POINT DE VUE

Risque de cancer : faut-il vraiment déconseiller les édulcorants artificiels ?

Pr Boris Hansel

Auteurs et déclarations

20 avril 2022

Le blog du Dr Boris Hansel - Diabétologue et nutritionniste

TRANSCRIPTION

Faut-il à tout prix déconseiller, voire interdire les édulcorants de synthèse à la population? Le sujet est abordé suite à la médiatisation d'une grande étude française sur les relations entre la consommation d'édulcorants artificiels et le risque de cancer. C'est une étude qui a été effectuée à partir de la cohorte NutriNet-Santé ― une très belle étude, comme toujours avec l'équipe de l’Inserm UREN (Unité de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle). Elle a été publiée dans une très grande revue scientifique. [1] Mais les conclusions pratiques, à mon avis, sont à manier avec beaucoup de précaution. Et je précise que je n'ai aucun lien d'intérêt ni avec le lobby du sucre, ni avec les industriels des édulcorants.

Que dit cette étude NutriNet-Santé?

Le résultat principal est qu'il y a une association statistiquement significative entre la consommation d'édulcorants artificiels et le risque de multiples cancers.

  1. Les personnes ayant une consommation supérieure à la moyenne pour l'aspartame et l’acésulfame-K avaient un risque général de cancer 13% plus élevé que les personnes qui ne consommaient pas ou très peu d'édulcorants de synthèse.

  2. Deuxième chiffre concernant l'aspartame : sa consommation dans le groupe des plus forts consommateurs est associée à une augmentation du risque de 22% pour le cancer du sein et de 15% les cancers associés à l'obésité.

Quelle conclusion en tirer ?

On se dira : « cela concerne les forts consommateurs. Demandons alors à nos patients de limiter les édulcorants artificiels. Une consommation modérée ne devrait poser aucun problème… » Mais ce n'est pas ce qui ressort de l'étude. Parce que lorsqu’on regarde la consommation moyenne d'édulcorants de synthèse chez les forts consommateurs de l'étude ― si on prend l'exemple de l'aspartame, c'était 47 mg par jour, ce qui correspond à un peu plus d'un verre de soda light ― cela peut faire peur. Cela conduirait à tirer la sonnette d'alarme et à dire « stop aux édulcorants artificiels qui donnent le cancer ».

Mais je voudrais vraiment émettre des réserves sur une telle conclusion hâtive.

  • Tout d'abord parce qu'évidemment, il s'agit d'une étude observationnelle, avec les limites classiques, les biais de confusion. Et d'ailleurs, quand on regarde les données, on voit que les forts consommateurs d'édulcorants agrègent aussi des comportements et des situations à plus haut risque de cancer : ils ont un IMC plus élevé, ils sont plus fréquemment diabétiques, plus fréquemment fumeurs ou anciens fumeurs, ils consomment moins de fruits et légumes et plus de personnes dans ce sous-groupe avaient fait un régime amaigrissant témoignant du fait qu'ils essayaient de perdre du poids, peut-être parce qu'ils étaient en moins bonne santé. Les chercheurs ont bien sûr effectué une analyse multivariée. Ils ont tenu compte de ces potentiels facteurs confondants, le travail a été très bien fait. Mais malgré cela, on ne peut pas éliminer totalement les biais de confusion.

  • Il faut mettre cette étude en perspective : il y a une autre étude qui a été effectuée dans la même cohorte NutriNet et qui portaient sur les liens entre la consommation des boissons édulcorées et le risque de cancer. [2] Or cette précédente étude n'a pas retrouvé d'association : dans cette même cohorte, les forts consommateurs de boissons édulcorées n'avaient pas d'augmentation du risque de cancer. On pourrait alors imaginer que ce sont les édulcorants présents uniquement dans d'autres produits que les boissons, qui sont dangereux. On arrive à des hypothèses qu’on peut toujours émettre, mais qui sont un peu complexes et surtout qui ne sont pas simples à soutenir quand on voit que dans l’étude actuelle [1], plus de la moitié des édulcorants de synthèse apportés dans l'alimentation viennent justement des boissons light.

 
On ne peut pas éliminer totalement les biais de confusion [dans cette étude].
 

Un signal épidémiologique… mais attention aux conclusions pratiques

Si on résume, on a ici un signal épidémiologique d'un possible effet délétère des édulcorants. Oui, mais attention à la surinterprétation et aux messages pratiques qui en découlent, parce que selon moi, il y a un risque à diaboliser sans nuance les édulcorants de synthèse. Ce risque est d'entraîner chez les patients qui en consomment, un remplacement de ces édulcorants par du sucre. Ils prendront du sucre naturel ou non raffiné, du sucre roux… tous ces sucres qui ont à tort une bonne réputation.

 
Il y a un risque à diaboliser sans nuance les édulcorants de synthèse.
 

Aujourd'hui, si on regarde les données scientifiques, rien ne permet de dire qu'il vaut mieux manger sucré que de manger édulcoré. Et il ne faut pas oublier qu'en nutrition, quand on retire ou diminue quelque chose, généralement on le remplace par autre chose. Quand on réduit les apports en glucides, on va manger un peu plus de gras, et quand on diminue le gras, on va spontanément manger un peu plus de glucides. Donc ici, si on veut limiter les édulcorants et le sucre, il faut un message sur les deux éléments : le sucre et les édulcorants. Et si on émet un tel message, il faut bien réfléchir à la manière de communiquer. Plutôt que de dire « diminuez tout », il faudrait peut-être encourager à se déshabituer du goût sucré. Mais ça, c'est un gros chantier…

Je vous remercie de votre attention et je vous dis à très bientôt sur Medscape.

 

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