Paris, France — Une délégation de 6 médecins de l’AP-HP* a porté lundi à l’Elysée la parole des 2500 confrères parisiens ayant signé la tribune alertant sur la déliquescence des hôpitaux parisiens.
Ils partirent 670 mais par un prompt renfort, ils se virent près de 2500 à signer l’appel au président de la République. Les médecins de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ont frappé très haut pour réclamer un plan de sauvetage de l’hôpital public. Moins de deux semaines après la publication de cette tribune dans Le Monde, ce collectif qui fédère des professeurs des universités jusqu’aux chefs de clinique, continue de gagner du terrain.
« Des personnels de toutes catégories et de tous hôpitaux auraient aimé signer cette lettre. Une nouvelle lettre a été écrite en ce sens et sera diffusée bientôt. Un mouvement pareil, c’est du jamais vu », analyse le Pr Bernard Granger, membre de la CME et du Conseil de surveillance de l’AP-HP, coauteur de cette tribune.
* Dr Oanez Ackermann (hépatologue à Bicêtre), Pr Bernard Granger (psychiatre à l’hôpital Tarnier), Dr Véronique Leblond (hématologue à La Pitié-Salpétrière), Pr Xavier Mariette (rhumatologue à Bicêtre), Emmanuel Martinod (chirurgien thoracique et vasculaire à Avicenne), Dr François Salachas (neurologue à la Pitié-Salpétrière).
2h30 d’entretien, l’Elysée très hospitalière
Signe que cette mobilisation n’est pas passée inaperçue, l’Elysée a reçu lundi soir une délégation de 6 médecins de l’AP-HP. Pierre-André Imbert, secrétaire général adjoint de l’Elysée, et Anne-Marie Armanteras, conseillère santé au sein du pôle social et santé, ont échangé avec les praticiens pendant 2h30. « Ces médecins ont été reçus à la demande du président de la République pour faire un point avec eux sur le malaise des hospitaliers et la tension des hôpitaux publics », confie l’Elysée à Medscape France.
En se montrant à l’écoute des nombreux professionnels l’ayant interpelé, le chef de l’Etat souhaitait leur montrer sa « considération ». Cet échange avec l’entourage direct du président devrait nourrir sa réflexion et celle du gouvernement en cette période de crise, pour la poursuite du Ségur de la Santé et dans les réformes postérieures à la crise, nous précise-t-on.
Si aucune annonce ne leur a été faite, les médecins sont ressortis avec la satisfaction d’avoir été écoutés. « Nous avons pu développer en détails les arguments, points de vue et demandes formulées dans la tribune, confie le Pr Granger, qui a participé à cette rencontre. Il nous été répondu que le message serait transmis au chef de l’Etat et que c’est lui qui déciderait. »
Une inquiétante vague de départs
Confrontés à une vague de départs massifs de personnels, les hôpitaux publics parisiens peinent à recruter, en particulier des infirmières (au moins un millier manqueraient à l’appel à l’AP-HP). La délégation a rappelé combien la réforme de la « nouvelle AP-HP », menée en 2019, avec la création de nouvelles structures intermédiaires jugées inutiles, les départements médico-universitaires (DMU) et les groupements hospitalo-universitaires (GHU), était une régression à leurs yeux. « Le poids de la bureaucratie et la mauvaise répartition des pouvoirs, de même que les restrictions budgétaires, sont néfastes pour l’hôpital, nous assistons à un effondrement », explique le Pr Granger. Les conséquences ne se font pas attendre. Malgré le récent Ségur de la Santé qui a permis leur revalorisation, les soignants hospitaliers quittent le navire amiral de l’AP-HP. « Dans beaucoup d’établissements, des personnels ont déjà annoncé leur départ après la nouvelle vague de Covid », indique Bernard Granger.
Pour un retour gagnant aux services
La réforme du temps de travail des équipes soignantes, mise en place dans le but de diminuer le nombre de jours de réduction du temps de travail (RTT) et d’économiser du personnel est également pointée du doigt par les médecins de l’AP-HP.
Elle a en effet eu pour conséquence de raccourcir les phases de transmission entre les équipes, et de considérablement dégrader les conditions de travail, comme l’indiquait lundi le Pr Agnès Hartemann, chef de diabétologie à La Pitié-Salpétrière dans une interview à Medscape France.
« Tout ce que l’on souhaite, c’est que les services reprennent une place centrale et puissent recruter directement, explique le Pr Granger. Aujourd’hui, on assiste à une précarisation des emplois du temps, certains infirmiers sont envoyés d’un service à l’autre. Il faudrait que leur recrutement s’effectue sur des bases claires pour retrouver un sentiment d’appartenance à une équipe de soins stable. »
Les pouvoirs publics, qui étaient jusqu’à présent restés sourds aux demandes des médecins de l’AP-HP vont-ils agir ? Depuis quelques semaines, les choses bougent, comme en témoigne l’envolée du nombre de signataires de la lettre ouverte à Emmanuel Macron. « Les médecins se reconnaissent dans cet appel, ils en ont assez du fonctionnement actuel. Ils crient haut et fort que les réformes menées à l’hôpital depuis plus de 10 ans ne marchent pas. C’est un échec cuisant de l’hôpital entreprise et du directeur seul maître à bord, c’est aussi l’échec du management par les chiffres. »
Bientôt du neuf à l’AP-HP ?
Les interventions du chef de l’Etat seront particulièrement scrutées dans les prochains jours. Les médecins parisiens attendent aussi des signes de l’avenue Victoria, siège de l’AP-HP.
Ils espèrent la suppression des DMU et GHU ou encore la mise en place de ratios opposables de patients par soignant, qui garantiraient de meilleures conditions d’exercice et une juste répartition de la charge de travail. Des discussions auraient déjà été entamées entre le président de la CME et le directeur général Martin Hirsch, qui avait concédé des difficultés de recrutement, le 14 décembre, au micro de RTL.
« Dans beaucoup d’établissements en Ile-de-France, il y a des lits fermés depuis la rentrée car après 18 mois de rythme fou de Covid, des professionnels ont arrêté de travailler et on a moins de recrutements de jeunes qu’auparavant », avait-il reconnu.
Signe de la fébrilité du moment, le patron des hôpitaux parisiens a proposé aux agents volontaires de racheter jusqu’à « 10 jours de vacances 2000 euros » pendant les fêtes. A la tête de l’AP-HP depuis huit ans – une belle longévité à ce poste, Martin Hirsch se trouve dans une situation difficile. Est-il prêt à faire des concessions ? Une chose est sûre, il devra se racheter pour gagner la confiance des médecins de ses hôpitaux.
Lire notre dossier « Sauver l’hôpital public »
Crédit image de Une : ERIC FEFERBERG / Contributeur via Getty
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Citer cet article: L’Elysée reçoit des médecins des hôpitaux parisiens pour rétablir l’AP sociale - Medscape - 23 déc 2021.
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