Avec le plan blanc, hôpitaux et cliniques redoutent les déprogrammations

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

21 décembre 2021

France – Avec l’activation des plans blancs dans plusieurs régions de France pour faire face à la pression épidémique, les établissements de santé sont invités à déprogrammer les hospitalisations et interventions chirurgicales les moins urgentes. Mais dans un contexte de pénurie de personnels, les professionnels de santé redoutent qu’une nouvelle mobilisation centrée sur le Covid entraîne des retards de diagnostics et de prise en charge. Les associations de patients appellent de leur côté à la responsabilité citoyenne.

Libérer du personnel soignant

La pression monte ces dernières semaines sur le système de santé. La 5e vague de Covid-19 devrait atteindre son pic dans les prochains jours et le variant Omicron, très contagieux, pourrait rapidement s’imposer sur le territoire français. Devant la forte hausse des contaminations, déjà sept agences régionales de santé (ARS) ont déclenché le plan blanc, qui devrait bientôt être activé au plan national, a annoncé Olivier Véran.

Cette décision n’est pas sans conséquence sur le fonctionnement des établissements de santé. Elle entraîne en effet la déprogrammation des activités de chirurgie et de médecine qui peuvent être reportées. L’objectif est de « libérer du personnel soignant pouvant être affecté dans les services de soins critiques et de médecine », rappelle le ministère de la Santé dans un DGS-Urgent du 9 décembre.

«  Monsieur le Ministre, laissez-nous soigner nos patients ! »

Alors que le premier confinement avait entraîné l’arrêt de toute activité médicale autre que la prise en charge du Covid, la situation devrait théoriquement être différente, cette fois. Le ministère de la Santé souhaite en effet que les déprogrammations ne concernent pas tous les actes. Il demande que soient « garanties l’activité de dépistage et de diagnostic et une prise en charge dans les meilleures conditions possibles des patients atteints de cancers, en attente de greffe, suivis pour une maladie chronique ou requérants des soins urgents ainsi que des mineurs ». « Une attention particulière doit continuer à être portée sur la prise en charge en santé mentale de la population, notamment les mineurs avec handicap psychique, dans le respect des conditions sanitaires en vigueur », précise le DGS-Urgent.

En dépit de ces garde-fous, les médecins redoutent à nouveau l’impact du plan blanc sur le maintien de leur activité et surtout le bon suivi de leurs patients. « Imposer aveuglément de nouvelles déprogrammations, c’est aller vers des pertes de chance et des retards de diagnostic dans la prise en charge médicale de nos concitoyens », affirment les Spécialistes-CSMF. Le syndicat s’agace que le mécanisme de déprogrammation ait été imposé aux médecins par plusieurs ARS alors que le nombre de patients en réanimation était inférieur à 2500 et que la France compte 19 604 lits de soins critiques. « Monsieur le Ministre, laissez-nous soigner nos patients ! », clame l’organisation, qui se réjouit toutefois de la mise en place d’une aide versée par l’Assurance maladie aux médecins libéraux des établissements de santé leur garantissant 80 % des honoraires en cas de déprogrammations de soins.

Un contexte aggravé par la pénurie de personnels

Les déprogrammations ont commencé dans plusieurs régions – elles seraient de 50% en Rhône-Alpes. Si elles ont peu d’impacts pendant les fêtes de Noël, période pendant laquelle l’activité est au ralenti, elles auront en revanche plus de conséquences début janvier. C’est ce que redoute le Dr Philippe Cuq, coprésident de l'union syndicale Avenir Spé-Le Bloc. « A partir du 3 janvier, notre programme d’activité opératoire est plein et la situation risque d’être très difficile pendant les premières semaines de l’année, surtout si nous n’échappons pas à la percée d’Omicron », prédit le chirurgien vasculaire toulousain. D’autant que les établissements privés sont eux aussi frappés, comme les hôpitaux publics, par la pénurie de personnels soignants qui n’ont pas été revalorisés par le Ségur de la santé. 

« Nous connaissons les mêmes tensions que l’hôpital avec nos effectifs : aujourd’hui, il nous manque 10 % de personnel soignant. Cela fait plusieurs années que nous alertons sur ce point », clame Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP).

Pour l’heure, la situation reste sous contrôle, selon le patron des établissements privés. « A ce jour, les cliniques qui agissent dans la complémentarité avec l’hôpital public parviennent à s’organiser pour ne pas déprogrammer. L’objectif est d’éviter au maximum les retards de soins. »

Selon la FHP, les cliniques prennent en charge 15 % des hospitalisations Covid et 20 % des réanimations sur l’ensemble du territoire tout en continuant à soigner les autres pathologies. « Heureusement car ces autres pathologies représentent 97 % des malades ! », affirme Lamine Gharbi.
 

Les prochaines semaines pourraient cependant s’avérer tendues. Et dans ce cadre, les personnels des établissements concernés par un arrêt d’activité pourraient être déployés dans d’autres en soins critiques pour la prise en charge des patients Covid. « En Rhône-Alpes, l’ARS a demandé aux cliniques privées de fournir des infirmières aux Hospices civils de Lyon (HCL), qui manquent de personnels, affirme le Dr Julien Cabaton, secrétaire général du Syndicat national des anesthésistes-réanimateurs français (Snarf). Or, les cliniques connaissent aussi une pénurie de main d’œuvre. Il faudrait que les cliniques s’arrêtent de tourner pour faire tourner le CHU ? Ça pose question ! »

Appel à la responsabilité citoyenne

Le sujet des déprogrammations préoccupe le corps médical mais aussi bien sûr les premiers concernés : les patients. « Nous souhaitons que les soins soient préservés pendant la 5e vague pour que les prises en charges des maladies chroniques soient le moins perturbées que possible », commente Gérard Raymond, président de France Assos Santé. Jeudi, la fédération d’usagers a cosigné avec quatre médecins* une tribune appelant les Français à ne pas saturer le système de santé français. Les signataires invitent leurs concitoyens à tout faire, en se vaccinant, en respectant les gestes barrières et les règles d’isolement en cas de contamination, pour ne pas saturer le système de soins. Un enjeu adjacent est clairement exposé : éviter la « déprogrammation de malades non-Covid injustement exposés à des retards de prise en charge et à des pertes de chance ou à des renoncements aux soins, situation déjà connue à plusieurs reprises depuis le début de l’épidémie ».

« Chaque Française, chaque Français doit s’approprier les enjeux collectifs du moment et comprendre qu’un système de santé saturé, c’est compromettre les chances de chacune et chacun des membres de sa famille, de ses amis, de tous ceux qui nous sont chers, lors de situations d’urgences comme un accident de la route, du travail, AVC, urgences cardiaques etc… », écrivent les auteurs de la tribune.

* le Dr Mady Denantes, médecin généraliste à Paris, le Pr Rémi Salomon, président de la CME de l’APHP, le Pr William Dab, professeur émérite du CNAM, et Vincent Maréchal, professeur en virologie, Sorbonne Université

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....