Lausanne, Suisse – Un système de neuromodulation révolutionnaire a permis à trois patients atteints d'une lésion médullaire grave (LM) de restaurer rapidement leur fonction motrice, selon de nouvelles recherches de l’équipe suisse de Grégoire Courtine, connue pour ses travaux sur la neuro-réadaptation.

L'étude a démontré qu'un système de stimulation électrique épidurale (SEE) développé spécifiquement pour les lésions de la moelle épinière a permis à trois hommes atteints de paralysie complète de se tenir debout, de marcher, de faire du vélo, de nager et de bouger leur torse dans la journée qui a suivi l’implantation.
« Grâce à cette technologie, nous avons été capables de nous focaliser sur des personnes présentant les lésions médullaires les plus graves, c'est-à-dire celles présentant une lésion médullaire cliniquement complète, sans sensation ni mouvement dans les jambes », a déclaré Grégoire Courtine, PhD, professeur de neurosciences et neurotechnologie à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, à l'Hôpital universitaire de Lausanne et à l'Université de Lausanne, aux journalistes présents à la conférence de presse de présentation de cette étude.
L'étude a été publiée en ligne le 7 février dans Nature Medicine [1].
Plus rapide, précis, efficace
Les lésions médullaires impliquent que des connexions ont été rompues entre le cerveau et les extrémités des membres. Pour compenser ces connexions perdues, les chercheurs ont investigué la thérapie par cellules souches, les interfaces cerveau-machine et les exosquelettes motorisés pour en conclure que ces approches ne sont pas encore au point.
Ils ont découvert entre temps que des connexions faiblement fonctionnelles pouvaient être présentes même chez des patients souffrant d'une lésion « totale ». Ils se sont alors penchés sur la possibilité d’utiliser des stimulateurs périduraux conçus pour traiter la douleur chronique. Et ce d‘autant que des études récentes – dont trois publiées en 2018 – concernant l’effet de ces stimulateurs sur la douleur chez les patients atteints de lésions médullaires incomplètes se sont révélées prometteuses.
Problème, l'utilisation de cette technologie – en quelle sorte « reconditionnée » pour servir à une nouvelle indication – impliquait d’utiliser un réseau d'électrodes relativement petit et court qui ne permettait pas aux chercheurs suisses de « viser toutes les régions de la moelle épinière impliquant le contrôle des mouvements des jambes et du tronc », a déclaré Grégoire Courtine.
Avec la nouvelle technologie, « nous sommes beaucoup plus précis, efficaces et plus rapides dans l'administration de la thérapie ».
Pour développer cette nouvelle approche, les chercheurs ont donc conçu une palette de branchements avec un agencement d'électrodes ciblant les racines dorsales sacrées, lombaires et bas-thoraciques impliquées dans les mouvements des jambes et du tronc. Ils ont également défini un cadrage numérique personnalisé qui permet un placement chirurgical optimal de cette palette de branchement.
De plus, ils ont développé un logiciel permettant de configurer des programmes de stimulation individualisés de l'activité qui soit à la fois rapides, simples et prévisibles.
Les chercheurs ont testé ces neuro-technologies chez trois hommes atteints de paralysie sensorimotrice complète dans le cadre d'un essai clinique en cours. Les participants, âgés de 29, 32 et 41 ans, ont subi une LM grave suite à un accident de moto 3, 9 et 1 an avant l'entrée dans l’étude.
Les trois patients présentaient une paralysie sensorimotrice totale. Ils étaient incapables de faire le moindre pas et les muscles restaient au repos à chaque tentative.
Lors d’une intervention, une neurochirurgienne, le Dr Jocelyne Bloch, a implanté des électrodes le long de la moelle épinière des participants à l'étude, lesquelles ont été connectées à un neurostimulateur implanté sous la peau dans l'abdomen.
Les patients pouvaient alors sélectionner différents programmes d'activité à partir d'une tablette, laquelle envoie ensuite des signaux au dispositif implanté.
Approche personnalisée
Dès le lendemain de la chirurgie, les participants à l’étude ont pu se tenir debout, marcher, faire du vélo, nager et contrôler les mouvements du tronc.
« Ce n'était pas parfait au tout début, mais ils ont pu s'entraîner très vite pour avoir une démarche plus fluide », a déclaré la neurochirurgienne Jocelyne Bloch, professeure associée à l’Université et l’Hôpital universitaire de Lausanne.
À ce stade, tous les patients paralysés ne sont pas éligibles à la procédure. Le Pr Bloch a expliqué qu'au moins 6 cm de moelle épinière saine sous la lésion sont nécessaires pour implanter les électrodes.
« L'anatomie de la moelle épinière varie énormément entre les individus. C'est pourquoi il est important d'étudier chaque personne individuellement et de disposer de modèles de simulation individuelle afin d'être précis. »
Les chercheurs envisagent de créer « une bibliothèque de réseaux d'électrodes », a ajouté Grégoire Courtine. Grâce à l'imagerie préopératoire de la moelle épinière de l'individu, « le neurochirurgien pourrait alors sélectionner le réseau d'électrodes le plus approprié pour un patient spécifique ».
Grégoire Courtine a fait la remarque que la récupération des sensations avec ce système diffère d'un individu à l'autre. Un participant à l'étude, Michel Roccati, aujourd'hui âgé de 30 ans, a, par exemple, déclaré lors de la conférence qu'il ressent que son muscle se contracte pendant la stimulation.
Actuellement, seules les personnes dont la lésion a plus d'un an d’ancienneté sont incluses dans l'étude pour s'assurer que celle-ci est « stable » et que les patients ont atteint « un plateau en termes de récupération », a déclaré le Pr Bloch. Néanmoins les expériences menées sur des modèles animaux montrent qu’il serait possible de booster les bénéfices de la méthode en intervenant plus tôt, a-t-elle ajouté.
L'âge d'un patient peut aussi faire fluctuer le résultat : les patients plus jeunes sont probablement en meilleur état et plus motivés que les patients plus âgés, a déclaré le Pr Bloch. Elle a cependant indiqué que les patients qui n’avaient pas loin de 50 ans avaient bien répondu à la thérapie.
De tels systèmes de stimulation peuvent s'avérer utiles dans le traitement d'affections que l’on retrouve généralement associées aux lésions médullaires, telles que l'hypertension et le contrôle de la vessie, et peut-être aussi chez les patients atteints de la maladie de Parkinson, a déclaré Grégoire Courtine.
Les chercheurs prévoient de mener une autre étude qui comprendra un générateur d'impulsions de nouvelle génération avec des fonctionnalités qui rendent la stimulation encore plus efficace et conviviale. Un système de reconnaissance vocale pourrait éventuellement être connecté au système.
« La prochaine étape est un mini-ordinateur que vous implantez dans le corps qui communique en temps réel avec un iPhone externe », a déclaré Grégoire Courtine.
ONWARD Medical, qui a développé la technologie, a reçu une désignation de dispositif disruptif (« breakthrough ») de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis. La société est en pourparlers avec la FDA pour mener un essai clinique aux États-Unis.
Un « grand pas en avant »
Dans un commentaire pour Medscape Medical News, le Dr Peter J. Grahn, PhD, professeur adjoint, Département de médecine physique et de réadaptation et Département de chirurgie neurologique à la Mayo Clinic, et auteur de l'une des études publiées en 2018, a déclaré que cette technologie « est un énorme pas en avant » et qu’elle permet de « faire avancer les choses ».
Comparé à l'appareil utilisé dans son étude qui est conçu pour traiter la douleur neuropathique, ce nouveau système « est beaucoup plus apte à provoquer une stimulation dynamique », a déclaré le Dr Grahn. « Vous pouvez adapter la stimulation selon la zone de la moelle épinière que vous souhaitez cibler lors d'une fonction spécifique. »
Il y a eu « beaucoup d'espoir et de battage médiatique » récemment autour des cellules souches et des traitements biologiques censés être des « médicaments magiques » pour guérir le dysfonctionnement de la moelle épinière, a déclaré le Dr Grahn. « Mais je ne pense pas que ce sera le cas. »
Il a cependant remis en question l'utilisation du mot "marcher" par les chercheurs.
« Ils disent que la marche ou la marche indépendante est restaurée dès le jour 1, mais les graphiques montrent que ce jour-là, 60% de leur poids corporel était supporté lorsqu'ils ont fait ces premiers pas », a-t-il déclaré.
En outre, la « grande question » est de savoir comment cette technologie peut être généralisée de façon à être « mise en œuvre dans tous les centres de réadaptation », a déclaré le Dr Grahn.
L'étude a été soutenue financièrement par Wings for Life, Defitech Foundation, International Foundation for Research in Paraplegia, Rolex for Enterprise, Carigest Promex, Riders4Riders, ALARME, Panacée Foundation, Pictet Group Charitable Foundation, Firmenich Foundation, ONWARD Medical, European Union's Horizon 2020, RESTORE : Eurostars E10889, OPTISTIM: Eurostars E!12743, le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique, Conseil Européen de la Recherche , Eurostars No. E10889, ONWARD medical, la Commission de la Technologie et de l'Innovation Innosuisse , H2020-MSCACOFUND-2015 EPFL Fellows program. Grégoire Courtine et Jocelyne Bloch détiennent divers brevets en relation avec le présent article. Grégoire Courtine est consultant chez ONWARD Medical, et lui et le Dr Bloch sont actionnaires d'ONWARD Medical, une société en relation directe avec le travail présenté. Le Dr Grahn ne signale aucune relation financière pertinente.
L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous le titre Motor Function Restored in Three Men After Complete Paralysis From Spinal Cord Injury. Traduit par Stéphanie Lavaud.
Crédit photo de Une : NeuroRestore, Jimmy Ravier
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Citer cet article: Fonction motrice restaurée chez 3 hommes atteints d'une lésion médullaire grave - Medscape - 9 févr 2022.
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