Hypertension artérielle à l’ESC 2022 : ce qu’il fallait retenir

Dr Romain Boulestreau, Dr Julien Doublet

Auteurs et déclarations

8 septembre 2022

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

Les Drs Romain Boulestreau et Julien Doublet (CHU de Bordeaux) du Club des Jeunes Hypertensiologues commentent 3 présentations clés dans l’hypertension artérielle présentées au congrès de l’European Society of Cardiology (ESC) 2022 : le consensus européen sur la dénervation rénale et les résultats des essais TIME et SECURE.

TRANSCRIPTION

Julien Doublet – Bonjour à tous et bienvenue sur Medscape, en partenariat avec le Club des Jeunes Hypertensiologues. J’ai l’honneur d’interviewer ce jour Romain Boulestreau, PH au CHU de Bordeaux dans le service d’hypertension artérielle. Je suis moi-même Julien Doublet, PH dans le même service au CHU de Bordeaux.

TIME : taux d’évènements CV similaires, que les antihypertenseurs soit pris le soir ou le matin

Julien Doublet – Tout d’abord, une étude essentielle est sortie à l’ESC 2022, il s’agit de TIME. [1]  Quel était le but de cette étude ?

Romain Boulestreau — TIME est effectivement une étude phare à l’ESC 2022 sur l’hypertension artérielle, puisque le but était d’évaluer l’efficacité d’un traitement antihypertenseur pris le soir versus le matin en termes de protection cardiovasculaire. Tu sais qu’il y a eu l’étude Hygia, de Hermida et coll., en Espagne, qui a fait beaucoup de bruit il y a quelques années, puisque qu’elle démontrait une baisse du risque cardiovasculaire de 50 % sur la mortalité, sur les AVC, sur l’insuffisance cardiaque, sur les infarctus, sur tous les critères... de 50% juste en prenant le traitement le soir. Ils avaient randomisé 19 000 patients et les avaient suivis pendant six ans. En fait, cette étude était même trop belle pour être vraie — elle avait été publiée dans l’European Heart, donc un excellent journal, mais elle n’avait pas donné lieu à des recommandations derrière, puisque personne ne l’a crue. Il restait donc le doute de se dire « et si c’était vrai, finalement ? Et si en mettant les traitements le soir on pouvait baisser la pression artérielle la nuit ? C’est la pression la plus pronostique — on le répète tout le temps — et donc finalement est-ce que ce n’est pas cela qu’il faut quand même faire ?

Donc on attendait TIME avec impatience : 21 000 patients suivis cinq ans, traitement 1:1 randomisés le matin ou le soir ― ce sont les mêmes patients que l’étude Hygia, c.-à-d. 65 ans de moyenne d’âge, 60 % d’hommes, exclusivement des blancs, 14 % de diabétiques — et on leur donne le traitement le soir versus le matin, c’est la seule différence.

Julien Doublet – Et alors, les résultats ?

Romain Boulestreau — C’est un peu la surprise que personne n’attendait, ou que certains attendaient justement, parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne croyaient pas Hygia. Il n’y a aucune différence entre les deux groupes à cinq ans. Il y a un groupe qui fait 3,3 % d’événements, l’autre 3,7 %, il n’y a pas différence. Et quel que soit le sous-groupe – les plus à risque, les moins à risque, les diabétiques, les obèses … aucun des sous-groupes ne sort, cela ne marche pas de mettre les traitements de soir. En tout cas, cela ne protège pas plus.

Beaucoup de gens disent que TIME clôt le débat, et c’est probable. L’avantage est qu’on a deux autres grosses études qui arrivent avec le même objectif, notamment BedMed au Canada, en Alberta, donc on verra si elles confirment les résultats de TIME ou de Hygia, cela ne va pas rester un contre un, mais c’est intéressant.

Je ne sais pas ce que tu en penses : est-ce une étude négative ou une étude qui nous permet de dire « on prend le traitement, finalement, quand on veut. » Comment vas-tu l’appliquer, toi, cette étude ?

Julien Doublet — C’est une étude, déjà, qui ne va pas m’obliger à prescrire des traitements le soir, mais qui va poursuivre ma pratique, c’est-à-dire de demander aux patients quand est-ce que la prise des médicaments les arrange le plus ? En tout cas, c’est rédiger mon ordonnance en m’adaptant à chaque patient, en leur demandant « est-ce que le traitement, vous le préférez le matin ou le soir ? » et vraiment m’adapter aux patients pour favoriser son observance.

Romain Boulestreau — Je la retiens comme toi : c’est le patient qui dit quand il va prendre ses traitements et quand il ne les oubliera pas.

Consensus ESC sur la dénervation rénale

Julien Doublet — Nous avons eu des informations très importantes concernant la dénervation rénale, peux-tu nous en dire plus ?

Romain Boulestreau — On a enfin des consensus qui sortent sur la dénervation rénale. Tu as suivi comme tout le monde, l’explosion de cette nouvelle technologie, il y a quelques années, par Medtronic, avec des –30 mm Hg de pression artérielle, des choses très impressionnantes qui se sont effondrées complètement avec SIMPLICITY HTN-3 — on a failli abandonner la technique — et qui sont repartis avec l’essai DENER-HTN et puis les différents essais bien faits contre procédure sham, etc., et maintenant les données sont très claires et, surtout, très reproductibles. En gros, la dénervation agit comme un médicament, elle fait baisser de 10 mm Hg la pression artérielle en moyenne avec un gros problème de variabilité de la réponse.

Donc, 10 mmHg, un médicament qui sert à qui ? Cela sert beaucoup au patient jeune qu’on veut essayer de guérir — plus de traitements, plus d’hypertension — et ce qu’on fait un peu moins dans le service mais qui est aussi très fait, c’est chez le patient hypertendu résistant qu’on veut ramener à un contrôle tensionnel avec une tri- ou une quadri-thérapie en deux comprimés. Donc c’est vraiment une technologie désormais de notre quotidien, dans les centres d’excellence, et on est content à la fois qu’il y ait des recommandations, comme les recommandations européennes qui sortent, qui insistent sur la sélection des malades, puisque c’est un critère extrêmement important ; donc ce sont les centres d’excellence en hypertension qui font un screening très précis, éliminant les HTA « blouse blanche », éliminant les HTA secondaires, sélectionnant les bons malades. Ce sont eux qui vont donner le « go » pour la dénervation rénale.

Ensuite, la dénervation n’est pas du tout abandonnée. Au contraire, elle est proposée, mais donc chez les bons candidats ou les meilleurs candidats. Ce qui est important, c’est qu’après ce consensus européen, il y a un consensus français qui va sortir en fin d’année. Et tu le sais, en France, on a un remboursement temporaire de la technologie par sonde SPYRAL pendant un an chez les hypertendus résistants, quand c’est un centre d’excellence qui a donné le « go », là encore. Donc je crois que cette technologie n’est pas du tout enterrée, par contre elle est à sa place, une place qui est mesurée.

Julien Doublet – C’est probablement le début de la pratique de la dénervation rénale dans un cadre bien établi, en dehors des essais thérapeutiques.

SECURE : la prévention CV secondaire bénéficie des promesses de Polypill

Julien Doublet — Enfin, Romain, as-tu eu un coup de cœur sur une étude présentée lors de cet ESC ?

Romain Boulestreau — Une étude m’a beaucoup plu, c'est SECURE. [2]

C’est une étude de prévention cardiovasculaire post-infarctus, donc de prévention secondaire, où on a 2500-3500 patients dans chaque bras et la moitié des patients en post-infarctus ; ils reçoivent de l’aspirine, statine et IEC à différents dosages en thérapie combinée — un seul comprimé — et l’autre moitié des gens ont les trois, mais en thérapie libre.

En hypertension artérielle, la thérapie combinée est un sujet qu’on aime beaucoup, on pense que cela améliore l’observance, et d’ailleurs tu connais notre dogme que tu répètes tout le temps : il ne faut pas plus de deux comprimés pour traiter une hypertension artérielle – deux comprimés, c’est quatre molécules et cela suffit largement et cela rend les gens observants. Donc je suis évidemment d’accord, je partage cette idée avec toi, mais on n’avait pas cela dans la coronaropathie après le SCA, et on l’a, maintenant, avec cette étude SECURE.

Les résultats sont assez impressionnants, puisqu’on a une baisse de 30 % des événements cardiovasculaires, que cela soit les infarctus non mortels, les AVC non mortels et la mortalité à 3 ans en post-infarctus. Et donc, en un délai assez court, on diminue de 25 % les événements simplement avec une thérapie combinée. Peut-être que cela améliore l’observance — c’est ce qu’on croit, effectivement. Ce qui est un peu étonnant, c’est que le LDL et la tension sont les mêmes dans les 2 groupes, donc on a l’impression que les traitements sont bien pris dans les deux groupes, sauf si c’est l’aspirine qui est mal prise. Mais, en tout cas, ce qui est sûr, c’est que cela montre que les thérapies combinées sont efficaces, marchent bien, mieux que les thérapies libres dans un domaine qui est autre que l’hypertension artérielle, et on va avoir besoin de cela. Là, on parle pour les insuffisants cardiaques, et encore un autre sujet de quadrithérapie, il y a d’autres molécules qui apparaissent, on ne va pas pouvoir demander aux gens de prendre 12, 15, 20 comprimés quand ils ont d’autres comorbidités.

 
Les résultats de SECURE sont assez impressionnants, puisqu’on a une baisse de 30 % des événements cardiovasculaires. Dr Romain Boulestreau
 

Donc, les graphies combinées, on est convaincu tous, en hypertension, depuis longtemps, que c’est l’avenir et là, on a des preuves dans d’autres domaines. Donc on espère que cela va pousser le remboursement de la trithérapie combinée dans l’hypertension en France, et qu’on aura bientôt la quadrithérapie, aussi.

Julien Doublet — Le futur, c’est donc moins de comprimés pour moins d’événements.

Romain Boulestreau — Exactement, c’est le mot de la fin, c’est bien résumé.

 

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