The Shift Project fait une trentaine de propositions pour réduire l’empreinte carbone du système de santé

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

16 décembre 2021

France La Conférence des Nations Unies sur le climat (COP26) qui s’est tenue il y a quelques semaines à Glasgow a, une fois de plus, pointé du doigt l’urgence à agir pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Tous les secteurs doivent être mis à contribution, y compris la santé. Dans ce contexte, le think tank français The Shift Project réunissant une trentaine d’acteurs du secteur (médecins, directeurs d’hôpital, pharmaciens, gestionnaires de la santé…) a rédigé un rapport visant à « décarboner la santé pour soigner durablement ». En 150 pages, il formule à l’adresse de l’ensemble des professionnels de la santé mais aussi aux politiques et à l’industrie des médicaments une trentaine de propositions chiffrées visant à réduire l’empreinte carbone du système de santé. Exemples.

Le secteur de la santé n’échappera pas au réchauffement climatique

Pourvoyeur de 2,5 millions d’emplois, le secteur de la santé est responsable, selon ses calculs, de près de 8 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) du pays – soit près de 50 millions de tonnes de CO2 chaque année.

« La COP26 l’a rappelé, le secteur de la santé est exposé au changement climatique, analyse Laurie Marrauld, enseignante chercheuse à l’Ecole de Hautes études en santé publique (EHESP) et cheffe de projet Santé au Shift Project. Les maladies vectorielles se propagent avec l’explosion des populations de moustiques, les événements climatiques extrêmes (inondations, incendies…) se multiplient, provoquant des migrations de populations, et tout cela entraîne un accroissement de la pression sur les services de santé. »

 
La COP26 l’a rappelé, le secteur de la santé est exposé au changement climatique. Laurie Marrauld
 

L’industrie du médicament invitée à (ré)agir

Fruit de la concertation d’une trentaine d’acteurs du secteur (médecins, directeurs d’hôpital, pharmaciens, gestionnaires de la santé…), le rapport définitif du Shift Project fait une trentaine de propositions chiffrées visant à réduire l’empreinte carbone du système de santé.. Objectif : « concevoir à grande échelle des mesures opérationnelles (réglementaires, économiques, fiscales, sociales, organisationnelles) destinées à rendre l’économie effectivement compatible avec la limite des 2 °C de réchauffement climatique désormais communément prise pour objectif ».

Par exemple, les filières du médicament et des dispositifs médicaux (DM) – à l’origine de la moitié des émissions de gaz à effet de serre du secteur – pourraient considérablement réduire leur empreinte en réduisant le coût carbone unitaire de chaque médicament. Le volume de médicaments et de dispositifs médicaux consommés et gaspillés serait ainsi considérablement abaissé, selon le Shift Project.

Dans le même état d’esprit, le think tank souhaite que la délivrance ou le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du médicament soit conditionnée à la publication du contenu carbone du médicament (il pourrait en être de même pour le marquage CE du dispositif médical).

Alors que 80 % des principes actifs contenus dans les médicaments consommés en France sont produits en Chine, la relocalisation de la production de certaines molécules essentielles en Europe est aussi appuyée par le Shift Project.

De même, les professionnels et sociétés savantes sont invités à adapter les pratiques pour être moins consommatrices de médicaments et de matériels médicaux et plus pertinentes. L’enjeu des prochaines années sera de diminuer le recours aux médicaments et de réduire la quantité de médicaments non utilisés (MNU), considère le think tank. La réutilisation des DM devra être encouragée pour éviter les usages uniques.

 
L’enjeu des prochaines années sera de diminuer le recours aux médicaments et de réduire la quantité de médicaments non utilisés.
 

Réduire la consommation d’énergie

Alors que les anesthésistes-réanimateurs sont en pointe dans le développement de la santé durable et ont déjà considérablement réduit leur usage de substances nocives pour le climat, le Shift Project souhaite aller encore plus loin en interdisant les gaz anesthésiants à fort effet de serre.

Un enjeu important concerne également les émissions associées à la consommation d’énergie. La rénovation thermique globale des bâtiments hospitaliers et médico-sociaux doit être largement poursuivie ainsi que le passage systématique des systèmes de chauffage et/ou de production d’eau chaude au gaz et au fioul à des sources d’énergie bas-carbone (chaudières collectives à haute performance énergétique, pompes à chaleur, chaudières biomasse…).

Le secteur de la santé devra à terme organiser et promouvoir la sobriété énergétique des usages, préconise le Shift Project, en réduisant la consommation d’eau, de chaleur, d’énergie.

 
Le secteur de la santé devra à terme organiser et promouvoir la sobriété énergétique des usages.
 

Un autre élément loin d’être négligeable concerne les déplacements des soignants. Promouvoir les mobilités actives (vélo et marche à pied) et encourager les déplacements en transports en commun et le covoiturage ainsi que le recours au télétravail pour le personnel administratif et les chercheurs fait partie des solutions à considérer.

La quête de la sobriété en matière médicale

Faudra-t-il aussi revoir la façon dont on se soigne ? Assurément. Le Shift Project voit d’un bon œil le développement de la télémédecine, considérée comme « pertinente pour certains diagnostics, les consultations de suivi ou encore les demandes d’avis spécialisés, qui pourraient être traités sous la forme de téléexpertise ».

La réduction de la production de déchets est enfin un enjeu pour les acteurs de santé. D’autant que ces deux dernières années ont été marquées par une envolée de l’usage des consommables à usage unique au sein des établissements et cabinets de santé : masques, blouses, gants, visières de protection, etc. « On assiste à une surproduction de déchets à dominante plastique (donc fabriqués à partir d’hydrocarbures) souvent mal triés et peu recyclables ou pas recyclés », observe le Shift Project. Le développement de la production en France et l’usage de matériels et dispositifs médicaux réutilisables mais aussi l’essor des filières de recyclage des dispositifs à usage unique est recommandé.

Tous ces efforts, s’ils étaient menés, suffiraient-ils pour arriver à réduire de 80% les émissions de GES d’ici à 2050 ? Pas sûr. « Non seulement, le système de santé doit être soutenable mais il doit aussi être résilient et sobre », analyse Laurie Marrauld. Essentiellement curatif, le système de santé français ne pourra pas s’affranchir du renforcement de la prévention afin de limiter les actes et les prescriptions évitables.

 
Pour transformer leurs pratiques, les professionnels de santé devront être formés à l’urgence climatique, à la transition bas-carbone et à l’éco-conception des soins.
 

Pour transformer leurs pratiques, les professionnels de santé devront être formés à l’urgence climatique, à la transition bas-carbone et à l’éco-conception des soins. « Tous les directeurs d’hôpitaux vont être sensibilisés aux enjeux de l’énergie climat à l’EHESP, il faut que ces notions deviennent culturelles », explique Laurie Marrauld. Les soignants pouvant être des ambassadeurs de cette démarche, le Shift Project propose que toutes les formations initiales dans les domaines sanitaires, du paramédical ou du médico-social, proposent un enseignement solide sur ces problématiques de l’éco-conception des soins et du développement durable à l’hôpital.

 

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