POINT DE VUE

Un jeune médecin réalise sa thèse de médecine sur les expériences de mort imminente

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

5 janvier 2022

Dr François Lallier

France – Les expériences de mort imminente (EMI aussi appelées near-death experience,NDE) restent un phénomène très mystérieux. « Ces événements psychologiques profonds comportant des éléments transcendantaux et mystiques et survenant généralement chez des individus proches de la mort ou dans des situations de danger physique ou émotionnel intense », selon la définition qu’en a donné le psychiatre américain Bruce Greyson dans les années 2000, ne sont pourtant pas rares, lorsque l’on se donne la peine d’interroger les gens qui ont frôlé la mort. Le Dr François Lallier y a consacré sa thèse de médecine générale en réalisant une étude rétrospective dont il a tiré un ouvrage (voir encadré). Nous avons interrogé ce jeune médecin généraliste sur le pourquoi de ce choix original, voire « osé » pour un interne – ni religieux, ni mystique –, et sur les résultats de son enquête réalisée selon des critères scientifiques auprès de 120 personnes réanimées d’un arrêt cardiaque de la région rémoise.

Medscape édition française : Comment vous est venue l’idée de faire votre thèse de médecine générale sur les expériences de mort imminente ?

Dr François Lallier : Un soir de 2012, alors que j’étais en 7ième année de médecine, j’ai zappé sur une chaîne de télévision et suis tombé sur un documentaire consacré aux expériences de mort imminente (EMI). J’avais déjà vaguement entendu parler de ce sujet : le tunnel, la lumière…Mais la redondance des témoignages des « experiencers », de même que les nombreux scientifiques impliqués dans l’étude du sujet m’ont impressionnés et je me suis dit que ce serait génial de faire ma thèse de médecine générale – à l’époque, le choix du sujet était libre – sur les EMI après arrêt cardiaque.

Quelles ont été les réactions de vos collègues ?

Dr Lallier : Elles ont été de deux types. Certains se sont montrés enthousiastes, d’autres opposés, considérant qu’il ne s’agissait pas là d’un sujet scientifique, reflétant la dichotomie médicale sur la question. J’ai néanmoins décidé de rester sur mon idée et j’ai sollicité le Pr Alain Léon, qui était à l’époque chef du pôle Anesthésie- Réanimation- Urgences au CHU de Reims, pour être mon président de jury et, qui, contre toute attente, a accepté.

Comment vous y êtes-vous pris ? Pourquoi les arrêts cardiaques comme critère de sélection ?

Dr Lallier : J’ai choisi de réaliser une étude rétrospective – un travail titanesque – que je ne pouvais réaliser qu’en dehors de mon travail d’interne, donc sur mes soirées, week-ends et repos de garde. Pendant un an et demi, j’ai épluché 300 dossiers de patients passés au CHU de Reims dans les suites d’un arrêt cardiaque réanimés avec succès entre 2005 et 2012, pour sélectionner les patients et les contacter. Le choix de l’arrêt cardiaque tenait au fait que c’est la situation où les EMI sont les plus fréquentes, mais aussi qu’elles sont d’autant plus intéressantes sur le plan médical puisque le cerveau du patient n’est plus irrigué et que celui-ci n’est censé se souvenir de rien.

Combien de personnes avez-vous contacté au final et que leur demandiez-vous alors ?

Dr Lallier : J’ai finalement pu parler à 118 personnes sur les 300 dossiers sélectionnés car 91 étaient décédées dans les suites plus ou moins immédiates de leur arrêt cardiaque et 86 n’ont pas pu être contactées (manque de coordonnées, difficultés à s’exprimer, etc). Il s’agissait d’une majorité d’hommes (69%) d’âge moyen, 54 ans. Une fois la conversation téléphonique entamée, je leur posais trois questions que je conseille à tout médecin de poser face à un patient ayant vécu un arrêt cardiaque : avez-vous des souvenirs de votre période d’inconscience/réanimation ? En cas de réponse négative, avez-vous des souvenirs d’un rêve un peu étrange ? Sachant qu’une EMI est différente d’un rêve mais cela permet de dédramatiser et de libérer la parole. Le cas échéant, j’évoquais l’existence des EMI en citant certains éléments comme un tunnel ou une lumière et en demandant si, par hasard, cela ne leur serait pas arrivé. Il faut savoir que certains patients sont très méfiants vis-à-vis de ce sujet, car lorsqu’ils ont raconté leur expérience au médecin réanimateur, celui-ci leur a parfois répondu : « N’en parlez surtout pas, on vous prendrait pour un fou ».

Et lorsque vous receviez une réponse positive ?

Dr Lallier : Lorsqu’un récit était évocateur d’EMI, je soumettais la personne au questionnaire de Greyson et je recueillais également le niveau d’éducation et son éventuel vécu d’EMI ou connaissance du sujet. Au-delà de les interroger sur le fait d’avoir potentiellement vécu une EMI, je m’étais aperçu en relisant la littérature qu’un élément n’avait jamais été étudié, les antécédents médicaux et chirurgicaux des patients, pour voir si on ne pouvait pas trouver une explication en lien avec leur état de santé antérieur. En m’appuyant sur les différents dossiers, j’ai donc reporté pour chacun d’entre eux ses antécédents médico-chirurgicaux, ses médicaments habituels, la cause et la durée de son arrêt cardiaque, les méthodes de réanimation, les médicaments reçus pendant la réanimation, etc.

En quoi consiste le questionnaire de Greyson ?

Dr Lallier : Les EMI peuvent varier d’une personne à l’autre – chaque EMI est unique – mais elles comportent un certain nombre d’éléments caractéristiques. Ces items sont la présence d’une lumière éclatante – mais non éblouissante –, d’un tunnel avec une lumière au loin, le ressenti d’une paix très intense – un sentiment extrêmement puissant, tel que l’on n’arrive pas à mettre de mots dessus. Certains voient leur vie défiler mais avec une vision panoramique et la sensation des émotions vécues, d’autres vivent des scènes de leur passé, rencontrent des prochains décédés…Le psychiatre Bruce Greyson américain, spécialiste des EMI, les a intégrés dans une échelle qui comporte 16 éléments (côtés de 0 à 2) permettant de calculer un score. A partir de 7 sur 32, le récit est considéré comme répondant aux critères d’une EMI.

Qu’avez-vous trouvé chez les personnes interrogées ?

Dr Lallier : L’interrogatoire des 118 personnes, en moyenne 55 mois après avoir vécu leur arrêt cardiaque, a permis d’en repérer 18 pouvant avoir vécu une EMI, soit 15,3% de l’effectif – ce qui est cohérent avec les données de la littérature (voir encadré ci-dessous). Mais alors, que mon postulat de départ était que si l’EMI était une hallucination, on trouverait plus d’antécédents psychiatriques, ou que si l’EMI relevait d’une crise d’épilepsie, alors on retrouverait plus ce type d’expériences chez les personnes qui présentent ce type de pathologie neurologique, j’ai montré tout l’inverse. A savoir que les patients avec des antécédents neurologiques ou psychiatriques avaient plutôt moins d’EMI que les personnes qui en étaient exempts. Tandis que celles avec des antécédents pneumologiques, endocrinologiques et rhumatologiques vivaient plus ce type d’expériences. Et globalement, plus les patients avaient pris de médicaments, moins ils avaient de chance de vivre une EMI.

Etudes sur l’arrêt cardiaque

On doit au psychiatre Raymond Moody d’avoir marqué le début de la recherche sur les EMI avec son ouvrage « La vie après la vie » en 1975. En 2001, le cardiologue néerlandais Pim van Lommel publie dans The Lancet ce qui reste à ce jour la plus grande étude sur le sujet. Sur 344 survivants d’un arrêt cardiaque, il montre que 62 d’entre eux (18%) affirment avoir des souvenirs de cette période, dont 41 (12%) ont eu des souvenirs inhabituels : sortie du corps, passage dans un tunnel, contact avec des proches défunts, émotions positives intenses, etc, évoquant une EMI. En 2014, le médecin réanimateur anglais Sam Parnia interroge 101 patients (sur les 2060 de l’échantillon initial) et retrouve 9 patients (9%) ayant vécu une EMI (selon le questionnaire de Greyson) dans l’étude AWARE . Plus récemment, on peut citer les travaux du Coma Science Group du Pr Steven Laureys, de l’Université de Liège en Belgique, qui portent un intérêt qualitatif aux EMI, en étudiant en détail les récits et suggérant, par exemple, qu’il n’y a aucune obligation de chronologie au déroulement des différents éléments composant une EMI.

Les EMI seraient-elles plus fréquentes qu’on ne le pense ?

Dr Lallier : Une des suppositions de ma thèse, c’est que toute personne vivrait une EMI lors d’un arrêt cardiaque, mais tout le monde ne s’en souviendrait pas, de la même manière que les rêves. On peut penser que plus un cerveau est « abimé » par des troubles et/ou des traitements neurologiques, psychiatriques ou qui altèrent la mémoire, plus la mémorisation est altérée, et moins les EMI sont rapportées. Cela corroborerait le fait que 60 % des enfants vivraient des EMI contre 15 à 20 % des adultes.

Pour « expliquer » ces EMI, il est souvent fait référence à une libération de neurotransmetteurs. Qu’en pensez-vous?

Dr Lallier : Ces hypothèses tirent leur origine de la diméthyltryptamine (DMT) ou encore du blocage des récepteurs NMDA (modèle de la kétamine). La DMT est un psychotrope très puissant que l’on trouve à l’état naturel dans les plantes. Sa sécrétion activerait certaines zones cérébrales qui génèrerait l’EMI. Et effectivement, l’injection de DMT provoque des sensations et des visions proches de l’EMI de type sentiment d’amour inconditionnel, vision d’êtres lumineux et communication non verbale…). Mais cela reste une hypothèse. Et même s’il s’avère que la DMT est naturellement présente dans l’organisme, cela n’explique pas tout, et notamment comment des « EMI » peuvent survenir dans des états autres que proche de la mort, comme la relaxation ou être « partagées » avec une personne.

Pourquoi les médecins s’intéressent-ils si peu à ce vécu de certains patients ?

Dr Lallier : Une des raisons est que ce n’est pas enseigné à la faculté. D’autre part, beaucoup de médecins les jugent dénuées d’intérêt car ils les associent à la croyance religieuse. Si les récits d’EMI ne sont pas sans rappeler des valeurs religieuses, je ne pense que cette culture soit à l’origine des EMI pour plusieurs raisons. Par exemple, les EMI sont plus fréquentes chez les enfants, peu ou pas influencés par les religions, mais aussi parce les EMI semblent plus anciennes que les religions modernes, à en croire un texte de Platon remontant au IVe avant J.-C. Il serait plus intéressant de voir, au contraire, le récit des EMI comme possiblement à l’origine des religions.

Vous êtes aujourd’hui installé comme médecin généraliste, en quoi cette étude a-t-elle changé votre pratique?

Dr Lallier : Via la médiatisation de l’étude, les patients savent que je suis ouvert à cette question et l’abordent spontanément en consultation. C’est d’autant plus important qu’une EMI est loin d’être une expérience anodine. Ces expériences de mort imminente ont des répercussions souvent importantes dans la vie des « experiencers », aussi bien positives que négatives, et peuvent être suivies de syndromes de stress post-traumatiques, de divorces, de dépressions (jusqu’à 46% après EMI). Les patients ont donc besoin de pouvoir en parler, sans être jugés, et d’être accompagnés. Tout médecin confronté à une situation pouvant être à l’origine d’une EMI devrait ouvrir le dialogue tout en veillant à ne pas apporter de jugement à son discours. D’ailleurs, tous ceux qui poseront la question à leurs patients auront des surprises et, au final, se feront leur propre idée sur la question.

Pour en savoir plus

Lire le livre du Dr François Lallier, préfacé par le Dr Jean-Jacques Charbonier, Ed. Leduc.s, 2018, 200 p, 18 €

Voir le reportage EMI : « Je reviens de l'au-delà| (2021) (en deux parties) diffusé en 2021 sur le média suisse Temps Présent. Le Dr Lallier y est interviewé.

 

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