Revirement : la HAS favorable à l’expérimentation du dépistage organisé du cancer du poumon

Anne-Gaëlle Moulun

Auteurs et déclarations

8 février 2022

France— En 2016, la HAS avait considéré que toutes les conditions n’étaient pas réunies pour une mise en œuvre efficace et sûre d’un dépistage organisé du cancer du poumon. Elle vient de changer d’avis, en s’appuyant sur l’analyse de nouvelles données disponibles qui montrent que « le dépistage par scanner à faible dose chez les personnes fortement exposées au tabac conduit à une réduction de la mortalité spécifique ». Ceci « amène la HAS à actualiser son avis et à encourager la mise en place d'expérimentations en vie réelle, et notamment d'un programme pilote par l'INCA, afin de ne pas retarder l'accès à cette modalité de dépistage », précise l’instance.

 
Le dépistage par scanner à faible dose chez les personnes fortement exposées au tabac conduit à une réduction de la mortalité spécifique.
 

« Une très bonne nouvelle », pour le Pr Sébastien Couraud, chef du service de pneumologie aiguë spécialisée et de cancérologie thoracique de l’hôpital Lyon Sud. « En 2016, la HAS était un peu frileuse car il n’y avait qu’un seul essai, américain, sur ce sujet. Mais depuis, de nouvelles données européennes ont conforté les données américaines. Nous demandions à pouvoir expérimenter ce parcours de soins sur le terrain pour vérifier sa faisabilité, comment organiser les choses, l’intérêt médico-économique, etc ; et c’est exactement ce que propose la HAS », se félicite-t-il.

Pour lui, il y a trois niveaux d’organisation pour un dépistage : le dépistage opportuniste, déjà recommandé par les sociétés savantes pour le cancer du poumon et mis en œuvre actuellement ; le dépistage organisé par les pouvoirs publics, comme pour le cancer du sein, du col ou du côlon et entre les deux, les expérimentations.

Adapter le parcours de soins

Dans le cas du cancer broncho-pulmonaire, l'examen de dépistage est un scanner thoracique à faible dose sans injection, technique d'imagerie aussi appelée tomodensitométrie. En cas d'anomalie, le bilan diagnostique comporterait l'examen clinique, des examens complémentaires d'imagerie médicale ou de médecine nucléaire et éventuellement une biopsie de la lésion.

« Recommander que les pouvoirs publics invitent à intervalles réguliers une partie de la population asymptomatique à pratiquer un scanner thoracique à faible dose soulève de nombreux enjeux », juge la HAS.

« L’un des pré-requis pour la mise en place d’un dépistage organisé, c’est pour moi la question du parcours de soins, c’est-à-dire comment on met en lien les acteurs pour avoir un chemin coordonné pour le patient, comment on s’assure de son éligibilité, quel accès au scanner, comment l’interpréter convenablement, re-convoquer les patients de manière adaptée par rapport aux recommandations et leur proposer un sevrage tabagique, mais aussi leur proposer des solutions si on trouve autre chose, par exemple de l’emphysème ou des calcifications coronaires », estime le Pr Couraud. Le second enjeu pour lui est de travailler sur les conditions techniques : utiliser des scanners encore plus faiblement dosés, faire appel à l’intelligence artificielle pour aider le radiologue, développer des biomarqueurs, optimiser les critères d’éligibilité, etc.

Évaluer les effets du surdiagnostic

La HAS relève que « les résultats positifs des études sur la réduction de la mortalité spécifique et du taux de détection des cancers à un stade avancé doivent être considérés au regard des effets délétères liés au surdiagnostic (diagnostic de lésions cancéreuses indolentes, c'est-à-dire qui n'auraient pas évolué ou de cancers qui ne seraient jamais devenues symptomatiques) et à la détection de faux positifs pouvant générer une anxiété, des examens complémentaires, des traitements et des risques accrus de complication) ».

A ainsi été rapporté par les auteurs des études analysées le fait qu'entre 0,1 % et 1,5 % des personnes incluses aient reçu un bilan diagnostique invasif en raison d'un résultat faux positif lors du dépistage et des taux de complications mineures à graves faisant suite aux examens complémentaires de 0,1 % à 1,3 %. « Ces données sont à confirmer par des études complémentaires selon des modalités de dépistage en adéquation avec le système de soins français », souligne la HAS.

Elle préconise que l'INCA engage un programme pilote et soutienne la mise en place des études complémentaires sur la base des recommandations de la HAS « en vue d'obtenir les réponses encore manquantes et indispensables à la mise en place d'un programme de dépistage organisé efficace et sûr. »

Facteur de risque identifié et taxable

Pour le Pr Couraud, la population-cible de ces expérimentations de dépistage serait « les personnes de plus de 50 ans et de moins de 75 ans, qui fument ou ont fumé pendant plus de 25 ans : plus de 15 cigarettes par jour pendant plus de 25 ans ou plus de 10 pendant plus de 30 ans. Il s’agit soit de personnes qui fument encore, soit de personnes ayant arrêté de fumer depuis moins de 15 ans. C’est la population-cible identifiée dans les études. Dans les expérimentations, nous pourrons regarder si c’est intéressant de dépister d’autres populations, par exemple des personnes ayant fumé et ayant aussi manipulé de l’amiante », envisage le Pr Couraud.

La procédure de dépistage pourrait comprendre un scanner initial, un scanner un an plus tard, puis tous les deux ans, sauf en cas de BPCO ou d’emphysème où ce serait une fois par an.

Concernant le rapport coût-efficacité de ce dépistage, le Pr Couraud botte en touche. « Dans la littérature scientifique anglo-saxonne, l’impact médico-économique du dépistage est coût-efficace. En France, pour le cancer du poumon, on a un facteur de risque identifié et taxable. Nous avions fait une modélisation en 2017, qui montrait qu’en augmentant d’1 % le prix du paquet de cigarette, on pouvait couvrir tous les frais de dépistage en France, intégralement et assez largement. »

 
Nous avions fait une modélisation en 2017, qui montrait qu’en augmentant d’1 % le prix du paquet de cigarette, on pouvait couvrir tous les frais de dépistage en France, intégralement et assez largement. Pr Sébastien Couraud
 

 

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