Le blog du Dr Pauline Seriot

La parentalité reste encore « une affaire de femmes », même chez les médecins

Dr Pauline Sériot

Auteurs et déclarations

10 février 2022

Projet de grossesse, congés de maternité, garde des enfants… Le Dr Pauline Seriot commente les résultats de l’enquête Medscape sur les difficultés à concilier parentalité et carrière en médecine.

TRANSCRIPTION

Bonjour à tous. Cette vidéo fait suite à la précédente concernant la représentation de la femme au sein de son métier de médecin.

Nous avions vu que malgré la féminisation croissante la profession de médecin, le sexisme et la discrimination n’avaient pas disparus pour autant. Les patients considéraient toujours, pour une partie d’entre eux, d’après les résultats d’une étude menée par Medscape, la femme comme exerçant une profession paramédicale et que l’image du médecin était représentée par une figure masculine.

En effet, au sein de l’imaginaire collectif, « le » médecin (l’homme), reflète la compétence, l’intelligence. La prise de décision et la gestion d’un service médical « sont » du ressort de l’homme. Les femmes, occuperaient quant à elles, et c’est inscrit dans une normalité, des professions subalternes. Elles assisteraient l’homme.

Aujourd’hui, nous allons nous interroger sur les choix auxquels sont confrontées les femmes médecins. Choix tout d’abord, concernant un projet de maternité : programmer sa grossesse, se limiter à un nombre d’enfants, ou y renoncer. Puis, nous irons explorer le regard des hommes face à cette problématique.

Une grossesse après 32 ans

La parentalité, elle reste un frein à la carrière des femmes. Pour 40% des femmes interrogées, le métier de médecin aurait influencé leurs choix d’avoir des enfants. La nécessité d’arriver à concilier parentalité et travail serait trois fois plus importante pour la femme que pour l’homme.

Une femme médecin, lorsqu’elle a un projet de grossesse doit « choisir le bon moment », celui qui sera le plus adapté, le plus opportun. Non pas pour elle-même mais pour l’organisation pérenne du service hospitalier dans lequel elle travaille.

Par exemple, ce qui est retrouvé dans les témoignages et ce que j’ai pu observer également sur le terrain, c’est que la phase de clinicat, qui intervient juste après l’internat et avant l’obtention du concours de praticien hospitalier, ne constitue pas une période favorable à la conception d’un enfant. Effectivement, il y existe une charge de travail et des horaires très intenses. Cette phase de clinicat dure 2 ans, voire plus. Elle intervient entre l’âge de 28 et 32 ans d’une femme. Donc si une femme doit programmer sa grossesse, elle doit le faire une fois cette phase de chef de clinique assistant, soit après ses 32 ans.

 
La phase de clinicat, qui intervient juste après l’internat et avant l’obtention du concours de praticien hospitalier, ne constitue pas une période favorable à la conception d’un enfant.
 

Une femme médecin enceinte représente une nécessité d’aménagement du planning, ce qui n’est pas tellement compatible avec une organisation de service hospitalier.

Une cardiologue de 43 ans confirme cette théorie. En effet, on lui a proposé un poste de chef de clinique assistant et on lui a demandé de ne pas faire de bébé durant cette période. Cette femme a donc attendu et a ensuite mis 10 ans avant de concevoir ses deux enfants. Ses collègues l’ont détestée et son patron lui a reproché de prendre des congés alors qu’il est selon lui « inadmissible de prendre autant de congés, surtout quand on travaille en CHU ».

De plus, un projet maternité ou simplement le fait d’être une femme en âge d’avoir un enfant, lors d’un entretien d’embauche, peut constituer un frein, voir un motif de refus de poste car une femme risque d’avoir des enfants et de devoir s’absenter. Elle constitue de fait, une entrave au planning et à l’organisation interne du service.

Donc, à compétences égales, une femme de 30 ans face à un homme de 30 ans ne sera pas prise à un poste.

 
À compétences égales, une femme de 30 ans face à un homme de 30 ans ne sera pas prise à un poste.
 

Certaines médecins femmes rapportent avoir eu le sentiment de « trahir » leurs collègues masculins en leur apprenant leur grossesse.

Une gynécologue de 50 ans avoue avoir été harcelée par ses collègues masculins lors de sa première grossesse, lorsqu’elle a dû être arrêtée pour menace d’accouchement prématuré.

Donc en gynécologie, dans un service où l’on est amené à mettre des enfants au monde, lorsqu’une de nos collègues doit être arrêtée pour grossesse à risque, cela devient un problème. On ne voit pas l’humain, on se focalise sur le problème. Alors que ce sont ces praticiens masculins mêmes qui prescrivent des certificats médicaux, des arrêts de travail pour des femmes ayant des grossesses à risque.

Effectivement, une femme enceinte, avant qu’elle soit enceinte, c’était une collègue, et puis, lorsqu’elle tombe enceinte, elle devient une entrave. Une entrave au bon fonctionnement d’un service. Elle entraine de fait, des aménagements et cela devient problématique auprès des équipes.

 
Une femme enceinte, avant qu’elle soit enceinte, c’était une collègue ; lorsqu’elle tombe enceinte, elle devient une entrave.
 

Il y a d’un côté le choix de la parentalité, mais il y a également toute une problématique organisationnelle qui en découle.

Nombreuses sont les praticiennes qui émettent des regrets sur s’être limitées à 1 enfant et sur le fait de ne pas avoir pu consacrer assez de temps à leur éducation, notamment en raison de contraintes professionnelles comme les gardes et les astreintes.

Une urgentiste de 38 ans exprime qu’il est impossible pour elle de garder ses enfants lorsqu’ils sont malades. C’est cette urgentiste même qui délivre des certificats « enfants malades » aux mères pour qu’elles puissent le garder au domicile. Incohérence n’est-ce pas ?

Quel regard les hommes médecins portent-ils sur la parentalité ?

Les résultats de l’étude Medscape mettent en avant que dans 21% des cas, losrque les enfants sont malades, c’est la mère médecin qui reste au domicile pour s’en occuper, contre 6% des pères médecins.

Quel regard portent donc les hommes sur leurs collègues féminines et sur la parentalité ? Lorsque certains voient la féminisation de la profession médicale comme une avancée, une chance, d’autres pointent uniquement les aspects négatifs : les absences, les gardes à reprendre et les trous sur le planning.

Quel est le regard des hommes face à la maternité ? Rappelons que pour 16% des médecins hommes interrogés, leurs métiers a influencé leurs choix, d’avoir ou non des enfants, contre 40% des femmes.

Plusieurs médecins hommes ont indiqué « ne pas envisager de prendre un congé paternité ». Quelles en sont les raisons ? Pour un cardiologue de 61 ans : cela n’est « d’aucune utilité pour un nouveau-né ». Effectivement, cela n’est d’aucune utilité de venir en aide à sa femme en post-partum immédiat... Certains hommes déclarent « ne pas s’en sentir capables » et qu’ils « ont absolument besoin de leur activité professionnelle pour le maintien de leur équilibre psychique »

Quel est maintenant le regard des hommes sur l’association parentalité et logistique professionnelle des femmes médecins ? Pour certains praticiens, les femmes seraient privilégiées. Il leur serait accordé plus de flexibilité en termes d’horaires et de congés.

Selon un psychiatre de 64 ans, « cette inégalité (donc inégalité face à la maternité) se ferait au détriment des hommes ». Effectivement, ceux-ci doivent travailler plus, assumer plus de jours de présence, plus de gardes et d’astreintes, « sans compensation ». 

Selon un néphrologue de 53 ans, les hommes seraient davantage « joignables, plus disponibles au téléphone à l’improviste » et seraient « plus réactifs afin de délivrer un conseil médical ».

Que doit-on en penser ? Une femme est-elle occupée à autre chose ? Une femme doit gérer l’éducation de ses enfants, donc de fait, elle serait moins disponible ?

Le meilleur pour la fin : un généraliste de 66 ans admet « qu’en tant hommes, nous avons perdu la guerre des sexes et avons affaire à des mauvaises gagnantes ». Je ne commenterai pas ces propos.

Ce qui ressort, à travers ses témoignages, c’est que la maternité et la parentalité sont une affaire de femmes. Et leur rôle se trouve là, finalement. Les hommes, quant à eux, vivent par ou pour leur travail et leur place à eux, elle est là.

 
Ce qui ressort, à travers ses témoignages, c’est que la maternité et la parentalité sont une affaire de femmes.
 

Donc, après devoir faire face au sexisme et aux discriminations de genre de la part des patients et de leurs pairs, les femmes médecins doivent se battre contre une inégalité, pourtant naturelle, celle de la maternité qui apparait être selon moi, un combat totalement dénué de sens.

Une femme doit programmer sa grossesse, choisir son nombre d’enfants, jongler avec sa carrière et ses contraintes, passer des diplômes et gérer l’organisation familiale. L’homme lui, doit travailler et effectivement, récupérer quelques gardes.

Peut-on espérer une évolution ?

Oui, « si le temps de travail et les récupérations étaient respectés, cela permettrait à l’équilibre travail-famille d’être plus facile et l’équilibre homme-femme serait moins gênant » estime une anesthésiste de 31 ans.

J’ajouterai à cela d’arrêter de continuer de travailler à flux tendu d’effectifs permanent. C'est-à-dire que de recruter du personnel permettrait de mettre fin à ce fonctionnement de gestion de service réfléchi comme ne pouvant fonctionner autrement que sans imprévu.

Les imprévus, il y en aura toujours dans une carrière. Un arrêt de travail transitoire, un arrêt maladie, un problème familial, il y en a toujours. Néanmoins, si on optimisait le recrutement et que l’on arrêtait avec cette gestion serrée des effectifs entrainant, devant un arrêt, une charge supplémentaire de travail sur les autres, on aurait moins cette problématique de pointer du doigt « lui est en arrêt, elle est enceinte », etc.

Il s’agirait enfin selon moi de sortir de ce schéma ancestral patriarcal de « de toute façon, c’est la femme qui pose problème ». Oui la femme, c’est sûr que lorsqu’elle tombe enceinte, elle pose un problème organisationnel mais de ce que l’on sait, la femme ne tombe pas enceinte toute seule…

Et puis, avec la féminisation qui s’opère, dans quelques années, les femmes seront majoritaires au sein des effectifs et je pense que ce débat sera clôt.

 

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