
Pr Laurent Guilleminault
Lille, France— « Chez un patient atteint de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), il faut être attentif à la dyspnée mais également à la présence d’une toux chronique », a indiqué le Pr Laurent Guilleminault (Pôle des voies respiratoires, CHU de Toulouse), interrogé par Medscape édition française au congrès de la Société française de pneumologie 2022[1].
Reste qu’à l’heure actuelle, il n’existe aucun médicament spécifique pour soulager la toux chronique, en dehors du sevrage tabagique et du contrôle de la BPCO, a-t-il précisé lors d’une session du congrès consacré à cette question.
Souvent le premier symptôme d’une BPCO, la toux chronique est banalisée, considérée comme une conséquence attendue du tabagisme ou de l’exposition environnementale. Au départ, la toux peut être intermittente puis quotidienne, souvent tout au long de la journée[2].
Cependant, la toux chronique possède depuis peu une définition consensuelle, inscrite dans les recommandations internationales et même nationales (en cours de rédaction) : la toux chronique est une toux qui dure depuis au moins huit semaines[3].
« Cette vision de la toux chronique est assez récente », souligne Laurent Guilleminault, qui coordonne le texte national en préparation attendu au second semestre 2022, « car depuis des décennies prévalait la problématique de la « bronchite chronique », définie en 1962 par une toux productive trois mois par an, pendant au moins deux ans[4].
Une description empirique sans réels fondements scientifiques et qui n’a fait que brouiller les pistes entre bronchite chronique et toux chronique pour caractériser le handicap des patients. Exit le terme de bronchite chronique, il faut désormais employer uniquement le terme de toux chronique ».
D’autant que cette maladie est répandue : si la toux chronique concerne 3,4 % à 22 % de la population générale[5], sa prévalence augmente dans la BPCO, avec 14 à 74 % des patients concernés, dont 42 % sont des fumeurs actifs, 26 % d’ex-fumeurs et 22 % des non-fumeurs. La toux chronique est répandue et sévère. En effet, sa présence accroît le risque de décès[6].
La toux chronique n’est pas une pathologie anodine dans la BPCO
Les études commencent à peine à étayer les particularités de la toux chronique dans le cadre de la BPCO. 5 % des personnes BPCO qui toussent ont une toux chronique non productive et 20 % une toux productive. Parmi les découvertes, la première était attendue : la qualité de vie est dégradée en cas de toux chronique. Le handicap lié à la toux chez les patients BPCO est bien démontré : la toux retentit sur leur qualité de vie, avec une forte altération des scores chez des patients BPCO tousseurs chroniques[7].
« Il faut systématiquement demander à nos patients BPCO s’ils sont gênés par une toux, insiste Laurent Guilleminault. Nous sommes très attentifs à la dyspnée, il faut également l’être à propos de la toux ». De plus, ceux qui en souffrent semblent avoir un stade GOLD de sévérité de la BPCO plus altéré et être plus souvent sujets à des exacerbations : le risque d’exacerbation en cas de toux chronique est en effet supérieur à 50 %.
De plus, une relation positive entre la dyspnée et la toux[7]et l’altération de la qualité de vie ou le volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) a été retrouvée.
« Un patient avec une BPCO qui tousse consomme plus de soins, est plus dyspnéique, a une VEMS et une qualité de vie altérées, et à tendance à exacerber plus souvent », indique l’orateur.
Le patient BPCO tousseur n’est pas un patient BPCO comme les autres
La toux chronique dans la BPCO est un évènement majeur sur le plan de l’altération de la qualité de vie mais également de la sévérité de l’insuffisance respiratoire : il semblerait que les patients BPCO tousseurs chroniques soient également les plus symptomatiques.
D’après une étude danoise, les 10 % des patients BPCO tousseurs chroniques inclus étaient également ceux qui étaient les plus dyspnéiques, avaient plus de dyspnée nocturne et de sifflements, expectoraient le plus, et ressentaient plus souvent des douleurs thoraciques[9].
Par ailleurs, ces patients tousseurs recourent plus fréquemment aux consultations de médecine générale, et ceux dont le VEMS est inférieur à 50 % ont plus tendance à tousser, mais sans différence au niveau du taux d’éosinophiles ni de neutrophiles. Seule la CRP varie, et est plus élevée, que les individus aient d’ailleurs une BPCO ou non.
Une autre étude va dans le même sens, mais utilise plutôt le terme de « bronchite chronique », lequel sous-tendrait une BPCO plus sévère (qualité de vie, altération du VEMS) ainsi qu’une augmentation du risque d’exacerbation[10].
De plus, chez ces personnes, le risque de décès serait plus important10, comme mentionné plus haut dans cet article. Constat inattendu, ce surcroît de risque de mortalité concernerait principalement les patients ayant des BCPO de stade GOLD1, donc légères.
« Autrement dit, le risque de mortalité chez les patients ayant une BPCO légère serait notamment porté par la présence d’une toux chronique/bronchite chronique. Des personnes qui doivent bénéficier de toute notre attention », résume le pneumologue.
Physiopathologie de la toux du patient BPCO : tout reste à démontrer
Les patients BPCO tousseurs chroniques ont-ils un phénotype particulier ?
Si une étude française a phénotypé les patients BPCO, la toux n’était pas un critère pris en compte[12], rien n’apparaissant non plus dans la littérature internationale.
Selon le Pr Guilleminault, « la sensibilité de la toux semble associée aux exacerbations : plus la personne développe un réflexe sensible à la toux, plus elle risque d’exacerber et plus le risque d’inflammation systémique est alors important ». L’implication de l’inflammation systémique sur l’augmentation du risque d’exacerbation, sur la dégradation bronchique ou le décès est suggérée, mais non établie scientifiquement[13].
Par ailleurs, les patients avec une BPCO et fumeurs actifs paient un lourd tribut en termes de toux chronique : entre les individus atteints de BPCO fumeurs et ex-fumeurs, les premiers ont tendance à souffrir d’une toux plus sévère. Globalement, parmi les facteurs prédictifs de toux chez les BPCO, le tabac ressort comme le principal facteur de risque[14]».
Quel traitement pour soulager la toux des patients avec BPCO ?
Il n’existe pas aujourd’hui d’étude spécifique conduite sur la toux chronique chez les patients avec une BPCO pour un médicament donné, contrairement à la dyspnée et aux exacerbations.
Deux études sont parues avec des bronchodilatateurs, n’ayant cependant pas été conçues pour analyser l’effet de la molécule sur la toux. La première, avec le formotérol (agoniste bêta-2 adrénergique sélectif), est assez ancienne et de faible puissance statistique. Elle remarque une action légère du formotérol sur la toux[15].
En revanche, l’impact n’est pas significatif avec l’indacatérol, agoniste partiel des récepteurs bêta-2-adrénergiques. Le score de symptôme de la toux semblait amélioré avec le tiotropium, anticholinergique à longue durée d’action[16] d’après une étude avec un effectif réduit, alors que l’aclidinium (antagoniste muscarinique inhalé à longue durée d’action) semble avoir un effet modeste[17]. Concernant les corticoïdes inhalés, une seule publication disponible, dans le Lancet en 1998 avec la fluticasone, ne permettait pas de conclure.
A ce jour, seule l’azithromycine a démontré une amélioration du score de la qualité de vie après 12 semaines de traitement, en utilisant le Leicester Cough Questionnaire[18].
Selon les recommandations européennes actuelles, l’azithromycine pourrait avoir une place dans le traitement de la bronchite chronique avec ou sans BPCO. Dans la BPCO, cette prescription nécessite d’évaluer la balance bénéfice/risque engendrée par la pression de sélection bactérienne de cet antibiotique.
Des antagonistes sélectifs des récepteurs P2X3 vont être commercialisés dans la toux chronique réfractaire, sans pour autant que l’on sache s’ils seront efficaces chez les patients BPCO tousseurs chroniques.
« Il n’y a pas d’étude spécifique sur le traitement médicamenteux de la toux chronique, résume le pneumologue.
En pratique, le sevrage tabagique est impératif. La recherche de comorbidités (RGO, rhinosinusite, etc.) à l’interrogatoire permet éventuellement d’initier un traitement de ces maladies associées.
En cas de toux chronique persistante en dépit d’une prise en charge bien conduite, un avis pneumologique s’impose afin de discuter la mise en route de traitements neuromodulateurs (amytriptilline, prégabaline, gabapentine) dans le contexte de toux chronique réfractaire ».
Le Pr Laurent Guilleminault (Pôle des voies respiratoires, CHU de Toulouse) déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec la présentation.
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Crédit image de Une : Dreamstime
Image 1: L. Guilleminault
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Citer cet article: BPCO : ne pas négliger la toux chronique - Medscape - 2 févr 2022.
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