France — « La vie avec le diabète n’est pas un long fleuve tranquille… La survenue, puis la présence du diabète chez un enfant ou un adolescent ne peut être vécue comme une situation banale », souligne l’association d’Aide aux Jeunes Diabétiques (AJD). Quel est le retentissement psychologique de la maladie sur les patients et leurs proches ? Y-a-t-il des étapes clés de la vie des patients atteints de diabète qui nécessitent une attention particulière ? Nadine Hoffmeister est psychologue à l’AJD où elle propose un accompagnement psychologique, complémentaire à la prise en charge hospitalière, aux patients diabétiques et à leurs parents. Elle répond à nos questions.
Medscape édition française : Y-a-t-il plus de troubles psychologiques chez les diabétiques de type 1 que dans la population générale ?
Nadine Hoffmeister : En soi, vivre avec une maladie chronique n’est pas quelque chose qu’il faut considérer comme une fragilité psychologique de fait. Les risques de dépression et de troubles alimentaires existent de toute façon de façon majorée à l’adolescence.
Bien sûr, il est certain que vivre avec un diabète peut provoquer des fragilités psychologiques. Evidemment, il existe un risque de trouble alimentaire parce qu’on est constamment en train de contrôler ce que l’on mange. Aussi, le risque de dépression est majoré parce que vivre avec un diabète est quelque chose de lourd. Mais, l’impact de la maladie va dépendre énormément de l’environnement, du suivi, de la bienveillance de tous.
Y-a-t-il des étapes clés de la vie des patients DT1 qui méritent une attention particulière sur le plan psychologique ?
N. H. : La particularité du diabète de type 1 est qu’il survient à tous les âges. Cela peut être chez un tout petit comme chez un adolescent ou un jeune adulte. Dans ce cadre-là, les « premières fois » sont toutes des étapes clés. Cela va de l’annonce, bien sûr, à l’entrée à l’école si le diabète s’est déclaré tout jeune, au premier gouter d’anniversaire, à l’arrivée au collège ou au lycée qui sont des environnements où les jeunes sont un peu plus livrés à eux-mêmes, aux premières vacances sans la famille, à la première soirée, à un changement de traitement… passer des injections à la pompe par exemple implique une adaptation technique mais aussi psychologique. Il faut savoir intégrer cette machine qui est constamment accrochée à soi, se l’approprier pour la considérer comme la sienne, comme une alliée. Ce n’est pas si simple.
Après, bien sûr, une des grandes étapes est l’adolescence, étape importante du processus d’individuation-séparation qui correspond à un besoin d’émancipation de l’adolescent pour pouvoir s’approprier pleinement sa maladie.
L’adolescence est une étape qui inquiète souvent les parents. Ils ont peur que leur enfant ne soit plus aussi vigilant, qu’il ait des velléités de liberté et qu’il néglige la prise en charge du DT1. La plupart du temps cela se passe bien mais il est vrai que l’adolescence et le diabète sont deux états compliqués à concilier, une sorte de paradoxe. L’adolescence par essence est un moment de spontanéité, de liberté, d’expérimentations alors que le diabète est associé à des contraintes, des soins chaque jour. Il faut être vigilant sur la façon dont le jeune va vivre cette période.
Aussi, à l’adolescence, le regard des autres devient évidemment plus crucial, surtout au collège. Si le regard de l’autre est vécu comme quelque chose d’agressif, d’intrusif dont on a peur, le risque est que le jeune développe un sentiment de honte. Il faut garder cela en tête et aider le jeune à sortir de la honte parce que la honte provoque de la dépréciation, du repli sur soi et parfois même on préfère même ne pas se soigner pour exister au travers du regard de l’autre. En tant qu’adultes, on n’y pense pas toujours mais il faut demander à un jeune qui a du mal à suivre son traitement comment ça se passe au collège, est-ce qu’il est difficile de faire les injections…Bien garder en tête cette question de la honte.
Les besoins sont-ils suffisamment repérés ?
N. H. : Je pense qu’ils sont de plus en plus repérés. Mais, il y a des inégalités. Ce n’est pas toujours facile d’avoir accès à un soin psychique dans le cadre d’une maladie chronique. Parfois les gens habitent loin de l’hôpital. On sait par ailleurs qu’il n’y a pas de places en centres médicopsychologiques (CMP). Aussi, en dehors de l’hôpital, on peut noter qu’au collège et au lycée, il est regrettable qu’il y ait de moins en moins d’infirmières scolaires.
Enfin, selon les hôpitaux, les possibilités de soutien sont très variables. Certains n’ont pas de psychologues. Comme pour le reste, les hôpitaux manquent de temps et de moyens mais, il y a de plus en plus d’équipes qui essayent de mettre en place des rendez-vous presque systématiques au moment de l’annonce. C’est une très bonne chose même si le moment de l’annonce n’est pas forcément celui où l’on a vraiment la possibilité de parler car on est dans un état de sidération.
D’où le poste que vous occupez à l’AJD ?
N. H. : En effet. Le poste a été créé il y a 4 ans. Je ne suis pas à l’hôpital. J’ai une position extérieure. L’objectif est de pouvoir proposer cet accompagnement psychologique à tout le monde. Je fais des consultations par téléphone pour qu’elles soient accessibles à tout le monde, dans toute la France. Il y a beaucoup de demandes, de plus en plus. Je pense que c’est notamment lié au fait que le diabète se déclare de plus en plus jeune. C’est très compliqué pour les parents, qui demandent un accompagnement de plus en plus précoce.
On parle de l’accompagnement des patients mais faut-il aussi aider les parents, les proches, n’est-ce pas ?
N. H. : Oui. Je pense que 60 à 70 % de ma pratique à l’AJD est pour les parents. J’ai aussi quelques grands adolescents et quelques enfants que je peux suivre par téléphone mais le dispositif par téléphone est moins intéressant chez les enfants. Pour les parents, la particularité du diabète est qu’au bout d’une semaine d’hospitalisation, ils sont lâchés à la maison et ce sont eux qui gèrent. Quand l’enfant est petit, ce sont eux qui s’occupent des mesures, des injections ou des pompes. Ils ont l’angoisse des hypoglycémies nocturnes. Ils ont cette responsabilité avec plus ou moins d’angoisse et un lien à nouveau très renforcé avec leur enfant. Pour les parents, cette situation peut s’accompagner d’angoisses, de besoin de contrôle et d’épuisement parce que le diabète a une charge mentale très très forte. Dans ce cadre, un accompagnement psychologique est souvent nécessaire.
Aussi, plus tard lorsque l’enfant grandi, il est difficile pour les parents d’arriver à lâcher un peu prise. Cela nécessite de mieux en mieux connaitre son enfant, son diabète et d’arriver à sentir que l’enfant gère, qu’il peut sentir ce qui se passe dans son corps et que l’on peut aussi lui faire confiance.
Comment peut-on aider l’enfant ?
N. H. : L’un des points essentiels est d’apprendre à l’enfant à s’approprier sa maladie et ses sensations corporelles. Aussi, l’idée est d’adapter le diabète à sa vie et pas le contraire. L’objectif est que le diabète ne prenne pas toute la place.
Face à des protocoles médicaux standardisés, lors d’un entretien psychologique, l’enfant ou le jeune peut parler de sa vie, expliquer comment se passe sa vie quotidienne. Par exemple, la cantine est souvent un moment important pour la sociabilisation des enfants notamment au collège. L’idée est que le moment de la cantine puisse se faire le plus normalement possible avec un diabète. Parfois, il y a des situations où l’école ou le collège rend la situation difficile. Alors, la mère arrête de travailler parce qu’elle ne voit pas d’autre solution et l’enfant rentre déjeuner. Ce sont des situations d’échec de l’inclusion qui sont difficiles à vivre. Là, on essaye de mettre tout en œuvre pour que les choses se normalisent.
Si vous aviez à citer une initiative pratique qui aide les jeunes patients DT1, laquelle citeriez-vous ?
N. H. : Au niveau de l’AJD, il est proposé des séjours Soins de Suite et de Réadaptation (SSR), qui pour les enfants et les jeunes sont des « colonies de vacances » où une prise en charge globale de l’enfant avec un diabète peut être assurée.
Il y a l’équipe médicale qui gère le diabète pendant le séjour et toute l’équipe d’animation qui est auprès des enfants et des jeunes. C’est un moment où d’éventuelles difficultés psychologiques peuvent ressortir. Le cadre est bienveillant, sécurisé, le diabète est pris en charge, la parole des jeunes peut se libérer.
Si un problème est repéré, j’assure des permanences électroniques pendant les séjours et il y a toujours le lien avec l’équipe médicale qui suit les enfants.
Aussi, l’AJD est une association transversale qui organise régulièrement des groupes d’échanges de pratiques qui réunissent des professionnels de santé et des familles qui viennent de toute la France. Cela permet de créer des outils collaboratifs comme le dispositif d’annonce ou celui sur l’insulinothérapie fonctionnelle. Ces outils prennent en compte les protocoles médicaux mais aussi la vie de famille. Ils permettent aussi de créer une uniformisation des prises en charge.
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Crédit image de Une : Nadine Hoffmeister
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Citer cet article: Répercussions psychologiques du DT1 : « les premières fois sont toutes des étapes clés » - Medscape - 15 févr 2022.
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