France – Vendredi 7 janvier, les soignants d’une quinzaine d’établissements ont observé à 14h une minute de silence pour alerter sur la « mort annoncée de l’hôpital public ». Membre du collectif à l’origine de cette action, le Dr Sébastien Harscoat, médecin urgentiste au CHU de Strasbourg, explique les raisons de cette mobilisation spontanée.
L’initiative a fait boule de neige
Le mouvement symbolique est né en Alsace, le 10 décembre. Depuis cette date, plusieurs centaines de soignants se réunissent tous les vendredis à 14h sur le parvis du CHU de Strasbourg, et observent une minute de silence pour « alerter sur la mort annoncée de l’hôpital public ». En quelques semaines, l’initiative a fait boule de neige dans toute la France. Vendredi 7 janvier, les personnels médicaux et paramédicaux d’une quinzaine d’établissements – dont Bordeaux, La Rochelle, Lille, Lorient, Marseille, Paris, Pau, Rennes… – ont participé à cette minute de recueillement. Membre du collectif alsacien à l’origine de cette action, le Dr Sébastien Harscoat, médecin urgentiste au CHU de Strasbourg, explique le succès de cette mobilisation spontanée.

Dr Sébastien Harscoat
Medscape : Vous attendiez-vous à ce que la minute de silence que vous organisez tous les vendredis au CHU de Strasbourg, soit reprise et devienne le symbole de l’exaspération des soignants de l’hôpital public français ?
Dr Sébastien Harscoat : Oui et non. La situation est devenue tellement catastrophique que les soignants ont ressenti le besoin d’agir. Dans notre hôpital, plus aucun service n’est indemne de la pénurie d’infirmièr.es. Les gens sont désabusés, démotivés, ils éprouvent une profonde lassitude. Cette minute de silence hebdomadaire a un côté cathartique, elle leur permet de se fédérer, d’exprimer leur désarroi, de lancer l’alerte, de dire que l’hôpital se meurt et n’arrive plus à trouver de soignants. C’est un moyen de permettre à tous, dans le cadre d’un mouvement apolitique et asyndical, de témoigner de façon digne. Nous, soignants somment toujours là, fidèles au poste. Mais nous ne sommes tellement pas entendus que nous nous taisons. Et ce silence est assourdissant.
A quelles difficultés êtes-vous confrontés au CHU de Strasbourg ?
Dr S.H. : L’origine du malaise s’inscrit dans une problématique de réduction budgétaire. Une illustration : tout le monde a énormément travaillé pendant la première vague mais on a perdu de l’argent. L’hôpital de Strasbourg est déficitaire et qui doit le payer, ce sont les personnels à qui on supprime des primes de pénibilité ! Est-ce normal ? Nous subissons des injonctions paradoxales. On nous dit que tout va bien, que l’on va gérer la crise alors qu’il y a un vrai problème : personne ne veut reconnaître que l’on manque d’infirmières et de personnels soignants. Le Premier ministre est venu le 11 décembre à Strasbourg pour essayer d’éteindre l’incendie avec un arrosoir. C’est bien beau d’investir pour rénover l’hôpital (le Ségur de la santé prévoit une importante enveloppe financière pour moderniser les établissements hospitaliers, ndlr) mais des beaux murs blancs ne suffisent pas à recruter du personnel ! On est aujourd’hui à un point de rupture.
Quelle sont les conséquences de la pénurie de personnels ?
Dr S.H. : Les infirmièr.es n’en peuvent plus. Avec les médecins et les aides-soignant.es, elles ont beaucoup donné pendant les premières vagues de l’épidémie. Il manque environ 25 000 infirmièr.es au niveau national. A Strasbourg, sur 300 postes vacants, plus de 150 concernent les infirmièr.es. Or, on ne ferme pas de services. Et pour les faire tourner, on rappelle des infirmièr.es sur leur temps de repos. Résultat, on finit par les essorer ! Nous-mêmes, médecins, manquons de temps pour les patients. Nous ne pouvons plus faire correctement notre travail. Le problème d’organisation est global, ça craque de partout.
En pleine crise sanitaire, est-il facile de fédérer les équipes soignantes ? Ce mouvement a-t-il au moins permis de rouvrir le dialogue avec votre direction ?
Dr S.H. : Nous n’arrêtons pas de rencontrer la direction dans le cadre du CHSCT ou d’autres réunions. A chaque fois, ils nous disent ne pas avoir de solution. Nous réclamons depuis longtemps en vain par exemple un « bed manager » pour nous aider à trouver des lits aux patients. Les autorités ne veulent pas nous entendre. Les ARS (agences régionales de santé) ne bougent pas, les directions ne bougent pas. L’hôpital public n’arrive plus à recruter et ils ne bougent pas. La seule chose qui fait que des personnels restent à l’hôpital, c’est leur profonde vocation. Il faut tout faire pour les garder !
Dans une période propice à la surenchère électorale, qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?
Dr S.H. : Nous aimerions qu’ils nous entendent et admettent la réalité du problème. On ne pourra pas faire l’économie d’une certaine honnêteté. Il faut changer le financement des soins, agir pour rendre les métiers du soin plus attractifs. L’hôpital public est en train de s’écrouler, nous devons tout faire pour le sauver.
A l’AP-HP, dialogue de sourds entre la direction et les médecins
L’ambiance reste tendue entre les médecins et la direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Après une réception à l’Elysée, le 20 décembre, une délégation représentant les 2800 médecins signataires d’une lettre adressée à Emmanuel Macron (publiée dans Le Monde) a été conviée mercredi 5 janvier au siège de l’AP-HP par le directeur général Martin Hirsch. Cet échange a duré un peu plus de deux heures mais il n’a pas permis aux médecins d’obtenir d’avancées. La communauté médicale réclamait une révision de la gouvernance et plus de poids attribué aux services, des mesures fortes sur l’accès des personnels soignants aux logements, transports et crèches ou encore la suppression des départements médico-universitaires (DMU) et la révision du périmètre des groupes hospitalo-universitaires (GHU). « Le directeur n’a pas l’intention de bouger, il a répondu que si une grande réforme de l’AP-HP devait être menée, ce n’est pas lui qui la ferait », commente un médecin qui a participé à cette réunion. A peine l’AP-HP a-t-elle proposé d’expérimenter une plus grande autonomie dans quelques services et d’évaluer quelques DMU d’ici à la fin de l’année 2022. « La réunion s’est déroulée dans une ambiance fin de règne, on est en situation de blocage », a reconnu notre interlocuteur. Sollicitée à plusieurs reprises par Medscape France, l’AP-HP n’a pas souhaité répondre.
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Citer cet article: « En observant cette minute de silence, les soignants alertent que l’hôpital se meurt ! » - Medscape - 13 janv 2022.
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