POINT DE VUE

« A l’hôpital, il est urgent d’envoyer un signal positif aux soignants »

Christophe Gattuso

28 janvier 2022

France  Il est désormais l’un des principaux porte-voix des médecins de l’hôpital public. Elu président de la Conférence nationale des CME de CHU, le Pr Rémi Salomon fixe ses priorités pour préserver les établissements publics essorés par des crises sanitaire et sociale. Le pédiatre de Necker a pour priorité d’améliorer rapidement les conditions de travail pour rendre plus attractifs les métiers du soin. Entretien.

Medscape édition française : L’hôpital va mal. Des soignants le quittent, ceux qui restent sont exaspérés. A Paris, 2 800 médecins de l’AP-HP ont interpellé le président de la République. Dans de très nombreuses villes de France, une minute de silence symbolique est très suivie tous les vendredis. Comprenez-vous ce ras-le bol ?

Pr Rémi Salomon

Pr Rémi Salomon : Oui, je le comprends et je le vis au quotidien. Cela fait des années que cela dure. J’alertais déjà avant la crise sanitaire sur les difficultés d’attractivité des carrières médicales et paramédicales. Année après année, en partie à cause du mode exclusif de financement avec la tarification à l’activité, et de budgets en retrait par rapport aux besoins réels, les hôpitaux offrent des conditions de travail de plus en plus difficiles. Les soignants s’interrogent sur la perte de sens de leur métier. Ce sentiment d’avoir du mal à exercer son métier de médecin ou de paramédical est aujourd’hui très largement partagé dans tous les hôpitaux de France.
 

Les hôpitaux offrent des conditions de travail de plus en plus difficiles.

Président de la CME de l’AP-HP, vous avez été élu le 11 janvier président des CME de CHU de France (avec 16 voix contre 14 au Pr Karim Asehnoune, CHU de Nantes). Dans ce contexte si particulier, vous sentez-vous investi d’une responsabilité particulière ?

Pr R. Salomon : Tout à fait. J’ai fait le choix de présenter ma candidature à la présidence de la conférence nationale des CME de CHU car, comme tout le monde, je suis inquiet de la situation de l’hôpital. Dans certains déserts médicaux, des services d’urgence d’hôpitaux de proximité ferment la nuit ou le week-end, et les CHU se retrouvent avec des patients qui viennent de loin. Beaucoup de collègues ont décidé de quitter l’hôpital. La situation est grave mais je n’ai pas un tempérament à jeter l’éponge. J’ai au contraire pris le problème à bras-le-corps à l’AP-HP et je veux agir à l’échelle des CME de CHU de France.

Les soignants s’interrogent sur la perte de sens de leur métier.

En novembre, avec les présidents de CME franciliens, vous avez réclamé dans une tribune au Monde un plan choc pour rendre plus attractifs les métiers du soin à l’hôpital. Quelle est la mesure la plus urgente ?

Pr R. Salomon : L’urgence absolue est d’envoyer un signal positif aux soignants. On manque aujourd’hui de personnels infirmiers. C’est vrai à Paris et c’est vrai partout – une estimation de 25 000 infirmières au niveau national a été avancée. Il nous faut évaluer les manques et raisonner dorénavant à partir d’un nombre raisonnable de patients qu’un infirmier peut prendre en charge pour préserver des soins de qualité.

L’instauration d’un ratio de patients par infirmière devrait donc voir rapidement le jour ?

Pr R. Salomon : Un groupe de travail est en place à l’AP-HP. Le sujet est sur la table au niveau national. Beaucoup de pays ont établi des ratios. En France, des ratios existent déjà en anesthésie-réanimation, dans les unités de soins continus ou dans des secteurs très spécialisés mais ce n’est pas le cas dans les services d’hospitalisation traditionnelle. Il faudrait que ces ratios soient définis avec les tutelles qui gèrent l’organisation des soins, les conférences hospitalières et les représentants infirmiers. C’est un point très important pour redonner de l’attractivité au métier d’infirmier. Aujourd’hui, beaucoup se plaignent de devoir suivre trop de patients et de ne pas pouvoir bien faire leur travail.

Il nous faut évaluer les manques et raisonner dorénavant à partir d’un nombre raisonnable de patients qu’un infirmier peut prendre en charge.

Les revalorisations du Ségur de la santé n’ont pas suffi à garder ces professionnels à l’hôpital.

Pr R. Salomon : Les hausses de salaire, c’est important, mais les conditions de travail le sont au moins autant. Sans infirmiers, des lits ferment. On a besoin d’infirmiers pour faire tourner les services et les blocs opératoires. De nombreux postes de médecins sont aussi vacants, des services d’urgence manquent de praticiens, des urgences fonctionnent essentiellement avec des intérimaires… Nous n’avons peut-être pas assez pris conscience que les jeunes générations ont une autre conception du métier de médecin que leurs aînés. Les choses ont évolué, l’effectif de médecins reste conséquent mais le temps médical s’est réduit. Certains médecins partent, d’autres se mettent en temps partiel ou se lancent dans l’intérim, qui est une gangrène pour les établissements.

Que faut-il faire pour contrer cette pénurie médicale ?

Pr R. Salomon : Former plus de médecins ! En attendant leur arrivée, il est indispensable de s’organiser, de prévoir le transfert de certaines tâches médicales – sujet très sensible – mais aussi de revoir l’organisation de la permanence des soins (PDS), en nous interrogeant sur le rôle de la médecine libérale qui s’est désinvestie des gardes depuis 15 ans. Les missions de tous les acteurs du soins, médecine libérale, hôpitaux publics, cliniques privées et Espic… doivent être redéfinies pour être davantage en complémentarité plutôt qu’en concurrence.

Certains médecins partent, d’autres se mettent en temps partiel ou se lancent dans l’intérim, qui est une gangrène pour les établissements.

A l’AP-HP, Martin Hirsch veut attirer des futurs professionnels en proposant une allocation d’études assortie d’un contrat de 18 mois à l’AP-HP mais aussi des contrats de 6 ou 9 mois avec une rémunération comparable à l’intérim. Ces réponses financières sont-elles de nature à améliorer la situation ?

Pr R. Salomon : Ces mesures sont transitoires jusqu’à la prochaine sortie d’écoles d’infirmières à la fin de l’été. Il faudrait interdire l’intérim à la sortie des écoles d’infirmiers. Laisser de jeunes infirmières papillonner d’un service à l’autre n’est pas bon pour compléter leur formation. Faire débarquer dans un service un jeune infirmier mieux payé que ses collègues et qui choisit ses horaires n’est pas, non plus, bon pour la cohésion des équipes ! L’AP-HP propose de transformer cet intérim en une période fixée de 6 ou de 9 mois. Ça déplace un peu le problème, ça ne le résout pas.

Faire débarquer dans un service un jeune infirmier mieux payé que ses collègues et qui choisit ses horaires n’est pas, non plus, bon pour la cohésion des équipes !

Dans ce contexte de pénurie, les directions ont la tentation de proposer aux personnels en poste de faire des heures supplémentaires majorées. Peut-on toujours demander plus à ceux qui restent ?

Pr R. Salomon : On est obligés de faire face à la demande, les patients sont là, il faut les soigner, alors oui, les heures supp’ sont un recours. Mais il faut faire attention, le risque est que les professionnels jettent plus vite l’éponge. Quand on tire trop sur la corde, elle craque. On essaie de faire au mieux, ce n’est pas simple.

Les heures supp’ sont un recours. Mais il faut faire attention, le risque est que les professionnels jettent plus vite l’éponge.

Les dernières réformes hospitalières ont alourdi les tâches administratives. Certains pensent même que les hôpitaux comptent trop de personnels administratifs. Etes-vous de ceux-là ?

Pr R. Salomon : Non, je ne suis pas aussi tranché. Les secrétaires médicales sont-elles du personnel administratif ? Une chose est sûre en revanche, nous avons trop de procédures. Il y a énormément d’évaluations, de tableaux à remplir. La certification des établissements en est un exemple – la HAS devrait d’ailleurs la simplifier. Quand on a besoin de matériel, on doit faire appel à plusieurs personnes, passer par une chaîne compliquée et chronophage…

Faut-il revenir à une plus grande place confiée aux services ?

Pr R. Salomon : Les services sont l’entité principale dans un hôpital, avec les médecins, les paramédicaux, les secrétaires… C’est à ce niveau qu’il faut donner davantage d’écoute. Le binôme chef de service-cadre de soins, doit travailler avec les équipes pour réfléchir à l’organisation du travail. Plus que l’autonomie, c’est un bon dialogue avec les services qu’il faut rétablir.

Quand on a besoin de matériel, on doit faire appel à plusieurs personnes, passer par une chaîne compliquée et chronophage…

Le financement hospitalier est largement décrié. Or, la tarification à l’activité (T2A) tarde à être revue ?

Pr R. Salomon : Certaines activités ne sont pas bien mesurées par la T2A : les maladies chroniques, avec des patients qui nécessitent du temps et des moyens en sont un bon exemple. A l’inverse, pour un acte chirurgical très codifié comme une chirurgie de la cataracte, la T2A est pertinente. Je ne suis donc pas pour jeter la T2A mais pour l’adapter.

Les déprogrammations consécutives aux plans blancs ont entraîné des retards de prise en charge. Comment éviter des drames ?

Pr Rémi Salomon : Les déprogrammations et les reports d’interventions sont un problème important. On a déjà observé pendant les premières vagues que cela pouvait avoir des répercussions massives. Il y aura certainement des retards de diagnostics de cancer ou de prise en charge. Il faut que l’on ait une vision prospective de l’impact qu’auront ces retards sur les patients et dès maintenant prévoir comment nous allons les éponger en espérant qu’aucune nouvelle vague épidémique ne nous mette en difficulté.

Les déprogrammations et les reports d’interventions sont un problème important.

Vers une gouvernance plus médicalisée ?

Les médecins auront-ils un peu plus voix au chapitre lors de la prise de décisions stratégiques qui concernent leur établissement ? A l’AP-HP, la CME s’est dit prête à analyser les départements médico-universitaires (DMU), apparus avec la réforme de la grande AP-HP, il y 3 ans et accusés par certains d’être une strate administrative inutile. « Nous allons analyser le fonctionnement des DMU, je ne suis pas de ceux qui demandent leur suppression. Il faut qu’on les évalue, certains fonctionnent bien, d’autres pas », confesse le Pr Salomon. Une tendance se dessine pour que la gouvernance des hôpitaux puisse être médicalisée. « Nous sommes en train de finaliser une charte de la gouvernance avec la conférence des directeurs généraux des CHU que chaque hôpital pourra décliner », annonce Rémi Salomon.

 


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