Le blog du Pr Gabriel Steg – Cardiologue
Transcription
Gabriel Steg – Bonjour. Aujourd’hui, je voudrais vous parler d’un sujet qui n’est pas traditionnellement considéré comme un sujet spécifiquement cardiologique. Mais, en réalité il l’est : il s’agit du risque cardiovasculaire chez les personnes sans-abri.
C’est un sujet qui m’a frappé lorsque j’ai vu des chiffres assez simples. Le premier, c’est l’espérance de vie en Grande-Bretagne chez les sans-abri : 45 ans chez les hommes, 43 ans chez les femmes, contre une espérance de vie de la population générale de 76 ans pour les hommes et 81 ans chez les femmes. Et les chiffres sont similaires dans la plupart des pays d’Europe.
L’année dernière, l’European Heart Journal a publié une grande étude cas-témoins sur plus de 40 000 sujets qui a analysé le risque cardiovasculaire et le pronostic cardiovasculaire chez les sans-abri comparés à la population non-sans-abri.
Les résultats sont éloquents : lorsqu’on regarde la mortalité cardiovasculaire, elle est augmentée de plus de 60 % chez les sans-abri par rapport à la population générale.
Lorsqu’on regarde la prévalence des évènements cardiovasculaires, elle est le double chez les sans-abri – 11,6 % – contre 6,5 % dans la population générale. L’incidence annuelle des évènements cardiovasculaires dans la population sans abri est aussi quasiment doublée – 14,7 cas pour 1 000 personnes-années chez les sans-abri contre 8,1 pour 1 000 personnes-années dans la population générale.
Enfin, le début des maladies cardiovasculaires est substantiellement plus précoce chez les sans-abri avec une différence de plus de 5 ans de début des maladies cardiovasculaires, 51 ans contre 56 ans.
Les principales raisons
Pourquoi ces chiffres impressionnants et, surtout, qu’est-ce qu’on peut faire ? Pourquoi ? Essentiellement pour deux raisons. La première, est que le profil de risque des sans-abri est beaucoup plus défavorable – la prévalence du tabagisme, de l’alcoolisme, de la consommation de drogues diverses est indiscutablement plus élevée chez les sans-abri et ceci augmente substantiellement leur risque cardiovasculaire.
Deuxièmement, on sait que les troubles psychologiques et psychiatriques – notamment le stress et la dépression, qui ont un lien direct avec les maladies cardiovasculaires – sont plus prévalents chez les sans-abri.
Troisièmement, les sans-abri sont mal équipés pour faire face au stress et aux problèmes de toxicomanie du fait de l’absence de réseau social et de réseau de soutien que nous avons la chance de tous avoir lorsqu’on n’est pas sans-abri.
Et puis il y a un deuxième ensemble de raisons qui ont trait aux soins, à l’accès au système de soins et à la capacité à se soigner, qui est également altérée chez les sans-abri. Ils vont avoir tendance à moins consulter, à consulter beaucoup plus tardivement et même si les soins sont gratuits – et, de fait, dans la plupart des pays d’Europe la couverture sociale fait que les personnes sans abri vont avoir accès à des soins gratuits –. Il y a beaucoup moins de continuité dans la prise en charge, beaucoup moins d’adhérence au traitement, beaucoup moins de suivi, et de poursuite de la prise en charge, de telle sorte que, finalement, ces sujets vont avoir des soins aléatoires, discontinus, avec des périodes où ils vont se soigner, des périodes où ils ne vont plus se soigner ou ne plus être vus dans le système de soins.
Les résultats ce sont les chiffres absolument épouvantables que j’ai mentionnés au début, avec une mortalité prématurée, une morbidité beaucoup plus élevée et beaucoup plus précoce dans cette population que dans la population générale.
Mieux prévenir
Donc, si on veut adresser le problème en termes de santé publique des maladies cardiovasculaires on doit s’intéresser à la prise en charge médicale et à la prévention et au traitement des maladies cardiovasculaires chez les sans-abri. Probablement, un des éléments les plus importants – et c’est ce sur quoi je voudrais terminer – c’est que l’article dont j’ai fait mention, ainsi que l’éditorial qui l’accompagne, soulignent l’importance de la prévention, car en réalité il y a un nombre beaucoup plus important de gens qui sont à risque de devenir sans-abri que les sans-abri proprement dits. Or, les personnes à risque de devenir sans-abri sont également exposées à un surrisque cardiovasculaire et à des difficultés de prise en charge, d’accès et de maintien des soins.
Clairement, on peut considérer que c'est une démarche de prévention cardiovasculaire que de lutter contre le mal-logement et d'améliorer la prise en charge des sans-abri.
Cela doit nous concerner tous, nous soignants, qui nous intéressons aux maladies cardiovasculaires et à leur prévention, à la fois par la prise en charge et le traitement des facteurs de risque et des maladies cardiovasculaires dans cette population, par la prise en charge et la prévention des maladies cardiovasculaires dans la population plus large à risque de devenir sans-abri et d'une façon plus générale, en tant que citoyen, par la lutte contre le mal-logement.
Merci et à bientôt sur Medscape.
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Citer cet article: Mieux prévenir le risque cardiovasculaire des sans-abri - Medscape - 12 avr 2022.
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