Décès d’un patient : la souffrance des cardiologues est sous-estimée

Catherine Moréas

27 janvier 2022

France – Comment les médecins ressentent-ils le décès de leurs patients ? La question n’avait jamais été posée aux praticiens en charge de malades cardiaques, comme s’il était évident que la mort fasse partie de leur métier. Et pourtant une enquête nationale (voir encadré), dont les résultats ont été dévoilés le 14 janvier à Paris lors des 34ème Journées européennes de la Société française de cardiologie , montre tout le contraire. Il est temps de « briser le tabou de la mort et de son impact sur les soignants », estime le Pr Thibaud Damy, cardiologue au CHU Henri-Mondor (Créteil), l’un des promoteurs de cette étude. Il avait été interviewé par Medscape l’an passé pour expliquer le pourquoi de cette enquête. (Lire Pour que la souffrance liée au décès des patients ne soit plus un tabou : enquête auprès des cardiologues.)

« On ne s’y habitue jamais »

Interrogés par internet entre le 1er juillet et le 1er octobre 2021, plus de 900 cardiologues, chirurgiens cardiaques et anesthésistes-réanimateurs ont accepté de répondre à un questionnaire anonyme. Certains se sont même livrés face caméra sur ce sujet intime et difficile (des témoignages à retrouver sur une chaîne Youtube dédiée). Il y a celui qui tient scrupuleusement « son petit fichier, la liste noire » de tous les décès de l’année. Un autre qui n’oubliera jamais son premier mort « dans le box 4, à gauche au fond des soins intensifs ».  Et cet autre qui résume : « Certes, on est confronté régulièrement à la mort mais on ne s’y habitue jamais ».

Les « médecins du cœur » – c’est ainsi qu’ils se définissent – ont fait les comptes : ils sont confrontés en moyenne à dix décès par an. Pour la grande majorité d’entre eux (83 %), ces morts ont un impact émotionnel important (supérieur ou égal à 5 sur une échelle de 1 à 10).

Un sentiment d’isolement

La perte d’un patient est d’autant plus difficile à encaisser qu’elle touche un sujet jeune, qu’elle survient de manière subite ou sur la table d’opération. « Aujourd’hui, le plus douloureux pour moi, c’est quand la mort survient au cours d’une intervention que tu as décidée. C’est une vraie onde de choc, un cataclysme », raconte le Dr Thierry Laperche dans une vidéo. Il faut assumer son choix et trouver les mots pour annoncer le décès à la famille. Tout cela pour, au final, se retrouver « tout seul avec ses idées tristes ».

La solitude du médecin face à la mort d’un patient, c’est l’un des principaux enseignements de cette enquête. Difficile d’en parler à ses collègues : il ne faut surtout pas montrer ses faiblesses ! Difficile aussi d’en parler à sa famille et à ses amis. « Le premier réflexe de la majorité des soignants, c’est d’adopter une position de neutralité et de masquer ses émotions. Il y a cette injonction à rester maître de soi en toutes circonstances, sous peine de ne pas être professionnel », observe la sociologue Rebecca Dickason qui a participé à l’étude.

Un impact émotionnel important

Et, contrairement à une idée reçue, les années d’expérience ne changent rien à l’affaire. « Plus on vieillit, plus on accumule de traumatismes et plus la cocotte-minute risque d’exploser », constate Thibaud Damy.

Résultats, une proportion non-négligeable des médecins interrogés est en souffrance psychologique (les niveaux ayant été mesurés à l’aide d’échelles validées scientifiquement) : 45 % présentent des symptômes importants de burn-out. 37,8 % ont des niveaux d’anxiété et 31,1 % des niveaux de dépression qui nécessiteraient une prise en charge psychologique. 33 % sont en état de stress post-traumatique.

Dans le groupe le plus impacté sur le plan émotionnel (201 soignants), 17 % reconnaissent avoir pris des « substances toxiques » pour surmonter le décès d’un patient, 10 % ont eu besoin d’anxiolytiques ou d’antidépresseurs. Seuls 12 % ont consulté un psychologue ou un psychiatre.

Le silence de l’institution

Face à cette « pénibilité émotionnelle » qui, estime Rebecca Dickasen, « a un impact évident en termes de santé, de sécurité au travail et de qualité des soins », l’institution hospitalière apporte peu de réponse.

« Il y a bien des psychologues qui peuvent rencontrer le personnel en difficulté. Mais rien n’est organisé. On ne vient pas vers vous. Il faut faire la démarche », regrette le Pr Erwan Flecher, chirurgien cardiaque au CHU de Rennes, autre pilier de l’étude.

La situation est peut-être plus facile à vivre pour les paramédicaux car les cadres de santé hésitent moins à solliciter un psychologue lorsqu’un décès impacte fortement une équipe. « Si un cadre demande de l’aide, c’est accepté. Mais si un médecin le fait, cela remet en cause sa posture », constate Véronique Thoré, cadre de santé au CHU de Nancy. Le second volet de l’enquête, lancé le 14 janvier, apportera davantage d’informations sur le ressenti des infirmières, aide-soignantes ou kinésithérapeutes.

Trouver des solutions d’accompagnement

Groupes de paroles, soutien psychologique, formation à l’annonce de la mort…. Les idées ne manquent pas pour aider les soignants à affronter la disparition d’un patient avec lequel ils ont parfois tissés de véritables liens. Reste à savoir si l’hôpital aura les moyens, et l’envie, de mettre en place des solutions d’accompagnement.

 

Une enquête inédite en cardiologie

L’initiative de cette enquête nationale revient à trois sociétés savantes : la Société française de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire, la Société française de cardiologie et la Société Anesthésie-Réanimation Cœur-Thorax-Vaisseaux.

925 « médecins du cœur » ont participé, 747 questionnaires étaient complets et exploitables.

75 % des répondants sont des cardiologues, 12 % des anesthésistes-réanimateurs, 8 % des chirurgiens cardiaques, 5 % des cardio-pédiatres.

Près de la moitié sont des femmes (45 %).

43 % exercent en CHU.

La moyenne d’âge est de 45 ans.

La durée d’exercice dans la profession est en moyenne de 19,3 ans.

La durée hebdomadaire de travail est en moyenne de 55 heures par semaine.

Sur une échelle de 1 à 10 qui traduirait la cotation de l’importance de la relation qui les lie à différents intervenants du milieu professionnel, les participants à l’enquête situent les relations avec leurs collègues à 7,9 ; à 8 celles avec leurs patients ; à 7,4 celles avec les familles de leurs patients et à 5 celles avec l’institution qui les emploie.

 

 

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