France – Le nouvel avis du Haut Conseil de la santé publique sur l’usage de la cigarette électronique établit que la cigarette électronique ne doit pas être proposée comme outil de sevrage par les professionnels de santé. Réactions de quatre tabacologues.
Revirement de la part du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) depuis son avis de 2016 [1] : le comité consultatif vient de publier le 4 janvier dernier ses préconisations en matière d’utilisation de la vape à des fins de sevrage tabagique. Ce texte, daté de novembre 2021 [2], stipule que « les bénéfices potentiels et les risques » de l’utilisation de la cigarette électronique « ne sont pas établis à ce jour ». Par conséquent, celle-ci ne doit pas être proposée comme outil de sevrage du tabac par les professionnels de santé. Ces derniers, « qui accompagnent un fumeur dans une démarche de sevrage tabagique se doivent d’utiliser des traitements médicamenteux ou non ayant prouvé leur efficacité », comme les patchs ou les gommes à la nicotine, juge l’organisme, qui ne condamne pas pour autant les produits de substitution nicotinique pouvant être « utilisés hors système de santé » puisqu’il n’est pas exclu que leur rapport bénéfice/risque « puisse représenter une aide pour certains consommateurs et contribuer ainsi à améliorer leur santé ».
Ivan Berlin met les points sur les « i »

Dr Ivan Berlin
Cet avis est destiné aux professionnels de santé au sens large, ainsi qu’à la population, et « nous avons pris soin dans nos recommandations de distinguer ces deux publics », explique le Dr Ivan Berlin, l’un des membres du groupe de travail du HCSP, et par ailleurs, co-responsable du DIU de tabacologie de l’Université Paris-Saclay (Hôpital Pitié-Salpêtrière - Sorbonne Université, Paris). Et d’ajouter : « la qualité des données sur le rapport bénéfice-risque de la cigarette électronique est si faible qu’il nous est déontologiquement impossible de la conseiller dans un objectif de sevrage tabagique par un professionnel de santé. » Il ne s’agit pas d’une question d’opinion, assure le spécialiste, mais simplement d’un manque de données selon les normes internationales pour se prononcer. « L’hypothèse est forte que la cigarette électronique soit une aide réelle à l’arrêt du tabac. En revanche, aucune étude ne relève les effets indésirables (infections ou effets respiratoires, conséquences en cas de coronaropathie, etc.), ni ne l’a comparée aux interventions validées. » L’avis du HCSP est en phase avec les recommandations américaines [3], européennes [4] et de l’Organisation mondiale de la santé [5].
Côté grand public, « les données épidémiologiques, souvent de qualité insuffisante inhérente au suivi des cohortes, sont pour la plupart en faveur d’une chance accrue de sevrage tabagique sous e-cigarette, expose Ivan Berlin. C’est pourquoi nous avons laissé la possibilité d’une utilisation individuelle, selon le choix de chacun. » La demande est effectivement considérable. En 2020, 37,4 % des adultes de France métropolitaine déclaraient avoir déjà expérimenté le vapotage ; 5,4 % vapotaient dont 4,3 % quotidiennement [6].
Une position schizophrène, selon le Pr Dautzenberg

Pr Bertrand Dautzenberg
Ce distinguo entre professionnels de santé et grand public pose un problème, comme l’explique le Pr Bertrand Dautzenberg, professeur honoraire Sorbonne Université (AP-HP), pneumologue et tabacologue à l’Institut Arthur Vernes (Paris) : « Certaines conclusions ne sont pas des faits scientifiques, mais des opinions avec lesquelles je suis en désaccord. Le HCSP délivre un message un peu schizophrène qui peut être préjudiciable à la santé des fumeurs : alors qu’il décrit la vape comme un bon moyen de sevrage pour le fumeur souhaitant arrêter le tabac sans l’aide d’un professionnel de santé, il refuse au médecin la possibilité de la conseiller ! Quel médicament est bon lorsqu’il est pris en automédication et déconseillé lorsqu’il est prescrit par un médecin ? »
Pour le HCSP, la tolérance apparaît satisfaisante, même s’il constate que les données à long terme font défaut. « Devant l’absence de certitudes, poursuit le Pr Dautzenberg, il semble faire le choix de protéger les médecins et les soignants plus que d’aider les fumeurs. Ce n’est pas mon choix ni celui de nombreux collègues qui ont acquis l’opinion que la vape est un outil d’aide aux victimes du tabac, qui est encore plus efficace s’il est intégré à la prise en charge par les soignants. Aucune étude scientifique citée par le HCSP n’évoque le fait qu’il soit nuisible que les soignants conseillent, entre autres, la vape. »
Pour le tabacologue, l’avis du HCSP ne prend pas en compte deux faits essentiels : « Il néglige que plus de la moitié des fumeurs qui passent à la vape l’arrêtent après un certain temps. Il ignore par ailleurs la baisse progressive, mais importante, de la consommation quotidienne de nicotine qui accompagne l’arrêt complet de la cigarette durant les trois mois qui suivent l’arrêt chez presque tous les vapoteurs, comme ceux qui sont sous patchs ou autres substituts nicotiniques. Dans ma pratique, près de 60 % de mes patients vapotent et sont en parallèle sous substituts nicotiniques ; l’immense majorité réduit les doses quotidiennes de nicotine après le premier mois sans tabac. La majorité stoppe la vape dans les six mois qui suivent l’arrêt du tabac. »
En résumé, exclure ainsi la vape présente l’inconvénient d’une moins bonne prise en charge des fumeurs, privés d’un accompagnement professionnel. Nombre de spécialistes estiment que la vape a sa place dans l’arsenal médical : « La cigarette fumée augmente le besoin de nicotine et maintient la dépendance, alors qu’avec la vape – comme avec les patchs et les gommes à la nicotine – le nombre de ses récepteurs (qui entretiennent la dépendance) chute chez 90 % des vapoteurs, illustre-t-il. Cela explique pourquoi la vape se pose comme un outil potentiel de sortie du tabagisme qui s’ajoute aux aides existantes. »
Le HCSP est dans son rôle

Pr Daniel Thomas
Interrogé sur l’avis du HCSP, le Pr Daniel Thomas, cardiologue et vice-président du Comité national contre le tabagisme, le juge, pour sa part, nuancé, comme il se doit pour un conseil de santé publique fondé sur la science. « Ce texte fait la part des choses. Un professionnel de santé qui accompagne un fumeur dans une démarche de sevrage doit avant tout utiliser des traitements qui ont fait la preuve de leur efficacité. Or, la cigarette électronique, produit de consommation courante, ne possède pas de preuves d’efficacité et d’innocuité suffisamment solides à moyen/long terme pour la considérer comme un outil privilégié de soin. » Pour autant, « la vape n’est pas ostracisée, salue-t-il, et il est bien précisé qu’elle peut s’avérer utile chez certains publics. Il manque probablement en effet une recommandation spécifique guidant le médecin amené à suivre des patients utilisant déjà la vape. »

Dr Frédéric le Guillou
Une opinion que partage le Dr Frédéric le Guillou, pneumologue-allergologue et président de l’association Santé respiratoire France, association mixte patients-professionnels de santé dans le champ des maladies respiratoires : « On pouvait s’attendre à ces conclusions de la part du HCSP ; la saisine leur imposant de comparer un médicament soumis à la rigueur de l’AMM à un produit de consommation courante et n’ayant à son actif que de rares études de piètre qualité. Cela illustre deux visions : la médecine fondée sur les preuves dans le cadre d’une démarche collective, versus l’utilisation au niveau individuel d’un produit largement distribué. » Mais avec un bémol : « Il faut cependant se placer dans une prise en charge sociétale de la dépendance au tabac et pas uniquement pharmacologique », s’empresse-t-il d’ajouter. « C’est toute la limite de la démarche scientifique. En effet, dans un objectif de levée d’addiction, il ne faut pas, à mon sens, se poser sur un plan uniquement scientifique mais plus global, et savoir exploiter les aides qui n’ont pas forcément répondu aux démarches de validation habituelles, à savoir les thérapies cognitivo-comportementales, l’hypnose, l’acupuncture, etc. »
Le professionnel de santé doit jouer son rôle de conseil
Pour autant, Frédéric Le Guillou, est en désaccord avec l’avis du HCSP lorsqu’il déconseille aux médecins d’utiliser la e-cigarette. « La plupart du temps, explique-t-il, nous nous trouvons dans le cadre d’une décision partagée et, de plus, la e-cigarette n’est pas délivrée sur prescription médicale. Avec les substituts nicotiniques, il y a 75 % des personnes en demande de sevrage tabagique pour lesquelles notre réponse n’est pas adaptée. A partir du moment où un patient nous consulte et s’investit dans ce type de démarche, il est en droit de ne pas vouloir des substituts nicotiniques, dont on connaît les limites, et le professionnel devrait pouvoir lui proposer d’autres solutions. Cela vaut pour l’ensemble des méthodes qui peuvent aider au sevrage, à l’échelon individuel. »
Il faudrait se placer au-delà de la science, complète le pneumologue ; « Cela fait partie du service médical rendu au patient, même hors prescription, et dans la bienveillance : vouloir le bien de l’autre sans lui imposer sa propre version du bien (citation d’Alexandre Jollien, philosophe). Il y a l’Evidence-Based Medicine mais également l’Evidence-Based practice medicine, qui repose sur les sciences humaines et cognitives, complémentaire de la médecine, et pour une approche humaniste du soin. »
Les risques consensuels liés au vapofumage
Le HCSP mentionne dans sa 9e recommandation (sur 13 au total) destinée au grand public que le « vapofumage » (vapoter tout en continuant à fumer) est formellement déconseillé dans toutes les situations, et qu’en cas d’utilisation de la cigarette électronique dans le cadre d’une démarche de sevrage, il est important d’arrêter complètement de fumer du tabac. Ce point met tout le monde d’accord, et renforce justement le rôle du professionnel de santé dans le suivi des vapofumeurs. « A juste raison, le HCSP s’inquiète du taux de vapofumeurs, souligne le Pr Dautzenberg. Le vapofumage ne réduit pas le risque sanitaire et persiste lorsque l’on laisse le fumeur sans encadrement médical, sans conseil pour qu’il devienne rapidement vapo-substitué ou vapoteur exclusif. Si certains – trop – de fumeurs restent longtemps vapofumeurs c’est à mon avis parce que les professionnels de santé ne s’en sont pas suffisamment occupés (prescription de substituts nicotiniques, etc.). La persistance du vapofumage est le plus souvent due à un sous-dosage du taux de nicotine des e-liquides. Selon mon expérience, lorsqu’un médecin prend en charge un vapofumeur, les chances de sevrage – dans un premier temps de la cigarette puis dans un second temps de la vape – sont bien supérieures. »
Et si la vape séduit, « une condition sine qua non est un vapotage exclusif, après une éventuelle phase de vapofumage transitoire, relativement courte, reconnait le Pr Thomas. Étant donné que l’on ne connaît pas les risques du vapotage à long terme, le meilleur conseil est d’arrêter de vapoter également à court ou moyen terme quand le sevrage de la cigarette paraît acquis. Or, plus de la moitié des vapoteurs restent des « vapofumeurs », avec une fausse illusion de moindre danger. » La cohorte PATH [7] et la revue Cochrane [8] constatent en effet que beaucoup de vapoteurs n’ont pas utilisé la cigarette électronique dans l’optique préconisée de sevrage tabagique, mais dans celle d’une réduction de risque.
La vape, moins risquée… Du moins à court terme
« On peut faire l’hypothèse que la consommation (de cigarette électronique) seule est moins à risque que la consommation de tabac mais plus à risque que l’absence de consommation », écrit le HCSP. L’aérosol de la vape ne contient pas les nombreuses substances chimiques irritantes, toxiques et cancérigènes de la fumée de tabac comme les goudrons ou le monoxyde de carbone (de 9 à 450 fois moins). Une étude publiée en janvier 2021 par l’Institut Pasteur a établi que « les aérosols générés par les cigarettes électroniques contiennent moins de 1 % des toxiques retrouvés dans la fumée de cigarette » [9]. Cependant, ces derniers contiennent certaines substances que l’on ne trouve pas dans la fumée de cigarette ; les études sur ce point sont inexistantes. En 2019 aux États-Unis, les académies nationales de sciences, ingénierie et médecine ont conclu, d’après les tests toxicologiques in vitro et les études humaines à court terme, qu’utiliser la cigarette électronique est probablement beaucoup moins dangereux que le tabagisme. En juillet dernier, l’OMS a cependant répété que les cigarettes électroniques pouvaient être « dangereuses » et devaient être réglementées.
Quoi qu’il en soit, et en attendant des données plus robustes, les sociétés savantes se sont positionnées, à l’instar en 2019 de la Société francophone de tabacologie (SFT) et de la Société de pneumologie de langue française (SPLF). Dans un communiqué commun, elles affirment que « la cigarette électronique est probablement une aide efficace pour arrêter de fumer, à condition qu’elle soit utilisée de façon transitoire (en l’absence de donnée précise sur ses effets à long terme) en vue de l’arrêt de la consommation tabagique » et seulement en cas d’échec avec les autres dispositifs de sevrage, précisait le Pr Nicolas Roche, président de la SPLF en 2019[10].Même discours de la part de l’Institut national du cancer (InCA) [11].
Pour une « vapovigilance » et des études dignes de ce nom
Le HCSP propose la mise en place sans délai d’un système de recueil des symptômes, et des problèmes de santé, associés à l’utilisation grand public de la cigarette électronique, via le site signalement.fr, à l’aide d’une fiche standardisée. « Aucune étude publiée ne rapporte, par exemple, les effets indésirables graves de manière systématique », indique Ivan Berlin.
Il prêche également pour la réalisation d’essais conformes aux standards méthodologiques nationaux et internationaux avec un niveau de preuve suffisamment élevé sur l’efficacité thérapeutique et la tolérance dans le sevrage tabagique. A ce propos, l’essai thérapeutique national très attendu coordonné par le Dr Ivan Berlin (ECSMOKE, multicentrique randomisé, contrôlé avec placebo, en double aveugle, comparant les cigarettes électroniques avec nicotine à la varénicline et aux cigarettes électroniques sans nicotine), a été stoppé à mi-parcours – la varénicline n’étant plus produite par le laboratoire depuis mai 2021*. Des démarches ont été entamées auprès de deux fabricants de générique pour obtenir ce médicament (agoniste partiel des récepteurs nicotiniques du système nerveux central/Champix®).
*le 1er octobre 2021, l'ensemble des lots de Champix® a été rappelé en raison de la présence de l'impureté N-nitrosovarénicline à un taux supérieur à la limite acceptable. Pour les patients en cours de traitement, la prescription d'une alternative doit être envisagée.
La question récurrente de la vape comme médicament
Les autres interventions médicales que la cigarette électronique, médicamenteuses ou non, possèdent une AMM et une indication qui autorisent et rassurent le prescripteur, argumente Ivan Berlin et « d’ailleurs, à notre connaissance, aucun fabriquant n’a déposé de demande d’AMM pour une cigarette électronique. Or, aussi bien la France que le Royaume-Uni ont ouvert la possibilité de déposer un dossier AMM dans le sevrage tabagique. C’est un gâchis car la cigarette électronique pourrait s’avérer un excellent outil à cette fin. »
Le Royaume-Uni vient juste d’annoncer son soutien à l’octroi de licences médicales pour les cigarettes électroniques [12]. En réaction, le British Medical Journal a publié le 12 janvier [13] un face-à-face sur le sujet : d’un côté, le Pr Nicholas Hopkins de l’Imperial College de Londres se félicite de cette décision qui fournit aux médecins un moyen supplémentaire d’aider les fumeurs à arrêter de fumer. Il s’agit de rassurer les médecins, et de convaincre les patients rétifs à ce produit dans le sevrage tabagique. Tandis que pour leur part, le Pr Jørgen Vestbo de l’Université de Manchester et ses collègues affirment non seulement que l’efficacité des cigarettes électroniques dans le sevrage n’est pas prouvée et potentiellement nocive, mais que leur utilisation généralisée exposerait à un risque sociétal substantiel d’acceptation de la dépendance. Le débat n’est pas clos, même au-delà de nos frontières.
Le Pr Bertrand Dautzenberg déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec ce sujet.
Le Pr Daniel Thomas a participé comme conférencier à des réunions organisées par le laboratoire Pfizer.
Le Dr Ivan Berlin déclare avoir perçu ces trois dernières années des honoraires du laboratoire Pfizer pour intervenir lors de congrès ou de réunions, ainsi que des honoraires de la part de Kinnov Therapeutics pour présider un Comité indépendant de surveillance de sécurité d’une étude randomisée.
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Citer cet article: Le HCSP opposé à la cigarette électronique comme outil de sevrage tabagique : réactions de tabacologues - Medscape - 13 janv 2022.
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