COVID-19 : la vaccination des enfants sans comorbidités continue de faire débat

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

30 décembre 2021

France – Le taux d’incidence du Covid a été particulièrement élevé chez les enfants ces dernières semaines (800/100 000 au 18/12 pour les 6-10 ans). Dans l’immense majorité des cas, les formes pédiatriques de Covid sont bénignes, mais depuis avril 2020 en France, 373 enfants de 5 à 11 ans ont été hospitalisés pour un syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique (PIMS), le plus souvent en réanimation, avec pour 80% d’entre eux, aucun facteur de risque ou comorbidité antérieure identifié.

Ces chiffres ont incité les autorités de santé à se prononcer en faveur de la vaccination des enfants de 5 à 11 ans sans comorbidités. Les premières injections ont débuté le 22 décembre mais les avis sur l’intérêt d’administrer 3 doses de vaccins aux 5 millions d’enfants français restent partagés. Une étude "Opinion 2022" réalisée par Elabe pour BFMTV/L'Express en partenariat avec SFR, indiquait notamment le 16 décembre que 68 % des parents étaient opposés à la vaccination de leur(s) enfant(s).

Que disent les pédiatres ?

Dans un communiqué commun émis le 27 décembre, les sociétés savantes de pédiatrie françaises* se sont positionnées et ont jugé important de vacciner rapidement de tous les enfants présentant des maladies chroniques les exposant à un risque de forme grave de Covid ou vivant au contact de personnes immunodéprimées ne répondant pas à la vaccination.

Concernant les recommandations de vaccination des 5-11 ans sans comorbidités, les pédiatres – encore prudents voire réticents il y a quelques mois – y sont désormais favorables, mais insistent sur plusieurs points et notamment sur l’importance de vacciner en premier les collégiens.

Pour les sociétés savantes de pédiatrie: « les premières données de sécurité de la pharmacovigilance aux États Unis où de plus de 2 millions d’enfants dans cette classe d’âge ont reçu 2 doses de vaccin sont très rassurantes » même si elles devront être confirmées.

Toutefois, les pédiatres soulignent que, « la campagne de rappel vaccinal des adultes doit rester la priorité pour protéger les plus vulnérables » et que la vaccination des enfants ne doit pas la freiner.

Ils ajoutent que « l’objectif premier de la vaccination des 5-11 ans est de leur apporter un bénéfice direct en leur assurant une protection individuelle contre les rares formes graves de Covid-19, notamment les PIMS ».

Et précisent que l’objectif d’une vaccination des enfants pour limiter la propagation de l’épidémie n’a pas de fondement scientifique. « Nous manquons aujourd’hui de données précises quant à l’impact de la vaccination des enfants sur la dynamique des vagues épidémiques futures et l’obtention d’un effet de groupe ».

Enfin, dans la pratique, les pédiatres insistent sur la nécessité de la réalisation d’un TROD sérologique (en l’absence d’antécédent connu et documenté de Covid-19) lors de la 1ere dose vaccinale des enfants afin de limiter le schéma vaccinal à une seule dose en cas de contact antérieur avec le Covid-19

« Pour tous les enfants de cette classe d’âge, la vaccination doit être proposée et non imposée, sans stigmatisation ni passe sanitaire ou vaccinal. Tous les enfants, vaccinés ou non vaccinés doivent pouvoir garder une vie scolaire, sportive et sociale de qualité même s’ils devront pour le moment continuer d’observer les mesures barrière en vigueur », concluent les sociétés savantes de pédiatrie qui ajoutent que « le rôle du pédiatre et du médecin traitant de l’enfant apparait déterminant pour guider les familles en vue d’une décision médicale partagée ».

 
Pour tous les enfants de cette classe d’âge, la vaccination doit être proposée et non imposée, sans stigmatisation ni passe sanitaire ou vaccinal.
 

Questions au Dr Benjamin Davido

Interrogé sur l’intérêt de la vaccination des enfants sans comorbidités dans le contexte actuel, le Dr Benjamin Davido, infectiologue à l’hôpital de Garches, reste sceptique.

Medscape édition française : Que pensez-vous, à ce stade, de la vaccination des enfants sans comorbidités ?

Benjamin Davido : « Tout d’abord que les choses soient claires, je n’ai aucun problème ni tabou avec la vaccination des enfants, bien au contraire. D’ailleurs il n’y a pas de problème de tolérance avec ce vaccin ARNm, les données américaines sur la vaccination de plus de 7 millions d’enfants américains sont rassurantes. D’un autre côté, si j’ai bien compris, au 27 décembre, il y avait 190 enfants hospitalisés pour un Covid dont 35 en réanimation et 16 268 adultes dont plus de 3200 en réanimation. C’est loin d’être équivalent.

Le vrai problème est donc celui du message que l’on passe à la population. Faut-il vacciner les 5 millions d’enfants de 5 à 11 ans sans comorbidités, parce que 5 millions d’adultes ne souhaitent pas se faire vacciner et se mettent en danger ? Qu’on le veuille ou non le risque d’hospitalisation n’est pas du tout le même… Pour rappel, 70-80 % des hospitalisés sont non-vaccinés alors qu’ils représentent moins de 10 % de la population éligible à la vaccination. Gaspiller des doses chez des enfants alors que de l’autre côté il y a des adultes dans le monde entier qui ne sont pas vaccinés et à risque de formes graves, me laisse perplexe.

Il ne faut pas agir dans la précipitation. D’ailleurs, pour justifier l’absence de report de la rentrée scolaire de janvier, le ministre de la santé a souhaité relativiser la situation en rappelant que par comparaison, chaque année, 23 000 enfants sont hospitalisés pour une bronchiolite et 14 000 pour une gastroentérite…

L’argument d’une vaccination des enfants pour freiner l’épidémie tient-il ?

Vacciner 5 millions d’enfants avec un vaccin qui est peu efficace face à la transmission et qui nécessite 3 doses contre Omicron, ne sera effectif qu’à la fin mars dans le meilleur des cas (rappel à 3 mois).  Le contrôle de la 6ème vague ne peut donc pas reposer sur la vaccination des enfants. La 6ème vague est déjà là et ce sont bien les adultes non-vaccinés qui finiront à l’hôpital.

S’il faut vacciner les enfants, attendons le nouveau vaccin 2.0. On pourrait démarrer au printemps prochain avec un vaccin beaucoup plus efficace qui bloquerait la transmission. Ce serait beaucoup plus entendable pour les parents et les enfants. Honnêtement, s’il faut piquer les enfants tous les trois mois, on ne va pas y arriver.

La vaccination des enfants pourrait-elle prévenir le Covid long ?

Concernant la prévention du Covid long, les premières études ont montré que le vaccin ne suffisait pas à se prémunir du Covid long à partir du moment où l’on se contaminait. Donc, tant que l’on n’a pas fait les 3 doses ou que l’on n’a pas un vaccin très efficace sur la contamination, cela n’empêchera pas le Covid long chez les enfants. Enfin, si les études montrent que 7 % des enfants font un Covid long versus 9 % chez les adultes, elles montrent aussi que le Covid long des enfants est beaucoup plus court (en moyenne 3 mois) que celui des adultes (jusqu’à 1 an).

 

 

* Pr Christèle Gras-Le Guen

Présidente de la Société Française de Pédiatrie (SFP)

Pr Romain Basmaci,

Secrétaire général de la Société Française de Pédiatrie (SFP)

Pr Robert Cohen

Président du Conseil National Professionnel de Pédiatrie (CNPP)

Président du Groupe de Pathologie Infectieuse Pédiatrique (GPIP)

Dr Fabienne Kochert

Présidente de l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire (AFPA)

Pr François Angoulvant

Président du Groupe Français de Réanimation et Urgence Pédiatrique

Pr Elise Launay,

Présidente du Groupe de Pédiatrie Générale Sociale et Environnementale

 

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