Paris , France ― « La dégradation du système public dans son ensemble est une menace bien plus grave que l’épidémie ». Cette inquiétude, évoquée par un médecin généraliste dans les témoignages recueillis lors de notre dernier sondage, est partagée par de nombreux praticiens. Au cours de l’année 2021, les systèmes de santé déjà sous tension ont en effet été mis à rude épreuve. Manque de moyens, démissions de personnels, services débordés… l’hôpital public se retrouve exsangue. Les médecins ont vécu une année éprouvante. Dans ce contexte, comment envisagent-ils l’année 2022? Quelles sont leurs craintes, leurs espoirs?
Pour le savoir, nous avons interrogé les professionnels de santé inscrits sur Medscape par l’intermédiaire d’un sondage en ligne. Entre le 15 novembre et le 8 décembre 2021, 719 ont répondu, dont 457 médecins exerçant en France métropolitaine. Invités à laisser un commentaire en fin de sondage, nombreux sont ceux qui ont exprimé leur désarroi, voire une certaine colère, face à la dégradation de leurs conditions de travail et du système de santé public en général. Au-delà l’épidémie, c’est bien la fragilité du système de santé qui suscite le plus d’inquiétudes.
L’analyse des réponses révèle que les médecins se montrent globalement assez pessimistes sur ce qui se dessine pour l’année 2022, tant sur l’évolution de l’épidémie que sur le plan professionnel. Pour 56% des praticiens ayant répondu au sondage, la situation épidémique « ne changera pas beaucoup » au cours de l’année prochaine. Il faut toutefois souligner qu’ils sont nombreux à croire à une amélioration, puisqu’un tiers ont choisi cette réponse, tandis qu’à l’inverse seulement 8% estiment que la situation va s’aggraver.
Craintes sur les conditions de travail
Beaucoup de praticiens se préparent néanmoins à affronter une nouvelle année difficile sur le plan professionnel, après deux années marquées par une altération de leurs conditions d’exercice et une érosion importante de leur rémunération. Selon les dernières données statistiques de l’Union nationale des associations agréées (Unasa), la première année 2020 a été délétère financièrement parlant pour les médecins libéraux, y compris chez les médecins généralistes, qui ont enregistré entre 2019 et 2020 une baisse de 3,5% de leur chiffre d’affaire. Dans notre dernière enquête sur la rémunération, menée auprès de 1000 médecins, la grande majorité des praticiens ont attribué la diminution de leurs revenus à la pandémie de Covid-19.

Sur la question de la rémunération, le sondage montre que les médecins dans leur majorité ne s’attendent pas à une amélioration pour 2022 : 69% estiment qu’elle sera similaire à celle de l’année précédente et, preuve que le pessimisme gagne du terrain, ils sont tout de même 22% à considérer que leur situation financière va se dégrader. Seuls 9% estiment qu’elle sera meilleure qu’en 2021.
Globalement, les médecins restent surtout préoccupés par la dégradation de leur conditions d’exercice, qui n’est pas uniquement la conséquence de la gestion de l’épidémie, mais plutôt celle d’un système de soins défaillant. À la question « que redoutez-vous le plus professionnellement pour l’année à venir », ils sont 71% à indiquer qu’ils craignent une « dégradation des conditions de travail (sous-effectif, stress, etc) », bien plus que des nouvelles vagues de Covid-19 (11% des répondants), une diminution des revenus (7%), une stagnation de la carrière professionnelle (2%) ou encore une perte d’emploi (1%).
« La dégradation des conditions de travail va de pair avec la diminution prévue des salaires », souligne un urgentiste dans les commentaires. Selon lui, la mise en application des accords du Ségur de la santé, signé en juillet 2020 pour revaloriser notamment les salaires des professionnels de santé, ne fera que « paupériser la population médicale et paramédicale ». Il anticipe un « alignement vers le bas des salaires des médecins », et regrette l’absence d’augmentation dans la grille des salaires « depuis plus de 10 ans ».
Certains évoquent également une perte de revenus liée à la baisse du nombre de consultations et à une charge fiscale trop lourde. « Les revalorisations salariales dans le secteur hospitalier public semblent incontournables pour éviter un départ massif des médecins hospitaliers », affirme un praticien, tandis qu’un autre fustige les accords du Ségur de la santé, jugés insuffisants pour rendre les professions de santé de nouveau attractives et sauver l’hôpital. Selon lui, avec « une non-valorisation des heures supplémentaires », « l’absence de prime pour le chef de service », « les tâches administratives harassantes », combinées aux conditions de travail actuelles, « la fuite des praticiens hospitaliers ne fera que s’amplifier ». L’attrait pour le privé va contribuer au « renforcement du déséquilibre entre médecine privé et médecine publique, condamnant à court terme les établissements publics ».
Le poids des contraintes administratives
Les commentaires révèlent une appréhension qui va bien au-delà du problème financier. Les praticiens pointent régulièrement les pressions de l’administration et le poids de la bureaucratie dans leur pratique quotidienne. « Je souhaite que le gouvernement prenne conscience que le problème de l’hôpital ne se limite pas aux salaires, mais au fonctionnement global et en particulier au nombre d’heures réalisées par les médecins, aux multitâches qui fait qu’on ne peut se concentrer sur aucune », affirme un gériatre.
« On nous demande de soigner les patients avec de plus en plus de contraintes », affirme un médecin généraliste, qui évoque « des piles de courriers, bilans, dossiers » à lire et à traiter après plus de 10 heures de consultation. Des contraintes devenues particulièrement lourdes dans le contexte épidémique lorsqu’il faut en plus s’impliquer dans la campagne de vaccination. « Je souhaite une prise de conscience de la maltraitance administrative. Elle doit être reconnue et stoppée », estime pour sa part un pneumologue, qui précise que « de nombreuses demandes administratives ne présentent aucun intérêt ».
Beaucoup s’inquiètent également de la baisse alarmante des effectifs, consécutive de la perte d’attractivité des professions médicales. « Le cercle vicieux » de la diminution des ressources humaines, est évoqué. Celui-ci entraine davantage de travail pour le personnel présent, ce qui accentue la dégradation de leurs conditions de travail et renforce leur volonté de quitter à leur tour une profession devenue insatisfaisante. « Surcharge de travail », « épuisement professionnel », « sacrifices » sont des termes revenant de manière récurrente chez des praticiens, qui soulignent qu’ils ont par ailleurs une vie de famille à préserver. « La pression au quotidien est difficile à gérer ».
« Les conditions de travail des services hospitaliers et l’épuisement des équipes soignantes ne permettent plus d’assurer des soins satisfaisants, sans parler des missions supplémentaires imposées qui deviennent impossibles à assumer faute de moyens humains », commente un psychiatre. Cet épuisement se retrouve même chez les plus jeunes, témoigne un médecin qui encadre des étudiants en médecine depuis plus de 20 ans. « Je ne retrouve plus chez ces jeunes médecins le feu sacré que nous avions ». « Les études font état de 70% de burnout chez nos jeunes futurs confrères, qui ne sont pas encore aux prises avec la réalité professionnelle. Que va devenir le système de santé français avec un tel désenchantement ? », s’interroge-t-il.
Une prise de conscience demandée
Lorsqu’ils sont interrogés sur leur plus grand souhait ou espoir pour 2022 sur le plan professionnel, 70% des médecins répondent qu’ils veulent avant tout « la prise de conscience de la fragilité des systèmes de santé » pour avoir des mesures gouvernementales concrètes. La mise au point de traitements anti-Covid plus efficaces ou l’amélioration des vaccins est ce qui est souhaité en premier pour seulement 12% des répondants, tandis que 7% ont choisi la stabilisation de la pandémie et 2% la modernisation de la médecine (télémédecine, e-learning…).

« La dégradation du système public dans son ensemble est une menace bien plus grave que l’épidémie », avance un médecin généraliste. « Aucune anticipation depuis 15 ans », « cela fait 20 ans que les choses se dégradent »… plusieurs praticiens évoquent une lente agonie, malgré des alertes à répétition. « Rien ne change, ni dans la réforme des études médicales, ni dans la gestion hospitalière », affirme un gynécologue-obstétricien. Et la crise du Covid-19 a été celle de trop: « le système s’effondre », se désole un praticien. « L’hôpital n’est pas une entreprise et ne doit pas être géré à flux tendu. C’est dramatique et criminel ». Un autre avance l’hypothèse d’une crise délibérément maintenue par le gouvernement, « dans le seul but à terme de privatiser le système de soins ».
Désabusés, certains annoncent qu’ils projettent de quitter l’hôpital public, voire la profession. « Je n’ai plus d’espoir d’amélioration », confie un médecin urgentiste, qui anticipe également une privatisation des soins. « J’ai arrêté de croire que les personnes qui prennent les décisions ne connaissent pas la réalité du terrain. C’est une volonté de laisser les choses évoluer dans ce sens et répondre avec le minimum à chaque fois. Je ne pense pas qu’ils négligent la santé des Français... je me demande si leurs intentions ne seraient pas de changer l’organisation du système de santé national, avec plus de privé ».
D’autres ont un discours plus fataliste encore. « La situation est tellement dégradée. On ne voit aucune perspective suffisante pour rattraper le retard des mesures nécessaires à ranimer notre système de santé publique », affirme un infectiologue. Selon lui, les conséquences à long terme de l’épidémie de Covid-19 sur la santé publique ne fera qu’accentuer les fragilités. « La fonction sociale de notre système public déjà tant attaqué est définitivement en cours de disparition ».
Débat sur le « choix des valeurs »
Entre les nombreux commentaires désabusés, des pistes de réflexion et quelques mesures sont proposées pour sauver le système de santé, plus particulièrement l’hôpital public, et renforcer son attractivité. « Il faut améliorer l’attractivité de l’hôpital public, moins favoriser les pratiques libérales (dépassement d’honoraires) et renforcer les équipes paramédicales », estime un chirurgien, quand d’autres praticiens préconisent, en plus, de supprimer les agences régionales de santé « pour initier le renouveau de la gestion sanitaire » ou « d’arrêter de confier aux administratifs la gestion des hôpitaux ».
Pour pallier la pénurie des médecins et du personnel paramédical, l’amélioration des conditions de travail et des revenus est inévitablement avancée. Il faut « de meilleurs salaires, plus de considération, plus de temps pour se former ». Il est également jugé nécessaire de « rendre du temps professionnel aux soignants : il faut les débarrasser des contraintes administratives ». Une réflexion autour du paiement à l’acte est réclamée, pour valoriser financièrement certaines prestations, voire le temps passé avec les patients. Selon un médecin généraliste, il faudrait également faciliter le cumul emploi-retraite en changeant certaines règles, notamment au niveau fiscal, pour encourager le maintien des médecins retraités en activité.
Pour certains praticiens, la réforme du système de santé doit aussi passer par un débat sur le « choix des valeurs » visant à définir le service public et son positionnement face à la notion de profit et de croissance. « J’attendrais un autre esprit qui renoue avec un esprit de service et de collectif. Notre profession s’est commercialisée au lieu de revenir à une éthique du soin et de l’aide, » estime un psychiatre. Selon lui, « les maisons médicales vont dans le bon sens, tout comme les centres de santé ». Un autre praticien espère également une « valorisation du rôle de l’éthique et des objectifs de santé publique dans les choix médicaux . Je pense que les notions de santé, mais aussi de qualité de vie, de dignité, de droit du patient et de responsabilité individuelle et collective gagneraient à être repensées et redéfinies ».
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Citer cet article: « La dégradation du système public est une menace bien plus grave que l’épidémie de COVID-19 » : résultats du sondage Medscape - Medscape - 16 déc 2021.
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