Spécial ESC 2022 : focus sur les anticoagulants

Pr Gabriel Steg, Dr Michel Zeitouni

Auteurs et déclarations

30 août 2022

Gabriel Steg et Michel Zeitouni commentent les études marquantes du congrès de l’European Society of Cardiology (ESC) 2022 sur les anticoagulants, avec notamment l’essai INVICTUS[1], qui surprend en montrant la supériorité des AVK sur le rivaroxaban dans la FA chez patients avec une cardiopathie rhumatismale. « C ’est une grande leçon d’humilité pour tous les cliniciens et ceux qui font des essais cliniques : il faut continuer à essayer de personnaliser notre traitement anticoagulant en fonction du profil de risque du patient, » indique le Pr Steg.

Le point également sur une nouvelle classe d’anticoagulants, les inhibiteurs du facteur XI, avec des résultats encourageants dans trois études de phases 2 : PACIFIC-AMI[2], PACIFIC-STROKE et AXIOMATIC-SSP.

TRANSCRIPTION

Gabriel Steg – Bonjour, je suis Gabriel Steg, cardiologue à l’hôpital Bichat, à Paris. Je suis à au congrès de l’ESC 2022 à Barcelone et j’ai le plaisir d’être en compagnie de mon collègue, le Dr Michel Zeitouni, qui est cardiologue à la Pitié-Salpêtrière, pour commenter les résultats d’une session de grands résultats cliniques consacrée aux anticoagulants qui a été présentée le 28 août et qui était vraiment intéressante, avec beaucoup de choses nouvelles et en particulier un premier essai pourrait vraiment influencer la pratique, qui s’appelle INVICTUS.

INVICTUS : le rivaroxaban inferieur aux AVK dans la FA chez patients atteints de cardiopathies rhumatismales

Michel Zeitouni – Oui, INVICTUS[1] est ce grand essai clinique qui s’est intéressé à la fibrillation atriale (FA) chez les patients porteurs d’une cardiopathie rhumatismale avec atteinte mitrale, impliquant plus de 4500 patients, dans 24 pays (en voie de développement pour la plupart). Les chercheurs ont voulu évaluer chez ces patients à haut risque cardioembolique, le rivaroxaban face aux AVK. Et on a eu un résultat assez surprenant… qu’est-ce que vous en avez pensé ?

Gabriel Steg – Le résultat est assez simple : le rivaroxaban est inférieur aux antivitamines K visant un INR entre 2 et 3 chez ces patients qui sont à haut risque, sans différence de risque hémorragique. Et c’est un résultat qui est très clair, il n’y a vraiment pas d’ambiguïté sur le plan de l’analyse statistique qui nous rappelle ce qui avait été observé dans les prothèses valvulaires mécaniques où, déjà, les antivitamines K s’étaient montrés supérieurs aux nouveaux anticoagulants oraux lorsqu’ils avaient été étudiés. Cela nous montre que dans certaines situations à haut risque thrombotique, notamment pour les prothèses lorsqu’il y a du matériel exogène, mais même dans la sténose mitrale ou la maladie rhumatismale, lorsqu’il y a un risque particulièrement élevé, les bons vieux antivitamines K, lorsqu’ils sont bien utilisés, sont des médicaments très efficaces.

Je ne vous cache pas que sur le plan du confort, du médecin comme celui du patient, c’est un peu une déception parce que on aurait bien aimé pouvoir utiliser des nouveaux anticoagulants oraux directs (AOD) chez ces patients, parce que cela simplifie la vie. De ne plus avoir à monitorer, ne plus avoir toutes les interactions médicamenteuses et alimentaires… mais il faut bien reconnaître que le résultat est sans ambiguïté, sans appel : ces patients doivent clairement être maintenus sous AVK et non pas utiliser les AOD.

 
[INVICTUS] : ces patients doivent clairement être maintenus sous AVK et non pas utiliser les AOD. Pr Gabriel Steg
 

Michel Zeitouni – Oui, en effet, ce sont des résultats très importants et très intéressants pour ces patients. Et on a vu que les résultats sont en faveur des AVK à la fois sur les décès cardiovasculaires et sur les AVC ischémiques, donc on a des résultats vraiment sans équivoque. Les investigateurs nous disaient que 20 % des porteurs d’une cardiopathie rhumatismale développent de la FA, et ces patients ont un risque 5 fois supérieur d’AVC. Et un point intéressant est la comparaison de cette population à celles qui étaient dans les essais cliniques d’AOD, qui étaient les essais princeps pour le rivaroxaban ou l’apixaban par exemple – plus jeune et avec plus de femmes. Est-ce que vous pensez que cela a pu interférer dans les résultats ?

Gabriel Steg – Oui, je pense qu’indiscutablement il y a une gradation dans le risque thrombotique. On a pensé longtemps que le cas particulier des prothèses mécaniques où les AVK étaient supérieurs, étaient liées au fait qu’il y avait une activation de la phase contact, parce qu’il y avait un matériel exogène dans les cavités cardiaques, donc c’était cela qui expliquait que les AVK étaient supérieurs, mais que pour le reste des patients, finalement les AOD feraient au moins aussi bien que les AVK.

On se rend compte que dans une situation très particulière à très haut risque thrombotique comme la maladie rhumatismale, comme la sténose mitrale, à nouveau, alors qu’il n’y a pas de matériel étranger, les AVK font mieux. Cela nous rappelle que les antivitamine K sont des anticoagulants remarquablement efficaces qui ont une action très complète et à plusieurs endroits de la cascade de la coagulation, ce qui, probablement, explique cette supériorité. Malheureusement, ils gardent leurs inconvénients et donc c’est toujours un problème, et il faudrait probablement qu’on réfléchisse à des façons de résoudre ces difficultés avec, peut-être, de nouveaux antivitamines K.

Michel Zeitouni – Est-ce que vous pensez que cela met en cause, par exemple, les résultats de RE-ALIGN, qui avait montré là non-infériorité des AOD, du rivaroxaban face aux AVK à distance d’une bioprothèse mitrale ? Ou est-ce que vous pensez qu’on est vraiment dans des cas de figure différents ?

Gabriel Steg – Non, je pense que les résultats sont en fait assez concordants. À nouveau, une bioprothèse mitrale à longue distance de l’implantation, c’est une situation à relativement faible risque thrombotique et, donc, dans les situations à faible risque thrombotique il est plus compliqué de mettre en évidence des différences. Mais lorsqu’on est dans des situations à haut risque, on fait émerger les différences et ces populations, en particulier de pays où il y a une forte prévalence de maladies rhumatismales, avec des sténoses mitrales, avec des CHADS-VASC élevés, ils sont à très haut risque et là on voit émerger les différences. Je pense que c’est une grande leçon d’humilité, aussi, pour tous les gens qui font des essais cliniques et pour tous les cliniciens – nous devons continuer probablement à essayer de personnaliser notre traitement anticoagulant en fonction du profil de risque du patient.

IDM, AVC, SCA : résultats encourageants avec les inhibiteurs du facteur XI

Michel Zeitouni – Toujours sur les anticoagulants, il y a eu une session dédiée aux inhibiteurs du facteur XI. Peut-on vraiment réduire le risque ischémique sans augmenter les hémorragies ?

Gabriel Steg – C’est la promesse de cette nouvelle classe d’anticoagulants : altérer la thrombose en maintenant les mécanismes de l’hémostase. Donc avoir un anticoagulant qui éviterait la thrombose pathologique, mais qui n’augmenterait pas le risque de saignement. C’est une promesse qui repose sur des données cliniques, génétiques : Il y a des gens qui ont une forme d’hémophilie où il y a un déficit en facteur XI, ils ont moins d’accidents vasculaires cérébraux que les autres et ils ont un risque hémorragique qui est vraiment peu augmenté — il est un petit peu augmenté, mais peu augmenté —, il y a des souris knock-out pour le facteur XI qui ne saignent pas plus que les autres et qui sont plus résistantes que les autres aux modèles expérimentaux, mais c’est la thrombose expérimentale. Et puis il y a des données cliniques avec des médicaments qui interfèrent avec le facteur XI, notamment des anticorps monoclonaux des oligonucléotides antisens pour lesquels il a été montré, notamment en chirurgie orthopédique, que dans la prophylaxie des thromboses veineuses ils faisaient aussi bien, voire mieux, que les héparines de bas poids moléculaire par exemple, avec un risque hémorragique moindre. Donc on a toute une série de données qui convergent pour dire « peut-être que cette classe de médicaments pourrait être une classe qui améliorerait le rapport bénéfice-risque des anticoagulants au long cours en gardant la même efficacité que les AOD par exemple, mais peut-être en permettant de réduire le risque hémorragique. » Est-ce qu’on évitera complètement le risque hémorragique ? Je crois que c’est probablement une illusion, mais si on arrivait déjà à réduire beaucoup le risque hémorragique, ce serait certainement intéressant.

Il y a eu trois études qui ont été publiées avec deux des principales molécules dans cette catégorie qui ont des noms barbares, le milvexian  [AXIOMATIC-SSP] et l’asundexian [PACIFIC-AMI, PACIFIC-STROKE], avec des essais qui étaient des études de phase 2 de dose ranging, comme on dit, pour choisir la dose – deux dans l’AVC ou la prévention de l’AVC et un dans le post syndrome coronarien aigu.

Michel Zeitouni – Oui, on a visé dans PACIFIC-AMI[2] le risque résiduel post infarctus en ajoutant un inhibiteur du facteur XI à une DAPT [dual antiplatelet therapy] pour voir si on arrivait à réduire les MACE entre six mois et un an et, finalement, on a eu des résultats plutôt neutres. En tout cas, on n’a pas pu observer de signaux sur la réduction des événements, mais on n’a pas observé plus d’hémorragies. Ce sont pour l’instant des résultats en demi-teinte, mais il s’agit d’essais cliniques de phase 2 qui visent surtout à trouver la bonne dose de médicament pour obtenir une inhibition satisfaisante du facteur XI. Est-ce qu’on peut déduire vraiment, à ce stade-là, quelque chose sur ces nouveaux médicaments, sur cette nouvelle classe ?

Gabriel Steg – C’est vraiment le verre à moitié vide, le verre à moitié plein. Le verre à moitié plein est qu’il n’y a pas d’augmentation des hémorragies lorsqu’on augmente la dose, donc c’est déjà une information intéressante qui est assez concordante avec ce qu’on sait des autres molécules qui inhibent cette voie de la coagulation. Et on se dit « peut-être qu’effectivement ce sont des médicaments anticoagulants plus sûrs. » Maintenant en ce qui concerne l’efficacité, il n’y a pas clairement de signal de réduction du critère primaire pour les AVC et les infarctus silencieux dans l’étude avec l’asundexian. Dans l’étude [AXIOMATIC-SSP] avec le concurrent, qui s’appelle le milvexian, il y avait un petit signal sur les AVC, notamment chez les gens qui ont de l’athérosclérose cérébrale. Et dans l’étude sur les syndromes coronariens aigus, il n’y a pas clairement de signal d’efficacité. Mais il faut se rappeler que dans les phases 2, on n’a par définition pas la puissance pour conclure. L’histoire nous rappelle que pour d’autres antithrombotiques qui se sont avérés très utiles en clinique, dans le passé les phases 2 n’avaient pas montré de signal d’efficacité. Je me souviens très bien, la phase 2 du ticagrélor, avant que nous commencions l’étude PLATO, n’avait montré aucun signe d’efficacité. Et c’était un moment où même les investigateurs se disaient « mais est-ce qu’on devrait faire une phase 3 ? Il n’y a aucun signal d’efficacité… » Puis la phase 3 a montré l’efficacité qu’on connaît et donc cela nous rappelle l’humilité qu’on doit avoir quand on interprète les résultats de phase 2 et combien il faut des grands nombres pour avoir des résultats robustes. Donc je crois qu’on ne peut pas conclure sur l’efficacité, on a quelque chose d’encourageant sur la sécurité et maintenant il reste à faire les grands essais de phase 3 et à tester si ces médicaments, dans la fibrillation atriale, en prévention secondaire post-accident vasculaire cérébral ischémique et peut-être même dans les syndromes coronariens aigus, mais à ce moment-là conjugués au traitement antiplaquettaire, ce qui est une situation à haut risque hémorragique, vont s’avérer intéressants.

 
[Études de phase 2] : on ne peut pas conclure sur l’efficacité. Pr Gabriel Steg
 

Si on se réfère à l’histoire, on se rappelle qu’ATLAS-ACS, avec le rivaroxaban, et COMPASS, avec une faible dose de rivaroxaban, avaient montré des résultats d’efficacité qui étaient très intéressants lorsqu’on conjuguait une anticoagulation au traitement antiplaquettaire au long cours – mais il y avait une augmentation du risque hémorragique et, du coup, je pense que la question reste très intéressante à étudier, si vraiment ces médicaments font moins saigner.

Miche Zeitouni ― En effet, et les neurologues aussi ont beaucoup d’espoir. Il faut savoir qu’après un AVC, dans les 30 jours, le risque de récurrence est de 5 % à 6 %, à 2 ans, il est quasiment à 16 %-17 % et ils n’ont pas encore testé d’anticoagulant dans la phase précoce d’un AVC puisqu’il y a le risque de transformation hémorragique, de mettre des antiplaquettaires. Pour eux, cette classe s’avère donc également porteuse de promesse, puisqu’on pourrait donner un antithrombotique qui n’augmenterait pas le risque de transformation hémorragique avec des résultats, finalement, qui restent à confirmer.

Gabriel Steg – Oui. À cet égard, il n’y a pas d’augmentation des hémorragies intracrâniennes dans l’essai post accident vasculaire cérébral avec le milvexian et je pense c’est une information encourageante. En tout cas, nous nous reverrons certainement dans quelques années pour les résultats des études de phase 3 dans ces trois indications, avec cette nouvelle classe thérapeutique pour savoir s’il faut conclure à un progrès ou pas.

 

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