Virtuel – Si le cancer et l'hypertension artérielle ont des facteurs de risque communs comme le diabète, l'obésité ou encore les états chroniques inflammatoires, les traitements anticancéreux, en premier lieu les thérapies ciblées, peuvent aussi être à l'origine d'une hypertension artérielle. A l'occasion de la 41ème Journée de l’hypertension artérielle (JHTA2021)[1], le Dr Charles Dolladille (cardiologue, CHU Caen) a fait le point sur les traitements novateurs en cancérologie, leur effet sur la pression artérielle et la conduite à tenir des cliniciens. Pour lui, l'objectif est la poursuite des traitements anti-cancéreux, si possible à pleine dose pour maximiser les chances du patient.
« On aurait peut-être tendance à se dire que pour les patients avec un cancer, l'HTA n'est pas le problème », avance le Dr Dolladille, qui a une activité de recherche au sein de la filière PICARO (prévention et prise en charge des effets indésirables cardiaques associés aux médicaments prescrits en oncologie). Cette position se tiendrait mais c'est oublier que « l'HTA est un facteur de risque majeur de développer de développer une cardiotoxicité, notamment des dysfonctions ventriculaires gauches, aux traitements anti-cancéreux. » En outre, le Dr Dolladille rappelle que ne pas traiter l'HTA est un facteur de risque d'arrêt prématuré du traitement anti-cancéreux et donc une perte de chance.
Anti-VEGF et inhibiteurs du protéasome
Deux familles de thérapies ciblées peuvent avoir des effets hypertenseurs : ce sont les anti-VEGF et les inhibiteurs du protéasome.
Indiqués dans les cancers métastiques coliques, pulmonaires et rénaux, les inhibiteurs du VEGF ( cabozantinib, lenvatinib, nintedanib, pazopanib, sunitinib, vandetanib, axitinib, regorafenib, sorafenib, ponatinib, aflibercept, bévacizumab, ramucirumab) sont à l'origine d'une HTA chez 30 à 50 % des patients.
« Ce n'est pas négligeable dans la mesure où pratiquement 2% des patients présentant une HTA sous bévacizumab vont devoir être hospitalisés au motif d'une HTA », indique le cardiologue normand. Il précise qu'à l'exception des anticorps monoclonaux, la toxicité dépend de la dose, peut apparaître rapidement, même après une première prise, et peut perdurer longtemps après l'arrêt du traitement.
Concernant les inhibiteurs de protéasome, c'est en particulier le carfilzomib, prescrit dans le myélome multiple et d'autres hémopathies malignes, qui présente une toxicité cardiovasculaire très fréquente. Jusqu'à 50 % des patients sous carfilzomib souffriront d'effets indésirables CV pour lesquels l'HTA est largement représentée, d'après Charles Dolladille qui indique que ces patients doivent faire l'objet d'une surveillance cardio-oncologique dédiée.
Conduite à tenir pour le cardiologue
L'orateur est favorable à une visite de cardiologie préthérapeutique et à un suivi régulier au cours du traitement par thérapie ciblée. « On trouve plusieurs algorithmes de prise en charge dans la littérature. Il y en a un par exemple qui propose une surveillance initiale rapprochée lors du premier cycle puis toutes les deux-trois semaines, avec des objectifs qui sont ceux de la population générale (<140/90 mmHg) " détaille-t-il[2]. Il conseille qu'à chaque passage dans le service d'oncologie, « lorsque le patient vient pour une injection d'antiVEGF », il y ait une prise de tension et une éducation thérapeutique à l'automesure tensionnelle.
Quelle conduite à tenir en cas d'HTA sous anticancéreux ?
Charles Dolladille rappelle que de nombreux médicaments (antidépresseurs, immunosuppresseurs, AINS, corticoïdes,...) peuvent être potentiellement responsables de l'HTA d'un patient atteint d'un cancer. « Si votre patient prend l'un de ces médicaments, vous pouvez alors l'arrêter et le changer. Potentiellement, vous améliorez l'HTA de votre patient et vous conservez le traitement anticancéreux », explique-t-il en suggérant de faire appel à un centre de pharmacovigilance si besoin.
Sauf crise hypertensive ou atteinte d'organes liée à l'HTA, le traitement anticancéreux doit être poursuivi et l'HTA traitée. L'arrêt du traitement anticancéreux, dont le bénéfice sur la survie est démontré, n'est envisagé qu'en dernier recours.
« Attention aux antagonistes calciques bradycardisants »
Pour traiter l'HTA sous anticancéreux, deux classes de médicaments peuvent être utilisées : les IEC/ ARA2 et les antagonistes calciques non-bradycardisants. Bien connues, elles ont l'avantage de ne pas avoir d'interactions majeures avec les enzymes hépatiques (CYP3A4) et la Pgp.
Le Dr Charles Dolladille indique que les autres classes (bêta-bloquants, thiazidiques, antialdostérone centraux) peuvent être prescrits en seconde intention. En revanche, il prévient fermement : « Attention aux antagonistes calciques bradycardisants (verapamil et diltiazem) pour lesquels il y a un risque majeur d'interaction médicamenteuse. » Ces deux médicaments sont des inhibiteurs de la Pgp et de la CYP3A4, deux voies métaboliques utilisées par de nombreux cancéreux. « Vous êtes à risque de surdosage. C'est donc une famille qu'on conseille d'éviter ».
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Citer cet article: HTA sous thérapie ciblée : à connaître, à traiter - Medscape - 3 févr 2022.
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