Virtuel - Document de référence en néphrologie, les recommandations américaines KDIGO (Kidney Disease Improving Global Outcomes) ont fait cette année l’objet d’une mise à jour sur le volet concernant le traitement de l’hypertension artérielle chez les insuffisants rénaux chroniques. Les points essentiels, dont certains font débat, ont été évoqués lors d’une session virtuelle de la 41ème Journée de l’hypertension artérielle (JHTA2021).
Faut-il vraiment viser 120 mmHg de pression artérielle systolique (PAS) chez les insuffisants rénaux hypertendus? Telle est la question qui taraude actuellement les néphrologues après la mise à jour des recommandations KDIGO sur la prise en charge de l’insuffisance rénale. Une question à laquelle le Dr Sébastien Rubin (CHU de Bordeaux) était invité à répondre lors de sa présentation en ligne [1].
Il faut dire que la nouvelle version 2021 des recommandations KDIGO propose un changement de pratique important, avec une intensification du traitement hypertenseur chez ces patients à risque cardiovasculaire visant une PAS < 120 mmHg, qu’importe le niveau de protéinurie, avec ou sans diabète. Une cible unique très stricte comparée aux objectifs de PA ≤140/90 mmHg (ou ≤130/80 mmHg en cas d’albuminurie >30 mg/g) affichés dans la précédente version de 2012.
Une cible tensionnelle basée sur l’essai SPRINT
Ces recommandations se démarquent également de celles de l’American Heart Association (AHA), qui préconisent de cibler une PA <130/80 en cas de maladie rénale chronique, tandis que l’European Society of Hypertension (ESH) recommande de viser une PA systolique de 130 à 139 mm Hg et une PA diastolique de 70 à 79 mm Hg. Le niveau d’albuminurie n’est pas pris en compte.
Autre changement majeur apparu dans la version 2021 des KDIGO: le contrôle de la pression artérielle doit s’effectuer en cabinet, de manière standardisée. Une position « à contre-courant de ce qui se faisait jusqu’à présent », puisque l’ESH recommande l’auto-mesure, jugée plus appropriée au suivi des patients traités, tandis que la mesure en cabinet est à réserver au diagnostic de l’hypertension, a rappelé le Dr Rubin.
Ces nouvelles recommandations s’appuient sur les résultats de l’essai randomisé SPRINT qui a montré une baisse de 27% du critère primaire associant infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque et AVC chez les patients hypertendus non diabétiques en cas de traitement intensif avec cible de 120 mm Hg de PAS, comparativement à la cible de 140 mm Hg par contrôle standard [2].
L’étude a recruté 9300 participants de plus de 50 ans avec une PAS ≥ 130 mm Hg, traités ou non traités et avec au moins un facteur de risque supplémentaire. Parmi eux, 30% étaient en insuffisance rénale chronique. Une analyse de sous-groupe a pu confirmer ensuite que la baisse du risque de décès et de maladies cardiovasculaires se conserve avec le traitement intensif chez ces patients [3].
Une mesure standardisée difficilement applicable
L’essai a toutefois été largement critiqué en raison notamment de la méthode employée pour surveiller la pression artérielle, présentée comme expérimentale. Celle-ci s’appuie sur une mesure en cabinet par un tensiomètre automatisé, en limitant l’intervention du médecin. Et, pour atteindre une PAS ≤ 120 mm Hg, les recommandations KDIGO préconisent justement d’appliquer cette méthode, conformément au protocole SPRINT.
Dans le document, la mesure standardisée de consultation est décrite en détail. Le patient est installé sur une chaise, au calme, le bras avant posé sur un support au niveau du sternum, le dos bien calé, les pieds posés à plat au sol. Les trois mesures successives débutent de manière automatisée après 5 minutes de repos minimum. Le patient doit rester silencieux pendant toute la procédure qui dure une dizaine de minutes.
« Cette mesure standardisée est indispensable pour rechercher la cible de PAS < 120 mm Hg, mais elle me semble très difficile à appliquer en pratique courante. Elle est, de plus, à contre-courant de ce qui est préconisé par les autres sociétés savantes, qui sont en faveur de mesures à effectuer à l’extérieur du cabinet », souligne le Dr Rubin.
Le néphrologue rappelle également que la PAS obtenue par cette mesure standardisée est abaissée en moyenne de 12,7 mm Hg chez les patients avec une maladie rénale chronique, par rapport à la mesure de consultation habituelle, avec de fortes variations selon les sujets.
Les PA > 130/80 mm Hg largement majoritaires
« Abaisser la pression artérielle chez les patients avec une maladie rénale chronique est indispensable pour réduire le risque cardiovasculaire. Or, nous en sommes loin puisque plus de 80% de nos patients insuffisants rénaux présentent une pression artérielle non contrôlée > 130/80 mm Hg. » Beaucoup sont proches des 140 mm Hg de PAS. Selon le Pr Rubin, la priorité est d’atteindre au moins les 130 mm Hg chez ces patients.
Un avis que partage le Dr Bénédicte Sautenet (CHRU de Tours), qui est intervenue ensuite pour faire le point sur ces nouvelles recommandations [4]. Selon elle, il convient de garder un certain recul face à cette nouvelle cible tensionnelle. « Pourquoi pas atteindre cette cible des 120 mm Hg de PAS, mais il faudrait déjà essayer d’abaisser la pression artérielle de nos patients. »
Les mesures hygiéno-diététiques gardent une place importante dans les nouvelles lignes directrices américaines pour leur intérêt dans la réduction de la pression artérielle. Celles-ci préconisent de limiter la consommation de sel < 5 g par jour et d’adopter une activité physique modérée d’au moins 150 minutes par semaine ou adaptée à l’état physique ou cardiovasculaire.
Concernant la prise en charge thérapeutique, les recommandations sont « plus précises que les précédentes », indique la néphrologue. Chez les patients avec insuffisance rénale de stade 1 à 4 (DFGe > 15 mL/min/1,73 m²), il est préconisé d’opter en première ligne pour un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) ou un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II (ARA2), « quel que soit le statut diabétique ou protéinurique du patient ».
Eviter les associations d’inhibiteurs de SRA
Ce traitement par inhibiteur du système rénine-angiotensine (SRA) peut entraîner une hausse de la créatinine, qui n’est pas pour autant délétère, a indiqué le Dr Sautenet. « Il convient de rassurer les patients sur ce point. En pratique, on tolère une hausse de 30% de la créatinine après introduction ou majoration du traitement par IEC ou ARA2. Il ne faut pas hésiter à en informer ses confrères », pour éviter que le traitement soit par la suite modifié à tort.
En revanche, les associations d’inhibiteurs du SRA sont contre-indiquées. L’étude randomisée ALTITUDE a en effet démontré il y a quelques années que, chez les diabétiques de type 2 insuffisants rénaux traités par IEC ou ARA2, l’ajout d’un inhibiteur directe de la rénine n’apporte pas de bénéfice supplémentaire et s’avère même délétère[5].
En plus de l’IEC ou de l’ARA2, il est recommandé d’ajouter un inhibiteur calcique et un diurétique de type thiazidique. En cas d’hypertension artérielle résistante à cette trithérapie, il faut opter en deuxième ligne pour un antagoniste des récepteurs de l’aldostérone (MRA), puis pour les bêtabloquants en cas d’échec thérapeutique. Les alpha-bloquants et les anti-hypertenseurs d’action centrale sont placés en dernière ligne par manque de bénéfice cardiovasculaire.
Lorsque l’insuffisance rénale est sévère (DFGe < 30mL/mn/1,73 m²), le diurétique thiazidique peut être remplacé par un diurétique de l’anse, qui reste encore efficace à ce stade, a rappelé le Dr Sautenet. Ceci dit, la chlorthalione, un diurétique thiazidique pourrait être envisagé en raison de son efficacité récemment démontrée dans cette indication [6].
De nouvelles perspectives avec les gliflozines
La néphrologue a également évoqué quelques pistes thérapeutiques dans cette indication. Avec son équipe, elle prévoit d’évaluer, dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), une intensification du traitement antihypertenseur par association de diurétiques, dans l’objectif notamment de réduire la rétention hydrosodée qui survient fréquemment au cours de l’insuffisance rénale (essai THINK).
Le spironolactone, un diurétique épargneur de potassium à action anti-aldostérone, pourrait également trouver une place dans le traitement de l’hypertension résistante chez les insuffisants rénaux, après les résultats positifs de l’essai randomisé de phase 2 AMBER [7].
Autre option qui devrait rentrer prochainement dans l’arsenal thérapeutique : les gliflozines, idéalement « chez les patients insuffisants rénaux chroniques avec albuminurie non contrôlée à dose maximale de bloqueur du SRA ou avec insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite », précise le Dr Sautenet.
L’essai DAPA-CKD a pu confirmer le bénéfice de la dapagliflozine dans cette indication [8]. Pour rappel, l’intérêt des gliflozines n’est pas encore démontré dans le traitement de l’hypertension des insuffisants rénaux sans albuminurie, en cas de DFGe < 25 mL/min/1,73 m² ou en l’absence d’inhibiteur du système rénine-angiotensine.
Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Hypertension et insuffisance rénale: de nouvelles recommandations américaines trop restrictives ? - Medscape - 3 janv 2022.
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