Cancer bronchique au féminin : causes, mécanismes, pistes thérapeutiques

Nathalie Raffier

Auteurs et déclarations

11 février 2022

Lille, France — On a encore du mal à assimiler l’image d’une femme jeune à celle du cancer du poumon. Pourtant, les femmes sont de plus en plus touchées par le cancer bronchique, et de plus en plus tôt. Par comparaison aux hommes, ces dernières sont plus susceptibles d’être diagnostiquées à un plus jeune âge, de présenter un adénocarcinome, une addiction oncogénique (mutation oncogénique) et de ne pas fumer. Le tour de la question à l’occasion du congrès de la société de pneumologie de langue française (CPLF, 21-23 janvier à Lille).

L’augmentation du tabagisme féminin en cause

L’étude KBP-CPHG 2020 a mis en évidence une augmentation exponentielle des cancers pulmonaires féminins en France. Renouvelée tous les dix ans par le Collège des pneumologues des hôpitaux généraux (CPHG), les résultats de KBP-CPHG ont été présentés au CPLF cette année [1]. Les cancers pulmonaires chez les femmes représentent désormais 34,6 % de l’ensemble des cas contre 16 %, en 2000 et 24 % en 2010. « Nous avions déjà remarqué, entre 2000 et 2010, une forte augmentation de ce cancer chez les femmes, et cela se confirme, bien au-delà de nos prévisions », déplore le Dr Didier Debieuvre, investigateur principal de l’étude et président du CPHG. Sans être une surprise, cette évolution est en grande partie liée à l’augmentation du tabagisme féminin, particulièrement marquée chez les moins de 50 ans, où 40 % des nouveaux cas de cancers bronchiques concernent désormais des femmes.

Ces chiffres ont le mérite de braquer les projecteurs sur un changement de paradigme dans le cancer du poumon, où le stéréotype de l’homme âgé tabagique a la vie dure. En effet, cette maladie est devenue récemment la première cause de mortalité chez la femme comme chez l’homme (chez les personnes blanches non hispaniques et les Hispaniques nés depuis le milieu des années 1960, d’après une étude américaine)[2].

Dans le monde, le cancer du poumon a désormais dépassé le cancer du sein en tant que première cause de décès par cancer chez les femmes. « Les femmes sont de plus en plus touchées par le cancer bronchique et de plus en plus jeunes », indique le Pr Julien Mazières, pneumologue (Hôpital Larrey, CHU de Toulouse, INSERM UMR 1037). « La composition démographique du cancer du poumon a radicalement changé au cours des dernières décennies, confirme le Dr Lucile Sesé du Centre de référence des maladies pulmonaires rares (Hôpital Avicenne, Bobigny). De plus, si les taux de tabagisme tendent à diminuer chez les deux sexes, le rythme est plus lent chez les femmes dans l’Union européenne [3]».

 
Les femmes sont de plus en plus touchées par le cancer bronchique et de plus en plus jeunes. Pr Julien Mazières
 

L’exposome, pour mieux cerner les facteurs de risque féminins de cancer bronchique

L’exploration de l’exposome, dans le cadre du cancer du poumon notamment chez la femme, « doit tenir compte des facteurs exogènes qui ont été mis en évidence (tabagisme, tabagisme passif, exposition à l’amiante[4], au radon, aux radiations, aux infections comme l’HPV, ou encore à la précarité et aux mycobactéries non tuberculeuses), explique la pneumologue Lucile Sesé, mais aussi aux facteurs endogènes (œstrogènes et polymorphismes génétiques)[5] ».

La pollution domestique et la combustion de la biomasse dont les hydrocarbures polycycliques sont incriminées [6] avec, dans une méta-analyse, un risque relatif de 1,95 chez les femmes par rapport aux hommes [7].

« Il faut tenir compte de l’influence du genre sur les expositions et la pathologie, souligne Lucile Sesé. L’exposome prend en compte l’ensemble des expositions, du sexe, du genre et des facteurs socio-économiques ».

Cancer bronchique féminin, une oncogenèse différente ?

Le tabagisme est le premier facteur de risque du cancer du poumon, mais l’organe est soumis également à l’environnement, aux hormones et à la génétique.

En ce qui concerne le tabac, quelques arguments suggèrent que les femmes développeraient des cancers bronchiques avec un tabagisme moindre (en paquets-années), que ce soient des cancers bronchiques à petites cellules, des adénocarcinomes ou des carcinomes épidermoïdes. A tabagisme égal, elles auraient donc plus de cancers bronchiques [11]. Qu’est-ce qui sous-tendrait cette inégalité ? « D’après les études, l’expression de certains gènes serait soit augmentée (CYP1A1, CRPR, ABCB1, P53, EGFR mutations, BAX, Her2, VEGRF3, XIST…), soit diminuée (des enzymes de réparation de l’ADN des gènes ERCC1, BRCA1, JAR1D1…)12, explique Julien Mazières. Les femmes auraient donc un mécanisme de réparation génomique des agressions un peu moins efficace, mais cela reste théorique, modère-t-il.

Quel lien entre hormones et cancer bronchique ?

Plusieurs facteurs de risques impliqués dans le cancer du sein ont également été retrouvés dans le cancer du poumon comme la ménopause précoce, des cycles menstruels courts, la prise de substituts œstrogéniques, des antécédents de cancers hormonaux dépendants, et une potentialisation des œstrogènes et du tabac [16]. « Les études sont assez critiquables, et rétrospectives, résume Julien Mazières, mais elles donnent globalement le sentiment d’une influence des hormones sur l’oncogenèse pulmonaire. Une piste intéressante mais qui n’a pas encore abouti ».

 
Les études sont assez critiquables, et rétrospectives, résume Julien Mazières, mais elles donnent globalement le sentiment d’une influence des hormones sur l’oncogenèse pulmonaire. Pr Julien Mazières
 

Une étude conduite chez 6 600 femmes traitées pour un cancer du sein avec ou sans anti- œstrogènes entre 1980 et 2003 a recensé les cancers bronchiques jusqu’en 2009[17]. Elle a déterminé que le nombre de cancers du poumon sous antiestrogènes était bien inférieur.

A l’inverse, d’autres études ont constaté que les hormones constituaient un facteur aggravant des cancers bronchiques stade IV[18]et du cancer bronchique en général[19].

Un argument supplémentaire en faveur du rôle hormonal est que l’expression de récepteurs hormonaux est fréquente dans le cancer du poumon, avec l’importance de l’expression des récepteurs aux œstrogènes RE alpha chez les femmes non fumeuses[20].

Chez la souris, il a été montré un effet pro-carcinogène de l’estradiol et un effet synergique antitumoral de l’antiestrogène fulvestrant et du gefitinib.

L’association d’un antiestrogène (fulvestrant) et d’un inhibiteur de tyrosine kinase de l’EGFR (EGFR-TKI, gefitinib) pour bloquer le développement tumoral était une hypothèse séduisante. Afin de le vérifier, nous avons donc réalisé un essai clinique chez des femmes porteuses d’un cancer bronchique non à petites cellules de type non épidermoïde de stade avancé (LADIE IFCT -1003)[21]. Malheureusement, les résultats se sont avérés négatifs en termes de taux de réponse et de survie globale. Les hypothèses n’ont pas été transformées en preuves, et deux autres essais similaires ont conclu à des résultats comparables, même si nous conservons l’impression que cette démarche pourrait être utile », note Julien Mazières.

Quel rôle de la génétique dans le cancer bronchique ?

Certains cancers bronchiques sont dus à une mutation génétique unique (« addiction oncogénique »), sur les gènes EGFR, BRAF… et répondent aux thérapies ciblées. « Or, ce qui semble se dégager est que l’addiction oncogénique concerne plus souvent les femmes, et les non-fumeurs en comparaison aux hommes et aux fumeurs [22] », résume le pneumologue.

Chez les femmes, les chercheurs constatent une surreprésentation des anomalies génétiques qui peuvent être potentiellement ciblées[23]. « Si l’on compare les différentes mutations dans les diverses séries « hommes/femmes », les mutations d’EGFR, les réarrangements de ALK, les fusions de ROS, les mutations de BRAF V600E et de HER2… sont plus fréquentes chez les femmes, ajoute-t-il. Ce qui est superposable à la comparaison fumeur/non-fumeurs ».

Aujourd’hui, de nombreuses thérapies ciblées disposant d’AMM ou d’ATU visent les différentes mutations sus-citées avec, par exemple, le gefitinib, l’erlotinib, l’afatinib et plus récemment l’osimertinib contre les mutations de l’EGFR.

« Le hasard ratio de l’efficacité de ces thérapies ciblées semble un peu meilleur –  sans explications définitive – chez les femmes, précise le Pr Mazières, qui semblent mieux exposées aux thérapies ciblées, comme c’est le cas avec l’afatinib ou le gefitinib ».

 
Le hasard ratio de l’efficacité de ces thérapies ciblées semble un peu meilleur – sans explications définitive – chez les femmes. Pr Julien Mazières
 

Particularités biologiques et/ou poids inférieur des femmes pour une posologie unique du médicament font partie des pistes possibles.

Une bonne nouvelle récente concerne de nouvelles cibles thérapeutiques encore orphelines de traitement, en l’occurrence les mutations du gène HER2 contre lesquelles il n’existait aucune thérapie ciblée jusqu’à présent.

L’essai IFCT R2D2, publié début 2022 avec le trastuzumab, le pertuzumab et le docetaxel a montré des taux de réponse intéressants avec cette trithérapie[24]. L’essai DESTINY LUNG02 (66 % de femmes incluses) ciblant cette même mutation avec l’anticorps conjugué trastuzumab -deruxtecan[25]a obtenu un taux de réponse de 54 %.

Des perspectives qui donnent de l’espoir pour ces types de cancer bronchique qui touchent essentiellement les femmes.

Plusieurs grandes cohortes existent pour tenter de répondre aux questions sur les liens entre exposome et cancer, broncho-pulmonaire en particulier. L’Étude européenne prospective sur le cancer et la nutrition (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition) (EPIC) est une cohorte regroupant de 23 centres dans dix pays d’Europe, sur plus de 500 000 sujets (1992-1999) et 46 000 cancers du poumon. Pour sa part, Exposome-Explorer est la première base de données dédiée aux biomarqueurs d’exposition aux facteurs de risque environnementaux de cancer. Quant au récent European Exposome Network, il explore l’interaction gènes-environnement dans la maladie pulmonaire. Fédèrant 126 équipes de recherche, dans 24 pays avec 9 projets à large échelle, le projet est doté de 106 millions d’euros par la Commission européenne.

Liens d’intérêts :

Lucile Sesé du Centre de référence des maladies pulmonaires rares (Hôpital Avicenne, Bobigny) n’a pas déclaré de liens d’intérêt en lien avec son intervention.

Pr Julien Mazières, pneumologue (Hôpital Larrey, CHU de Toulouse, INSERM UMR 1037) déclare les liens d’intérêt suivants : Roche, Astra Zeneca, Pierre Fabre, Takeda, BMS, MSD, Jiangsu Hengrui, Blueprint, Daiichi, Novartis, Amgen.

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