France – La Haute Autorité de Santé (HAS) a actualisé ses réponses rapides dédiées au diagnostic et à la prise en charge des Covid-19 longs, chez l'adulte. La fiche « douleur » a notamment été mise à jour [1]. Son contenu a été commenté par le Pr Françoise Laroche, responsable du Centre d’Evaluation et de traitement de la Douleur (Hôpital Saint-Antoine) lors du 21ème congrès de la Société française d’étude et du traitement de la douleur (SFETD 2021) [2]. Elle a, par ailleurs, aussi évoqué les patients douloureux chroniques qui se sont aggravés au cours de ces derniers mois, en lien direct ou non avec l’infection.
Les douleurs du Covid prolongé
« Plus de 30% des patients hospitalisés se plaignent de douleurs persistantes après 2 mois [3], et environ 10% après 3 mois [4]. En termes de douleurs, on considère donc que les Covid prolongés concernent 10% des personnes qui ont fait un Covid », a considéré le Pr Laroche. Les types cliniques sont variés. Il peut s’agir de douleurs aiguës comme des myalgies, des arthralgies, des céphalées, des maux de gorge et des douleurs abdominales. Les douleurs persistantes post Covid vont être polymormorphes, fluctuantes et « font souvent penser à des syndromes fibromyalgiques », décrit la spécialiste. S’y ajoutent des douleurs séquellaires au passage en réanimation. On observe ainsi 38 à 56% de douleurs chroniques post-réanimation, qu’il s’agisse de douleurs musculaires liées aux contractures, à l’atrophie ou à une myopathie, de douleurs liées aux procédures de soins, de lésions nerveuses périphériques compressives de l’alitement (14%) ou de conséquences de la trachéotomie et de l’intubation. Les patients se plaignent aussi de douleurs neuropathiques, d’autres voient s’aggraver des douleurs pré-existantes.
En cas de douleurs prolongées, le bilan à proposer va dépendre de la clinique. « En soins primaires, la première étape est d’évaluer l’inflammation (NFS plaquettes, VS, CRP, CPK et TSH). Puis, en fonction de la clinique, un bilan immunologique est préconisé si un déficit immunitaire est rapporté, un électromyogramme en cas de suspicion de pathologie neuromusculaire, une IRM médullaire ou cérébrale s’il existe une suspicion de lésion médullaire ou cérébrale en cas de douleurs neuropathiques ou de céphalées aiguës atypiques ».
Si le bilan étiologique est négatif, il faut savoir penser au diagnostic de douleurs nociplastiques – douleur chronique par sensibilisation centrale et/ou périphérique, sans lésion – « moins connues des professionnels de la santé non spécialisés dans la douleur » a précisé l’oratrice en faisant référence à l’étude de chercheurs français parue dans le JAMA qui avait fait grand bruit [3]. En examinant l’association de symptômes persistants avec deux facteurs : d’une part la croyance d’avoir eu un épisode de Covid-19 ; d’autre part une sérologie positive pour SARS-CoV-2, l’équipe de l’Hôtel-Dieu avaient montré que les symptômes persistants observés par les patients pourraient ne pas être tous spécifiques d’une infection par SARS-CoV-2. Sans remettre en cause la réalité des symptômes prolongés dont souffrent les patients, les chercheurs suggéraient qu’il fallait être prudent avant de les attribuer au « COVID long » et que les mécanismes de ces symptômes pourraient ne pas être tous spécifiques de l’infection par SARS-CoV-2. Le Pr Laroche n’a quant à elle pas été étonnée de ces résultats : « les spécialistes de la douleur savent qu’il peut exister des douleurs persistantes après une infection virale (HIV, hépatite) ou bactérienne », a-t-elle affirmé.
Douleurs : différents mécanismes
Douleurs nociceptives/inflammatoires : le plus souvent aiguës (≤ 3mois), parfois chroniques (≥ 3 mois) : serrement, ou élancements, pulsatiles, ou transfixiantes
Douleurs neuropathiques : brûlures, fourmillements, décharges électriques, paresthésies, allodynie
Douleurs dysfonctionnelles ou « nociplastiques » (sans lésion) : localisées (céphalées de tension, acouphènes, douleurs temporo-mandibulaires…) ou diffuses
Pandémie : un impact indirect sur l’aggravation des douleurs
Le Pr Laroche a aussi évoqué le cas des patients douloureux chroniques qui se sont aggravés pendant la période pandémique sans pour autant avoir forcément été infectés par le coronavirus. Chez des personnes avec des rhumatismes inflammatoires chroniques, le Dr Pascale Vergne-Salle (consultation de la douleur, Service de Rhumatologie, CHU de Limoges) a montré un impact physique et mental chez 30% des patients, avec des douleurs chez 1/3 des patients, et une dégradation de l’activité physique inhérente à la situation générale. Une observation qui a été confirmée par l’étude internationale RHEUMAVID qui a retrouvé une dégradation de 49% de la santé perçue par des patients atteints de maladies rhumatologiques et musculosquelettiques pendant le premier confinement de 2020 [4].
Des résultats qui n’ont rien d’étonnant car « très tôt en 2020 des référents internationaux dans la douleur ont montré que des patients douloureux chroniques avaient une aggravation de leurs douleurs et qu’il y avait de nombreux facteurs explicatifs », a considéré l’oratrice [5]. Parmi les éléments d’aggravation des douleurs chroniques pendant la période Covid sans avoir forcément été infecté par le coronavirus, elle a cité la peur du virus, la forte anxiété, des patients confinés nombreux dans de petits locaux, un non-accès aux soins de la douleur ou encore la diminution des activités physiques.
Comment traiter les symptômes douloureux liées à l’infection Covid ?
Revenant au document « réponses rapides » de la HAS, le Pr Laroche a passé en revue les options pour traiter les symptômes douloureux liées à l’infection Covid, en sachant que « les traitements sont essentiellement symptomatiques ». Concernant les douleurs aiguës, les corticoïdes sont préconisés en phase initiale et cytokinique, le paracétamol et les AINS sont les traitements symptomatiques de choix, et les opioïdes sont réservés à la réanimation. Les douleurs chroniques ou persistantes sont à prendre en charge suivant leur type (céphalées, douleurs thoraciques, abdominales, musculaires, articulaires) et en suivant les recommandations des Sociétés savantes pour chacune d’elles.
A ce stade de la présentation, l’oratrice est revenue sur la polémique – assez spécifique à la France, a-t-elle précisé – qui a agité le landerneau médical en début de pandémie sur la question des AINS au début de la pandémie, pour rappeler que « les AINS peuvent être utilisés selon les règles de prescription usuelles ». Les dernières études n’ont pas montré d’augmentation des décès, des hospitalisations, des admissions en unités de soins intensifs, des utilisations de la ventilation non invasive et de l’oxygène ni de survenue d’une insuffisance rénale aigüe chez les patients ayant pris des AINS avant la découverte d’une infection Covid-19. « Une méta-analyse récente a montré l’innocuité de la prise d’AINS dans le mois précédant la maladie Covid, l’absence d’un sur-risque à contracter le Covid quand on est sous AINS (OR : 0,86 [0,71 ; 1, 05] sur 3 articles), ni l’augmentation du risque d’hospitalisation (OR : 0,90 [0,80 ; 1, 17] sur 5 articles), ou de décès (OR : 0,88 [0,80 ; 0, 98] sur 10 articles), a détaillé le Pr Laroche [6]. Dans cette revue systématique de la littérature, aucune augmentation du risque de décès n’a été noté non plus avec ibuprofène (OR : 0,90 [0,78 ; 1, 13] sur 61 articles) [6]. »
Explorer les troubles anxieux et dépressifs
De façon plus globale, l’oratrice a précisé que la majorité des patients pouvaient être suivis en soins primaires dans le cadre d’une prise en charge holistique, qu’une écoute empathique du patient avec une incitation à s’auto-gérer et à continuer à avoir des activités physiques même modérées (en l’absence de contre-indications) était importante. La ré-éducation par des spécialistes dans des services multidisciplinaires – rééducation respiratoire, olfactive, réentrainement à l’effort en cas de douleurs de l’appareil locomoteur – a une place centrale. Même si dans la réalité, ces services sont encore aujourd’hui débordés, et prennent prioritairement les patients sortis de réanimation en présentant de déficits, a reconnu le Pr Laroche.
Enfin, il importe d’explorer les troubles anxieux et dépressifs et de proposer un soutien psychologique et une prise en charge, si nécessaire.
« Quant aux patients connus pour des douleurs chroniques qui se sont aggravées pendant la pandémie, des solutions de e-médecine ont été mises en place pour y faire face, notamment dans les centres de traitement de la douleur », a-t-elle ajouté.
En conclusion, « les douleurs persistantes au décours du Covid sont fréquentes et représentent 10% des patients avec des signes cliniques assez polymorphes qui peuvent être fluctuants, et notamment des syndromes fibromyalgiques-like.
Les traitements sont ceux que l’on utilise déjà en douleur chronique. Ce sont des traitements adaptés et précoces, à anticiper avant la reprise d’une activité physique. La gestion des comorbidités de type anxiété est importante.
Pour les douleurs chroniques pré-existantes qui s’aggravent, maintenir le lien avec les patients (même en distanciel) et suivre pour des douleurs plus spécifiques (céphalées ou neuropathie) en se fiant aux nombreuses recommandations actuelles », a résumé le Pr Laroche.
Crédit photo de une : Getty Images
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Citer cet article: Douleurs et COVID-19 - Medscape - 17 déc 2021.
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