Diabète de type 1: des avancées qui bouleversent la prise en charge

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

14 février 2022

Pr Eric Renard

Paris, France — Ces dernières années ont été marquées par de belles avancées dans la prise en charge du diabète de type 1 (DT1). L’arrivée de l’insulinothérapie en boucle fermée, tant espérée par les patients, est sans aucun doute l’une des plus marquantes. Pour faire le point sur l'évolution de la prise en charge du diabète de type 1 et les répercussions de ces progrès sur la vie des patients, nous avons interrogé le Pr Eric Renard, diabétologue au CHU de Montpellier.

Medscape édition française : Depuis plusieurs années, on évoque une progression du diabète de type 1 en France. Quelle est la situation aujourd’hui? Le profil des patients a-t-il évolué ?

Pr Eric Renard: L’incidence, qui était habituellement de 10 cas pour 100 000 habitants, est effectivement en hausse constante depuis une dizaine d’années [le nombre de personnes atteintes de diabète de type 1 augmente au rythme de 3 à 4% par an, ndr]. On constate que le diabète de type 1 survient à un âge de plus en plus jeune. Les cas d’enfants atteints avant l’âge de cinq ans ne sont plus rares. La maladie apparait même chez des enfants de moins de deux ans, voire avant l’âge d’un an. C’est une situation inhabituelle. On ne connait pas vraiment les raisons exactes. Plusieurs hypothèses sont avancées comme l’exposition aux polluants, aux pesticides, l’influence d’un environnement trop aseptisé… Il semble que ce soit une conséquence de modifications de l’environnement, mais les facteurs en cause ne sont pas identifiés. Cette hausse de l’incidence s’observe au niveau mondial. On constate également l’apparition de cas de diabète de type 1 dans des pays d’Afrique ou d’Asie jusque-là préservés.

 
On constate que le diabète de type 1 survient à un âge de plus en plus jeune.
 

Quelles sont les difficultés rencontrées dans la prise en charge et comment celle-ci a évolué ces dernières années ?

Pr Renard: Le diabète de type 1 reste une maladie très compliquée à traiter. Peu de pathologies nécessitent une telle implication des patients et des parents des enfants atteints. Il ne suffit pas s’administrer l’insuline. Il faut le faire en adaptant le dosage aux besoins de l’organisme, qui fluctuent selon de nombreux facteurs, comme l’alimentation et l’activité physique, mais aussi l’état de stress par exemple. La prise en compte de ces différents facteurs est souvent approximative et il est, par conséquent, difficile d’avoir une glycémie contrôlée. Les écarts sont très fréquents. C’est toute la difficulté de l’insulinothérapie.

Plusieurs avancées ont toutefois nettement amélioré la prise en charge. Dans les années 1990, la pompe à insuline a réduit les contraintes liées à l’injection et a permis d’affiner les doses d’insuline administrées. Il restait toutefois celle de devoir surveiller sa glycémie en se piquant le bout du doigt. La mise à disposition il y a quelques années de systèmes de mesure du glucose en continu a été un virage majeur dans l’autosurveillance glycémique. Ces dispositifs permettent d’avoir connaissance en permanence de sa glycémie, de mieux ajuster son traitement et surtout d’intervenir avant l’apparition d’une hypoglycémie.

La mesure du glucose en continu a aussi facilité l’émergence de nouvelles approches thérapeutiques. Pour quelles raisons ?

Pr Renard:  L’utilisation de ces capteurs a conduit à une meilleure participation des patients à l’autosurveillance. Elle a, par la même occasion, fait prendre conscience des nombreuses fluctuations de la glycémie. Les hypoglycémies nocturnes sont apparues bien plus fréquentes que ce que les patients imaginaient. Il a donc fallu trouver des solutions thérapeutiques adaptées. En ce sens, l’émergence des nouvelles insulines à action prolongée peut être considérée comme un progrès thérapeutique important, en comparaison avec l’insuline à action intermédiaire (NPH), dont l’efficacité est très variable.

Mesurer la glycémie en continu a permis de pointer les lacunes des traitements. Les critères de jugement ont alors évolué et de nouveaux objectifs sont apparus. Le niveau d’hémoglobine glyquée (HbA1c) reste le critère de référence, mais grâce à la mesure continue, le contrôle glycémique s’évalue aussi en déterminant le temps passé dans la cible glycémique fixée de façon consensuelle entre 70 et 180 mg/dL. On s’est en effet aperçu que certains patients pouvaient avoir de très bonnes valeurs d’hémoglobine glyquée, mais traverser sans le savoir de nombreux épisodes d’hypoglycémie. La gestion du diabète par les diabétologues a beaucoup changé depuis que l’on dispose de cette information. C’est désormais davantage le temps passé dans la fourchette cible qui nous intéresse.

L’insulinothérapie en boucle fermée, qui a été validée en 2020, est présentée comme une innovation majeure. Elle apparait comme une suite logique de cette évolution. Quels sont les changements apportés ?

Pr Renard: Ce constat sur la variabilité de la glycémie a clairement favorisé l’émergence du dispositif en boucle fermée. Etant donné que les patients ne peuvent pas en permanence vérifier les valeurs de leur glycémie et adapter leur dose d’insuline, il fallait aller vers une automatisation. L’arrivée de ce système couplant une pompe à insuline, un capteur de mesure continue du glucose et un algorithme régulant l’administration de l’insuline représente un tournant majeur dans la prise en charge du diabète de type 1. Il améliore nettement le contrôle glycémique. On réussit à faire quasiment disparaitre les hypoglycémies et on obtient facilement 80% du temps dans les valeurs normales de glycémie.

Du côté des patients, la charge mentale est considérablement allégée puisque l’automatisation leur évite de calculer les doses d’insuline à administrer. C’est un soulagement. Mais, il y a un effort d’apprentissage initial important. Les utilisateurs doivent notamment apprendre à compter les glucides ingérés pour en informer l’algorithme, ce qui a l’avantage de leur faire prendre conscience de l’effet hyperglycémiant des aliments. Le dispositif a ainsi contribué à modifier l’éducation thérapeutique des patients, qui se retrouvent, par exemple, à limiter le resucrage lors d’une hypoglycémie, car ils se rendent compte qu’un apport trop important de sucre provoque des déséquilibres.

Le dispositif en boucle fermée hybride de la société française Diabeloop est désormais remboursé . Est-on prêt sur le terrain à équiper les patients diabétiques ?

Pr Renard: Il faut effectivement que les équipes médicales se mettent à niveau, notamment celles qui ne disposent pas de personnel suffisant. La mise en place d’une insulinothérapie en boucle fermée implique une collaboration pluriprofessionnelle. Les infirmières doivent acquérir un bagage technique pour accompagner les patients bénéficiant du dispositif. La place du diététicien est aussi plus importante car il faut apprendre au patient à compter les glucides. Et, l’appui d’un psychologue peut être nécessaire étant donné que la boucle fermée représente un chamboulement dans la vie du patient. La maladie est certes mieux comprise, mais certains sont déstabilisés par les changements apportés.

De leur côté, les diabétologues doivent adapter les modalités de l’éducation thérapeutique. Il faut aussi se former pour connaitre les systèmes. Les patients sont demandeurs et, compte tenu des résultats obtenus dans les études cliniques, il n’est pas possible aujourd’hui de ne pas leur proposer la boucle fermée.

Le dispositif est pour le moment remboursé chez les diabétiques de type 1 dont l’équilibre glycémique est insuffisant en dépit d’un traitement avec une pompe à insuline. Est-ce que cela vous semble trop restrictif ?

Pr Renard: Le remboursement de Diabeloop est limité aux patients avec une hémoglobine glyquée de plus de 8%. Ce seuil est fondé sur des arguments économiques et non pas scientifiques. La boucle fermée est le système le plus performant en termes de contrôle de la glycémie et d’amélioration de la qualité de vie. Il peut donc être envisagé dès le diagnostic chez l’enfant, comme chez l’adulte. L’indication médicale s’appuie essentiellement sur la volonté du patient d’être équipé et d’apprendre à gérer le système. Il y a aucune raison de refuser la boucle fermée aux patients qui souhaitent en bénéficier.

Dans le cas du dispositif de Medtronic (MiniMed 780G) qui a reçu récemment un avis favorable de la Haute autorité de santé (HAS), il n’y a pas de conditions liées à des résultats métaboliques. Le remboursement pourrait être ouvert à tout patient jugé apte à bénéficier du système. Il me semble, en revanche, important de respecter la recommandation d’évaluer à nouveau le bénéfice et la maitrise du système après les trois premiers mois d’initiation. L’appareil peut en effet devenir dangereux si le patient n’est pas bien impliqué dans son utilisation.

 
Le remboursement pourrait être ouvert à tout patient jugé apte à bénéficier du système.
 

D’autres dispositifs de boucle fermée arrivent sur le marché. Un système de boucle fermé sans tubulure, Omnipod 5, vient d’être autorisé aux Etats-Unis par la FDA. Quel est l’intérêt de ces différents systèmes? Comment choisir entre les diverses options ?

Pr Renard: L’Omnipod 5 est beaucoup moins invasif puisque la pompe à insuline ne nécessite pas l’implantation d’un cathéter. Ce type de pompe est déjà utilisé par les diabétiques de type 1 - elle représente d’ailleurs la moitié des pompes actuellement prescrites - mais, elle n’était pas encore validée dans le cadre d’une boucle fermée. La pompe Omnipod est discrète et se colle sur la peau. Les patients qui en sont équipés sont peu enthousiastes à l’idée d’abandonner le confort apporté par cette pompe à insuline pour passer à un dispositif de boucle fermée associé à une pompe avec tubulure. Il y a une très forte attente de la part de ces patients pour passer au dispositif de boucle fermée Omnipod 5.

 
L’Omnipod 5 est beaucoup moins invasif puisque la pompe à insuline ne nécessite pas l’implantation d’un cathéter.
 

Actuellement en France, le système Diabeloop est peu utilisé en raison d’un problème d’approvisionnement en pompe. Pour le moment, on équipe les patients avec le dispositif de boucle fermée de Medtronic et le système Tandem Control-IQ en cours d’évaluation par la HAS, mais disposant du marquage CE. La partie concernant l’algorithme non remboursée est prise en charge par les prestataires de santé. Dans notre service du CHU de Montpellier, on équipe ainsi cinq à six patients par semaine.

 
Actuellement en France, le système Diabeloop est peu utilisé en raison d’un problème d’approvisionnement en pompe.
 

Le choix entre les dispositifs se fait selon les préférences des patients, en fonction notamment du type de pompe dont ils sont déjà équipés et auquel ils sont habitués. Cela dépend également du mode de vie, les réglages de certains systèmes étant, par exemple, plus adaptés à une vie très active que d’autres.

En parallèle, la greffe d’îlots pancréatiques a été également validée dans le traitement du diabète de type 1. Y a-t-il également beaucoup d’attentes avec cette approche thérapeutique ? 

Pr Renard: La greffe d’îlots de Langerhans est indiquée chez les patients diabétiques greffés rénaux ou présentant de grandes variations glycémiques malgré un contrôle automatisé, avec hypoglycémies récurrentes sévères. Cette approche donne des résultats exceptionnels et peut changer radicalement la vie des patients. Le traitement est remboursé depuis quasiment un an, mais il n’est pas encore accessible. Les agences régionales de santé doivent désormais certifier les centres greffeurs. L’attribution des autorisations se fait attendre. Il est malheureusement devenu plus difficile aujourd’hui de faire une greffe d’ilots que lors des essais cliniques, alors que la technique est désormais validée et remboursée.

Ce traitement reste toutefois assez confidentiel et peu disponible étant donné que les prélèvements de pancréas sur donneur décédé sont peu nombreux. L’isolement des cellules à partir de l’organe reste également très compliqué. Seul un isolement sur trois permet de traiter un patient. Il faut ensuite au moins deux injections de cellules pancréatiques pour garantir une efficacité. Cette thérapie exige également la prise d’un traitement immunosuppresseur à vie, qui peut favoriser les infections et les cancers.

 
Ce traitement reste toutefois assez confidentiel et peu disponible étant donné que les prélèvements de pancréas sur donneur décédé sont peu nombreux.
 

Est-ce que la greffe sous-cutanée d’ilots de Langerhans issus de cellules souches, qui a donné récemment des résultats concluants , apparait dès lors comme une alternative crédible ?

Pr Renard: La méthode pour isoler les ilots de Langerhans du pancréas reste très laborieuse et on constate peu de progrès sur cet aspect. Accéder à une source illimitée de cellules d’ilots dérivées de cellules souches représente certainement l’avenir. L’idéal serait d’avoir à disposition un pancréas bio-artificiel constitué d’ilots pancréatiques issus de cellules souches et encapsulés dans des membranes semi-imperméables les protégeant du système immunitaire. Mais, il va falloir du temps. La maitrise du vivant est bien plus compliquée que la maitrise de la technologie. On sait différencier les cellules souches en cellules bêta, mais il y a toujours cette crainte de les voir se différencier à nouveau et de dériver en cellules tumorales. C’est pour cette raison qu’il y a peu d’essais cliniques sur les cellules souches.

 
On sait différencier les cellules souches en cellules bêta, mais il y a toujours cette crainte de les voir se différencier à nouveau et de dériver en cellules tumorales.
 

Concernant les dernières recommandations internationales sur le diagnostic et la prise en charge du diabète de type 1 (consensus EASD-ADA), quelles sont les nouveautés les plus importantes à souligner selon vous ?

Pr Renard: La valorisation de l’approche personnalisée. Le maître mot aujourd’hui dans le diabète de type 1 est la personnalisation. Auparavant, le développement technologique était une priorité. Désormais, on est davantage à l’écoute des patients pour leur trouver le meilleur traitement, celui adapté à leur mode de vie, à leur capacité d’apprentissage. Les facteurs humains ont pris beaucoup d’importance dans ces recommandations. On tient davantage compte de la qualité de vie du patient, de son ressenti et de l’impact de la maladie. On ne se limite plus seulement à des critères biologiques. C’est une évolution en phase avec l’élargissement des options thérapeutiques.

 
Le maître mot aujourd’hui dans le diabète de type 1 est la personnalisation.
 

 

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