Etats-Unis – La découverte de l’insuline il y a un siècle a révolutionné la vie de millions de patients et valu un prix Nobel à ses deux découvreurs, Banting et MacLeod. Pourtant, comme pour chaque découverte importante, l’histoire officielle ne retient que les principaux noms et oublie au passage des personnes-clés et les guerres d’égos qu’elles se sont livrées. La petite histoire dans la grande, que nous relate notre consœur Becky McCall.
Prêt à tout pour sauver son enfant d'une mort certaine due au diabète, le père de Leonard Thompson emmène son fils de 14 ans à l'hôpital général de Toronto le 11 janvier 1922 pour recevoir ce qui fut sans doute la première dose d'insuline administrée à un être humain. Alors qu’on lui prédisait une espérance de vie augmentée de quelques semaines – voire quelques mois au mieux –, de façon surprenante, le jeune Thompson a vécu 13 années supplémentaires, pour finalement mourir d'une pneumonie sans lien avec son diabète.
Cette histoire refait surface à l’occasion de la célébration du centenaire d'une découverte remarquable. L'insuline a, en effet, changé ce qui était autrefois une condamnation à mort en une espérance de vie presque normale pour les millions de personnes atteintes de diabète de type 1 au cours des 100 dernières années.
Mais derrière le succès bouleversant de cette découverte – et du prix Nobel qui l'a accompagné – se cache une autre histoire entachée par les affirmations contestées, les vérités biaisées et les probables injustices, alors que chacun se disputait une place d'honneur dans l'histoire de la médecine.
Kersten Hall, PhD, chercheur honoraire en histoire des sciences et des religions à l'Université de Leeds (Royaume-Uni) a parcouru les archives et les dossiers de patients stockés à l'Université de Toronto, Ontario, Canada, pour découvrir la petite histoire derrière la découverte de l'insuline.
Revenant sur les querelles des scientifiques, il affirme : « Il y a une distinction entre la science et les scientifiques. Les scientifiques sont des êtres humains merveilleusement imparfaits et complexes avec toutes leurs vertus et leurs vices, comme nous tous. Il n'est pas surprenant qu'ils puissent être avides, jaloux ou manquant d’assurance ».
Des années 1920 à aujourd’hui
Avant la découverte de l'insuline en 1921, être diagnostiqué avec un diabète de type 1 plaçait quelqu'un au seuil de la mort, avec la famine comme seule option pour tenter de survivre. Sachant qu’à cette époque, la plupart des cas de diabète étaient probablement du diabète de type 1 car, avec des régimes moins obésogènes et une durée de vie plus courte, les gens étaient beaucoup moins susceptibles de développer un diabète de type 2.

Dr Charles Best
De nos jours, il est largement reconnu que la prévalence du diabète de type 2 est sur une courbe ascendante abrupte, mais il en va de même pour le diabète de type 1. Si l’on s’en tient uniquement aux États-Unis, 1,5 million de personnes ont reçu un diagnostic de diabète de type 1, un nombre qui devrait atteindre environ 5 millions d'ici 2050, selon la Juvenile Diabetes Research Foundation (JDRF), une association d’aide aux diabétiques de type 1.
Fait intéressant, 100 ans après le premier patient traité, l'insuline à vie reste la seule véritable thérapie efficace pour les patients atteints de diabète de type 1. Une fois que les cellules bêta pancréatiques ont cessé de fonctionner et que la production d'insuline s'est arrêtée, le remplacement de l'insuline est le seul moyen de maintenir la glycémie dans la plage recommandée (A1c ≤ 48 mmol/mol [6,5 %]), selon National Institute for Health and Care Excellence (NICE) britannique et de nombreuses autres société savantes du diabète, dont l'American Diabetes Association (ADA).
Des essais cliniques préliminaires s’intéressent à la greffe de cellules souches, qualifiée prématurément de « remède » contre le diabète de type 1, comme alternative à l'insulinothérapie. La procédure consiste à transplanter des cellules dérivées de cellules souches, qui deviennent des cellules bêta fonctionnelles lorsqu'elles sont transplantées chez l'homme, mais nécessitent une immunosuppression (un frein à son développement).
Aujourd'hui, l'espérance de vie des personnes atteintes de diabète de type 1 traitées à l'insuline est proche de celle des non-diabétiques, bien que cela dépende du degré de contrôle de la glycémie. Certaines études montrent que l'espérance de vie des personnes atteintes de diabète de type 1 est inférieure d'environ 8 à 12 ans à celle de la population générale, mais varie selon l'endroit où vit la personne.
Dans certains pays à faible revenu, de nombreuses personnes atteintes de diabète de type 1 meurent encore prématurément, soit parce qu'elles ne sont pas diagnostiquées, soit parce qu'elles n'ont pas accès à l'insuline. Le coût élevé de l'insuline aux États-Unis est bien connu, et nombreux sont les patients qui meurent faute de moyens pour acheter de l'insuline.
Sans insuline, le jeune Leonard Thompson n’aurait pas eu la chance d'atteindre son 15e anniversaire.
« Ces patients étaient cachectiques et maigres, ils auraient pesé environ 40 à 50 livres (18 à 23 kg), ce qui est très peu pour un jeune adolescent. La survie était courte, de l’ordre de semaines ou de mois », remarque le Dr Elizabeth Stephens, endocrinologue à Portland dans l’Oregon.
« La découverte de l'insuline a vraiment été un miracle car sans elle, les patients diabétiques risquaient une mort certaine. Même de nos jours, si les gens ne reçoivent pas leur insuline parce qu'ils n'en ont pas les moyens ou pour une raison quelconque, le risque de décès reste important », souligne le Dr Stephens.
De la découverte des îlots pancréatiques à l’extrait purifié
C’est en 1869 que le Dr Paul Langerhans découvre les cellules des îlots pancréatiques, ou îlots de Langerhans, alors qu'il est étudiant en médecine. Les chercheurs essayent alors de produire des extraits qui abaissaient la glycémie, mais ceux-ci sont trop toxiques pour être utilisés par les patients.

Dr Frederick Banting
Dans son livre récent, Insulin - the Crooked Timber, l’auteur Kersten Hall, ex-chercheur en biologie moléculaire, fait également référence au fait qu'un chercheur allemand appelé le Dr Georg Zuelzer a démontré chez six patients, en 1908, que les extraits pancréatiques pouvaient réduire les taux urinaires de glucose et de cétones, et que dans un cas, le traitement avait pu sortir un patient du coma. Le Dr Zuelzer avait purifié l'extrait avec de l'alcool mais les patients souffraient toujours de convulsions et de coma car ils subissaient, en fait, un choc hypoglycémique, que le Dr Zuelzer n'avait pas identifié comme tel.
« Il pensait que sa préparation contenait des impuretés – et c'est là toute l'ironie de l’histoire, car il avait entre les mains une préparation d'insuline si propre et si puissante qu'elle envoyait les animaux de test en état de choc hypoglycémique », souligne Kersten Hall.
C’est en 1921 que deux jeunes chercheurs, le Dr Frederick Banting, médecin praticien à Toronto, et un étudiant de dernière année en physiologie à l'Université de Toronto et Charles Best, MD, DSc, collaborent aux travaux de John Macleod, MBChB, professeur de physiologie à l'Université de Toronto, et supérieur de Charles Best, pour fabriquer des extraits pancréatiques, d'abord à partir de chiens, puis de bovins.
Au cours des mois précédents le traitement du jeune Thompson, Banting et Best travaillent tous deux au laboratoire à la préparation de l'extrait pancréatique de bovins et le testent sur des chiens atteints de diabète.
C’est donc, dans ce qui équivaudrait aujourd’hui à un essai de phase 1, avec un "n = 1", que Leonard Thompson, frêle et proche de la mort, reçoit 15 ml d'extrait pancréatique au Toronto General Hospital en janvier 1922. Son taux de glycémie chute alors de 25 %, mais malheureusement, son corps continue à produire des corps cétoniques, indiquant que l'effet antidiabétique est limité. Il présente également une réaction indésirable au point d'injection avec une accumulation d'abcès.
Ainsi, malgré l'isolement réussi de l'extrait et son administration au jeune Thompson, le produit reste contaminé par des impuretés.
À ce stade, un collègue, le Dr James Collip, PhD, vient à la rescousse. Grâce à ses compétences de biochimiste, il purifie suffisamment l'extrait pancréatique pour en éliminer les impuretés.
Lorsque Léonard Thompson est traité 2 semaines plus tard avec l'extrait purifié, le résultat est beaucoup plus positif. Finie la réaction au site d'injection, finis les niveaux élevés de glucose dans le sang, et Léonard Thompson, lui-même « est devenu plus vif, plus actif, a meilleure mine et dit qu'il se sent plus fort », dans une publication décrivant le traitement.
Le Dr Collip détermine alors également qu’avec une purification poussée à l’excès du produit, les animaux sur lesquels il expérimente peuvent réagir de manière excessive et avoir des convulsions, tomber dans le coma, voire mourir pour cause d’hypoglycémie due à une trop grande quantité d'insuline.
Combat d’égos
S’appuyant un extrait du journal de Frederick Banting, Kersten Hall affirme que celui-ci était d’un tempérament lunatique. En témoigne sa perte de patience quand James Collip refuse de partager sa formule de purification. Son journal relate les faits suivants : « Je l'ai attrapé d'une main par le pardessus... et je l'ai presque soulevé, je l'ai assis durement sur la chaise... Je me souviens lui avoir dit que c'était un bon travail. Il était si petit – sinon je « lui aurait collé mon poing dans la figure ».

Dr John MacLeod
Selon Kersten Hall, lorsque Banting et Macleod reçoivent conjointement le prix Nobel de médecine, en 1923, Best supporte mal d’être exclu. Et même si Banting partage avec lui la moitié du montant de son prix, l'animosité subsiste.
Au point qu’avant de partir en avion pour une mission de guerre au Royaume-Uni, Banting affirme que s'il ne revient pas vivant, « et qu’ils donnent ma chaire [de professeur] à ce fils de pute Best [sic], je ne reposerai jamais en paix dans ma tombe. » Par un cruel coup du destin, l'avion de Banting s’écrase et tous les passagers meurent.
A l’époque, la course au prix Nobel est également une source de rivalité entre Banting et son patron, Macleod. À la fin de 1921, alors qu'il présente les résultats de modèles animaux à la conférence de l'American Physiological Society, les nerfs de Banting lâchent. Quand Macleod prend le relais sur l’estrade pour terminer l'exposé, Banting considère que son patron lui vole la vedette.
Quelques mois plus tard seulement, lors de la conférence annuelle de l'Association of American Physicians, lorsque Macleod fait la première annonce officielle de la découverte de l’insuline à la communauté scientifique, l’absence de Banting est remarquée.

Dr Charles Best (à droite) avec son assistant (à gauche) dans le laboratoire en 1960.
Prix Nobel ou un cadeau empoisonné ?
Décernés chaque année pour la physique, la chimie, la médecine/physiologie, la littérature, la paix et l'économie, les prix Nobel sont généralement considérés comme le Saint Graal de la réussite. Chaque prix équivaut à environ 40 000 $ à l'époque (environ 1 000 000 $ en valeur actuelle) – l’argent remis ayant été légué par testament par Alfred Nobel en 1895.
En 2001, s’exprimant dans la revue Diabetes Voice, le professeur Sir George Alberti, DPhil, BM BCh, ancien président du Royal College of Physicians du Royaume-Uni, résume le fardeau qui accompagne le prix Nobel ainsi : « Je crois personnellement que de tels prix et récompenses font plus de mal que de bien et devraient être abolis. Beaucoup de scientifiques sont morts en se sentant profondément lésés parce qu'ils n'ont pas reçu de prix Nobel ».
Des enjeux si élevés entourent le prestigieux prix que, dans le cas de l'insuline, la poursuite ardente de la gloire a balayé la vérité et la plus élémentaire courtoisie de l’histoire de la découverte de l’insuline. Après la mort de Macleod en 1935 et celle de Banting en 1941, Best en profite pour essayer de réviser l'histoire en minimisant la contribution de Collip et en ne gardant que le moment clé de la première dose d'insuline administrée, bien que la récupération complète du patient sans effets secondaires n'ait été obtenue que plus tard avec l'aide de Collip.
Malgré son exclusion du prix Nobel, Best a néanmoins été reconnu comme un élément crucial de la découverte de l'insuline, explique Kersten Hall. Au point que lorsque Best s’exprime sur la découverte de l'insuline lors de la réunion de la New York Diabetes Association en 1946, il a été présenté comme un conférencier dont la réputation est déjà si grande qu'il « n'a pas besoin d’être présenté ».
« Et lorsqu'un nouvel institut de recherche est ouvert à Toronto en 1953, il porte le nom de Best, en son honneur. Le discours d'ouverture, par Sir Henry Dale du UK Medical Research Council, le porte aux nues, au grand mécontentement de son ancien collègue, James Collip, qui est assis dans le public », souligne Hall.
« La découverte de l'insuline a été un miracle, elle a permis aux gens de survivre », explique le Dr Stephens. « Peu de médicaments peuvent annuler une condamnation à mort comme l'insuline peut le faire. Il est facile d'oublier comment c'était quand l'insuline n'était pas là – et ce n’est pourtant pas si loin. »
Kersten Hall fait remarquer que le progrès scientifique et les découvertes sont souvent décrits comme étant le résultat de génies imposants s’appuyant les uns sur les autres.
« Mais je pense que lorsque le philosophe allemand Emmanuel Kant dit que « d’un bois si tordu dont sont faits les hommes, jamais l’on ne tirera rien de bien droit », il nous offre une image beaucoup plus précise de la façon dont la science fonctionne. Et je pense qu'il n'y a peut-être pas d’exemple plus probant que l'histoire de l'insuline », considère-t-il.
Kersten Hall qu’Elizabeth Stephens sont diabétiques de type 1 et ont tous deux ont bénéficié des efforts de Banting, Best, Collip, Zuelzer et Macleod.
L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous le titre Inside Insulin : The Feuds and Vitriol Behind the Discovery of This Life-Saving Therapy. Traduit par Stéphanie Lavaud.
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Citer cet article: Quelles querelles d’égo derrière la découverte de l’insuline ? - Medscape - 10 févr 2022.
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