Paris, France ― En février, le Ministère des Solidarités et de la Santé a présenté la Stratégie nationale 2022-2025 de Prévention des Infections et de l’Antibiorésistance. 42 actions seront mises en place au cours des 4 prochaines années afin d’améliorer la prévention des infections et de l’antibiorésistance. Le ministère a tenu à rappeler l’importance de ces enjeux de santé publique : 5 500 décès en lien avec des infections dues à des bactéries résistantes aux antibiotiques ont été rapportés en France en 2015. Et selon une enquête récente de la Drees, plus de la moitié des médecins généralistes libéraux sont confrontés à des problèmes d’antibiorésistance au sein de leur patientèle. [1]

Dr Benjamin Davido
Selon le Dr Benjamin Davido, infectiologue à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches et investigateur dans des recherches sur l’évolution des prescriptions antibiotiques en ville en France [2], la nouvelle stratégie nationale contre l’antibiorésistance manque d’ambition : c’est d’une révolution, notamment dans la filière ambulatoire, dont on aurait besoin.
Medscape édition française : Que pensez-vous de la nouvelle Stratégie de lutte contre les infections et l'antibiorésistance nouvelle stratégie de lutte contre les infections et l’antibiorésistance qui vient d’être annoncée ?
Dr Benjamin Davido : C’est effectivement un enjeu de santé publique extrêmement important, mais j’estime que ce plan n’est pas suffisamment ambitieux. Car si cette stratégie souligne bien l’importance de prévenir les maladies infectieuses courantes, notamment en renforçant l’éducation sur les mesures de prévention (ex. lavages des mains, et autres mesures barrières) mais aussi ― et c’est assez inédit ― en élargissant les objectifs de vaccination, il manque un programme solide et détaillé concernant la formation continue des médecins prescripteurs.
Dans l’enquête de la Dress, 43 % des médecins déclarent parfois prescrire un antibiotique à des patients qui n’en n’auraient pas besoin. Et si ce sont 68% des médecins qui atteignent leur objectif cible Rosp concernant les antibiotiques, cela veut dire que dans près de 30% des cas, il y a une grande marge d'amélioration !
Ces données ne me surprennent pas, comme je le constate régulièrement en consultation : chez près de la moitié des patients qui nous sont adressés en consultation de maladies infectieuses pour des infections urinaires à répétition, la prescription d’antibiotiques était soit inadaptée, soit injustifiée, notamment car il s’agissait de colonisation. Et dans les cas COVID+ chez les patients hospitalisés et non vaccinés (jusqu’à 7 patients sur 10), pratiquement tous avaient reçu un antibiotique pour COVID (une maladie virale) et de fait, sans succès.
Selon vous, la lutte contre l’antibiorésistance passe d’abord par la formation des médecins prescripteurs. Pourquoi?
Dr Benjamin Davido : Le travail que nous avions effectué en 2020 sur l’évaluation des prescriptions d’antibiotiques dans les infections urinaires par les généralistes [2], montrait que le renforcement de la formation, universitaire et hospitalière, améliorait l’application des recommandations des sociétés savantes les plus récentes, notamment chez les juniors.
Les médecins sont d’ailleurs eux-mêmes demandeurs de formation, comme le montre l’enquête de la Dress : 95 % des répondants estiment avoir un rôle à jouer contre la résistance aux antibiotiques. Ce chiffre m’a frappé ! Les généralistes comprennent très bien qu’ils sont le pilier de cette prescription antibiotique ― 72% des antibiotiques prescrits le sont par ces médecins généralistes.
Quelles approches devraient être préconisées concernant la formation? Que pensez-vous par exemple des escape games mis en place dans certains hôpitaux?
Dr Benjamin Davido : J’avais entendu parler de ces escape games. Je suis fan du concept, c’est une super idée pour la faculté, un projet à défendre. Mais quel que soit le type de formation, il est crucial que les jeunes infectiologues jouent un rôle dans ce transfert de connaissances de façon moderne et didactique.
Et comme je le dis à mes internes et externes : « L’antibiothérapie, c’est notre domaine d’expertise. L’objectif, ce n’est pas de prescrire un antibiotique, mais de l’arrêter ». C’est mon objectif personnel, et c’est parce que je suis sûr de « moi » que je ne prescris pas d’antibiotiques. Or les médecins généralistes reconnaissent eux-mêmes qu’ils ne prescrivent pas de façon optimale (p. ex. près de la moitié d’entre eux tiennent compte du désir du patient de retourner rapidement au travail ; 18 % préfèrent prescrire un antibiotique en cas de doute par crainte de conséquences médico-légales etc.). En cela, ils nous disent qu’ils se sentent bien seuls dans ces situations et qu’ils manquent probablement de confiance en eux pour ne pas prescrire d’antibiotiques. Ils manquent de soutien, d’avis d’expert et de mise en situation comme peuvent l’apporter des escape games.
Vous parlez de repositionner l’infectiologie au cœur de la prise en charge ambulatoire. De quelle manière?
Dr Benjamin Davido : L’infectiologie est en effet une spécialité qui est actuellement quasi exclusivement hospitalière, essentiellement dans les CHU et un peu dans les hôpitaux généraux et de très rares cliniques. Aujourd’hui, selon les textes, la norme est au minimum 1 infectiologue transversal (ou 0,3 équivalent temps plein, soit à peine à 1 mi-temps) dans des établissements MCO, c.-à-d. de médecine aiguë pour des hôpitaux qui ont au moins 400 lits. Il faudrait des infectiologues dans des cabinets de groupe, par exemple. De la même manière qu’on a des cardiologues de ville, chez qui on peut adresser des patients qui auront accès à un avis d’expert, une échographie, un test d'effort etc., on gagnerait à mettre en place une infectiologie de ville, idéalement en cabinets multidisciplinaires, ou en télémédecine ― malgré les limites inhérentes à ce type de consultation. Or dans la nouvelle stratégie nationale de lutte contre les infections et l’antibiorésistance, il n'y a aucun plan sur l'infectiologie ambulatoire qui viendrait consolider le fameux socle « ville – hôpital » dont on nous parlait tant.
Pour bien prescrire, il faut parfois une « contre-expertise », et donc de principe un médecin infectiologue pour valider la prescription. Alors bien sûr, chaque généraliste ― ou tout autre spécialiste, puisque pratiquement toutes les spécialités sont concernées à un moment donné par les maladies infectieuses ― ne peut pas attendre l’aval d’un infectiologue pour prescrire un antibiotique, ce serait difficilement gérable en pratique, mais il devrait pouvoir s’adresser rapidement à un infectiologue référent en cas de doute, notamment d’instauration de traitement inhabituel ou complexe.
La nouvelle stratégie préconise les mesures préventives. Quel sera le rôle de l’infectiologue dans la prévention des maladies infectieuses?
Dr Benjamin Davido : Nous l’avons bien vu avec le COVID-19 : pour lutter contre les infections, il faut mettre l’emphase sur les campagnes de prévention. La vaccination est également une mesure phare de la prévention des infections courantes. Et c’est d’ailleurs une des grandes nouveautés de cette nouvelle stratégie nationale, avec de vrais objectifs de vaccination. Ils prévoient d’assurer une couverture vaccinale antigrippale supérieure à 80% chez les professionnels de santé, en visant 70% dans les établissements. C'est du jamais vu, puisque nous sommes actuellement à 30%.
Pour arriver à ces objectifs, il faudra améliorer la communication, avoir plus d’intervenants, etc. Les infectiologues seront de fait les garants de ces campagnes en lien étroit avec la médecine de ville. Je pense qu’on va, et qu’on doit, recentrer l’infectiologie dans les missions de prévention, car le vaccin reste encore un sujet délicat, voire tabou. Mais de la même manière que nous avons des plans de prévention des cancers ou des risques cardiovasculaires, il faut des plans ambitieux de prévention des maladies infectieuses et également qu’ils s’inscrivent de façon pérenne.
Selon vous, la nouvelle stratégie de lutte contre les infections n’aborde pas suffisamment le rôle des outils diagnostiques.
Dr Benjamin Davido : Oui, il manque un plan sur les nouveaux outils de diagnostic rapide disponibles en ambulatoire. En raison de la pandémie de COVID-19, on a développé des kits de dépistage (5 millions de tests PCR par jour ont été mis à disposition des Français). Or les médecins généralistes n'ont pas d’outils pour le diagnostic des maladies infectieuses courantes dans leur cabinet. Ils ont les TROD de l'angine qu'on leur a donnés il y a 10 ans, mais pas de tests rapides de la grippe ! Pourtant il existe de nombreux outils, notamment des tests antigéniques à plusieurs cibles (influenza, virus respiratoire syncytial, covid) qui pourraient permettre de développer la stratégie des Doctor – tests. Certes, cela a un coût, mais la gestion de l’antibiothérapie en serait transformée, en particulier en période d'épidémie. Pour rappel, les antibiotiques sont prescrits principalement contre les infections respiratoires, notamment hautes (suivies des infections urinaires).
D’ailleurs, les patients ont bien conscience de ces lacunes. C’est souvent la raison pour laquelle ils privilégient parfois à tort les services d’urgences, ils savent qu’ils seront rassurés parce qu'ils auront l'ensemble des éléments (tests, imagerie, avis d'un médecin expert etc.) sur le même plateau technique, tout de suite.
Nous avons besoin d’une révolution pour fluidifier la filière de santé ambulatoire. Lorsqu'on parle de réforme de la santé, on considère souvent l’aspect hospitalier, et on oublie l’ambulatoire. Il faut former les praticiens, donner accès à des avis de relais pour les médecins de ville, mettre à leur disposition des outils diagnostiques, et renforcer les campagnes de prévention incluant la vaccination.
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Citer cet article: Prévention des infections et de l’antibiorésistance : c’est d’une révolution dont on aurait besoin - Medscape - 22 févr 2022.
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