison de la maladie. Il s’inscrit dans la mouvance d’utilisation de la thérapie génique pour l’infection à VIH ».
La patiente prise en charge par le Dr Bryson était candidate à une transplantation de cellules souches en raison d’un diagnostic de leucémie. La technique de transplantation choisie était inédite : l'équipe médicale a utilisé une combinaison de cellules souches adultes provenant du sang d'un parent de la patiente et de sang de cordon ombilical provenant d'une banque de sang de cordon. Ce dernier a été sélectionné spécifiquement du fait de la présence d’une mutation rare qui rend le système immunitaire résistant au VIH.
Dans les précédents cas de guérison du VIH après transplantation, les deux patients avaient été traités par des greffes de cellules souches, porteuses de la même mutation et provenant de cellules souches de moelle osseuse. Cette procédure est complexe car cette mutation est rare dans la population, donc dans les banques de moelle osseuse.
C’est l’association de cellules adultes et de cellules du sang du cordon ombilical qui s’est révélée être la clé du succès. Pour les chercheurs, l'utilisation de cellules souches adultes constitue une sorte de tremplin qui favorise le relai par les cellules du sang de cordon. Au centième jour post-greffe, la patiente était dotée d’un système immunitaire quasi distinct de son système inné.
Le VIH était indétectable dans les lymphocytes T et dans la moelle osseuse. 37 mois après la transplantation, le traitement antirétroviral a été suspendu.
« Elle est actuellement en bonne santé clinique », affirme le Dr Bryson. Son cancer est également en rémission.
Une série de trois patients
On ne sait pas grand-chose de cette troisième patiente qui serait d’âge moyen et qui a expressément demandé que le minimum de détails soit révélé. Néanmoins, les chercheurs ont transmis certaines informations : sa séropositivité et sa mise sous traitement antirétroviral datent de 2013. Quatre ans après son diagnostic de VIH, elle a développé une leucémie myéloïde aiguë de haut grade, nécessitant une transplantation de cellules souches. Il semblerait que son état clinique au moment de la greffe était meilleur que celui des deux autres patients précédents. Elle a quitté l'hôpital 17 jours après la transplantation. Elle n'a pas présenté de complications graves à l’inverse des deux premiers patients qui ont souffert d’une réaction greffon contre l’hôte.
« Le cas de cette patient suggère que c'est la transplantation de cellules résistantes au VIH qui a été la clé de la guérison », a déclaré le Dr Lewin. Le premier patient ayant bénéficié d’une rémission de son VIH pendant 12 ans est connu sous le nom « Patient Berlin ». Thimothy Ray Brown, d’origine caucasienne, est décédé d’une leucémie en septembre 2020. Le deuxième patient, « Patient Londres » est un homme d’origine Latino qui est depuis plus de 30 mois en rémission.
Un fardeau ethnique aux Etats-Unis
Aux États-Unis, on dénombre environ 1,2 million de personnes séropositives, selon le site HIV.gov. 13 % d’entre elles ignoreraient tout de leur statut VIH. En 2019, 34 800 nouvelles infections ont été diagnostiquées.
Certains groupes ethniques sont plus touchés par le VIH que d'autres, selon les statistiques fédérales et en prenant en compte leurs proportions respectives dans la population américaine. En 2019, par exemple, les Afro-Américains représentaient 13% de la population américaine mais 40% des personnes séropositives. Les Hispaniques/Latinos représentaient 18,5% de la population totale mais 25% des personnes vivant avec le VIH.
Les disparités touchent également les sexes, avec une surreprésentation des femmes et en particulier des femmes Noires par rapport aux femmes d'autres groupes ethniques. Le nombre annuel d’infections au VIH est resté globalement stables chez les femmes noires de 2015 à 2019. Néanmoins le taux de nouvelles infections au VIH chez les femmes noires est 11 fois supérieur à celui des femmes blanches et 4 fois supérieur à celui des Latinas, selon les statistiques fédérales.
Point de vue et réactions d'experts
Le docteur Vincent Marconi, professeur de maladies infectieuses à la faculté de médecine de l'université Emory, dont les recherches portent sur les disparités ethniques dans les réponses au traitement du VIH, a qualifié la nouvelle de « développement passionnant pour le programme de traitement du VIH. C'est la première femme à avoir été guérie pendant au moins 14 mois. L’utilisation de sang de cordon est potentiellement plus simple et moins toxique que la transplantation de cellules souches de la moelle osseuse ».
Bien que cette approche, destinée à traiter les cancers, ne soit pas disponible à grande échelle, il ajoute que « désormais on peut imaginer des modèles alternatifs impliquant la thérapie génique et qui pourraient permettre une guérison ».
Entre-temps, Marconi et d'autres chercheurs se concentrent également sur le concept de rémission à long terme du VIH, si une guérison n'est pas possible. Parmi les stratégies à l'étude figurent l'édition génomique et les traitements immunologiques. La rémission du VIH est généralement définie comme une absence charge virale du VIH (indétectable) après l'arrêt du traitement.
Cet article a été initialement publié sur Medscape.com sous l’intitulé Third Transplant Patient Cured of HIV Marks Important Firsts. Traduit par Isabelle Catala.
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Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Un troisième patient guéri du VIH - Medscape - 25 févr 2022.
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