Réadaptation cardiaque : de multiples façons de la pratiquer

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

31 janvier 2022

Paris, France – Centrale dans le traitement des coronariens, la réadaptation cardiaque est une recommandation de grade IA. De nombreuses méta-analyses l'ont démontré : la réadaptation cardiaque réduit la mortalité d'environ 25 %, la morbidité d'environ 20 % et améliore la qualité de vie. Pourtant bien moins de la moitié des patients victimes d'un infarctus bénéficie aujourd'hui d'un programme de réadaptation cardiaque. « Situation inacceptable » selon les mots de Jean-Christophe Blanchard, cardiologue à Paris et vice-président du Groupe Exercice Réadaptation Sport Prévention(GERSP) de la Société française de cardiologie. Alors que faire ?

Lors des  Journées européennes de la Société Française de Cardiologie (JESFC), plusieurs cardiologues ont avancé des solutions et décrit des expérimentations lors d'une session dédiée à la réadaptation cardiaque en pratique [1].  Il s'est agi notamment de trouver les moyens de favoriser la réadaptation cardiaque lors d'une reprise rapide du travail et de pérenniser les bénéfices de la réadaptation sur le long terme. 

« Il existe une recommandation, les médecins la connaissent, elle s'applique à leur patient et ils ne font rien ». Le Dr Jean-Christophe Blanchard rappelle cette définition de l'inertie thérapeutique qui convient parfaitement à la réadaptation cardiaque. Plusieurs freins ont été identifiés : ils sont liés à l'organisation du système de soin, aux médecins mais aussi aux patients eux-mêmes. 

Du côté des patients, l'un de ces freins à la réadaptation est la nécessité pour certains, comme les professions libérales et les artisans, de devoir reprendre leur travail rapidement. Le Dr Dany Marcadet (cardiologue, Paris) a centré son intervention sur cette problématique. 

« Quels sont les facteurs qui font qu'on n'envoie pas les patients en réadaptation ? » 

En réponse à cette question, le Dr Blanchard a évoqué les facteurs « totalement illogiques » mis en évidence par une étude de 2014 menée par le Pr Hervé Douard (CHU Bordeaux). « On n'envoie pas les personnes âgées, ni les femmes, ni les gens qui ont déjà fait un IM... », déplore-t-il. De fait, sur l'ensemble de la cohorte de 450 patients, les freins à la prescription de réadaptation cardiaque ont été identifiés comme : un âge avancé et/ou des comorbidités importantes (46%), un refus du patient (19%), une absence d’offre de réadaptation cardiaque à proximité de son domicile (19%) ou un défaut non justifié de prescription (16%). L’âge ≥75 ans (RR : 0,29, p<0,01) et un antécédent de coronaropathie (RR : 0,34, p<0,01) sont des facteurs indépendants de frein à la prescription de RC ; le sexe féminin (RR : 0,61, p=0,09) et une FEVG ≤45% (RR : 0,62, p=0,08) tendent également à être des facteurs limitants. 

« Adapter la réadaptation »

Aujourd'hui, parmi les patients qui ne font pas de réadaptation cardiaque, il y a ceux qui reprennent le travail. Pour le Dr Marcadet, il devrait pourtant être possible de concilier les deux. 

Comment ? « On peut aménager le travail et on peut adapter la réadaptation » propose-t-il. L'aménagement du temps de travail, ou mi-temps thérapeutique, est un dispositif déjà existant qui permet au patient de reprendre avec un volume hebdomadaire de 25%, 50% ou encore 75%. Cela laisse ainsi du temps pour la réadaptation. Autre possibilité : changer le salarié de poste de travail à l'intérieur de l'entreprise afin de libérer du temps pour la réadaptation. 

Enfin, une autre solution viendrait du système d'organisation. « On peut adapter la réadaptation 

Beaucoup de travaux ont montré que la réadaptation à domicile est aussi efficace que celle en centre », indique Dany Marcadet. Il poursuit : « Les formes les plus souvent développées sont des formes hybrides où l'on commence la réadaptation en centre puis elle se poursuit à domicile avec des retours au centre tous les 15 jours ou tous les mois. Les patients adhèrent bien à ces « hybrid cardiac rehabilitation », surtout les hommes ». 

Il existe également les structures libérales légères. « C'est ce qu'on fait dans la SSR classique sauf que la latitude horaire est plus large (8h-20h). Cela ne prend aux gens qu'une heure dans leur journée au lieu d'une matinée entière » explique-t-il. Bien que fractionnées et pouvant être étalés sur plusieurs mois, ces séances restent variées : éducation thérapeutique, réentraînement, diététique ou encore consultations de psychologie. Finalement, ces structures libérales légères permettent d'apporter le centre de réadaptation au plus près du patient. 

Des expérimentations en cours 

L'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018 a introduit un dispositif permettant d'expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédit. « La nouvelle loi de la SS permet de financer des innovations en médecine non cotées par la Caisse d'Assurance maladie. Un forfait est donné pour l'expérimentation. Cela peut porter par exemple sur une consultation de psychologue ou sur l'organisation des soins », explique le Dr Dany Marcadet qui a choisi de présenter quatre programmes de réadaptation qui font partie des 100 projets « article 51 » sélectionnés. 

Ces programmes en cours d'inclusion sont évalués par des universitaires. D'une part, sur le plan clinique, il s'agit de savoir si ces programmes sont au moins aussi efficaces que la réadaptation cardiaque classique et s'ils permettent de recruter des patients qui n'iraient pas en réadaptation. D'autre part, il s'agit aussi d'évaluer la reproductibilité du programme sur l'ensemble du territoire. 

Outre un projet de structures libérales légères réparties dans trois centres (Paris, Reims et Strasbourg), les trois autres « article 51 » sont des programmes de réadaptation cardiaques hybride. Le programme Read'hy (Ile de France, Corse, Bretagne) est une expérience de télé-réadaptation cardiaque de 10 semaines avec un suivi à distance et une évaluation hebdomadaire ou bimensuel en présentiel. Walk Hop (Ile de France, Hauts de France, Auvergne, Pays de la Loire) est programme de télé-réadaptation cardiaque pour les patients coronariens stabilisés après un accident aigu et avec un risque de réadaptation faible (score RARE≥2). Enfin, le programme EvaCorse se déroule en Corse. « Le constat était qu'il était très difficile pour les patients de venir en réadaptation en ambulatoire car les routes sont petites très sinueuses dans la montagne. Les trajets prennent beaucoup de temps même pour les petites distances », indique le Dr Marcadet. Il détaille : « des unités mobiles, avec une infirmière ou un kiné, se déplacent auprès des patients pour la réadaptation cardiaque ». 

Le cardiologue, un rôle essentiel dans l'arrêt du tabac

Dans son intervention centrée sur l'arrêt du tabac, le Pr Daniel Thomas (cardiologue, CHU La Pitié- Salpêtrière) a souligné le rôle du cardiologue. « S'occuper d'un fumeur n'est pas si compliqué que cela. Vous pouvez vous occuper de vos fumeurs », a-t-il assuré, rappelant que 80 % des patients victimes d'un infarctus du myocarde avant 50 ans fument. L'orateur considère qu'une seule petite phrase, « qui prend trente secondes dans la consultation », peut faire la différence. En somme, il faudrait que le médecin demande systématiquement à son patient s'il fume et précise qu'être aidé multiplie par quatre les chances d'arrêt. Avant de démarrer le traitement pour le sevrage tabagique. « Quand on est cardiologue, c'est fondamental car il est la référence pour le patient. Cela augmente la confiance et l'observance du traitement » poursuit-il. Il conseille que dans chaque centre de réadaptation, des professionnels se chargent de cette problématique d'arrêt du tabac.

Comment garder le dynamisme sur le long terme ? 

« Au bout d'un an, la moitié de nos patients a abandonné les règles acquises et mises en pratique au départ, que ce soit pour l'activité physique ou pour les règles en termes d’alimentation », résume le Dr Pascal Guillo (cardiologue, Rennes). Pour éviter que les effets positifs finissent par s'étioler au fil du temps, il considère que les médecins réévaluent et renforcent périodiquement la motivation des patients. « Vous pensez à interroger vos patients sur leurs symptômes, la prise de médicaments... Il faut leur demander aussi ce qu'ils font en termes d'activité physique et s'ils ont réussi à suivre le régime » indique-t-il car « si vous ne vous y intéressez pas, ils vont finir par se dire que ce n'est pas si intéressant que cela et que cela ne sert pas à grand-chose. ». 

Il rappelle aussi que les clubs « cœur et santé », 270 sur l'ensemble du territoire qui accueillent 18000 patients, ne sont plus des « clubs de retraités à l'image vieillotte » et qu'ils sont très utiles pour les patients. « La plupart des patients y sont fidèles car ils trouvent là une continuité de ce qu'ils ont appris » constate-t-il. 

Un programme d'après-réadaptation cardiaque fait également l'objet d'un article 51. Il s'agit du programme As du cœur qui consiste à proposer à des patients à l'issue d'une réadaptation cardiaque classique une prise en charge pendant 5 mois consécutifs au cours desquels ils feront deux séances digitalisées à domicile par semaine. Des entretiens motivationnels sont prévus régulièrement.  « Sur ces 5 mois les patients auront peut-être le temps de changer durablement leurs habitudes pour continuer tout seuls par la suite. » précise le Dr Guillot qui rappelle qu'en général « ce sont les programmes de réadaptation les plus longs qui se soldent par une meilleure adhérence à long terme. »

Crédit photo de une : Dreamstime

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