Europe de la santé : où en est-on ?

Dr Benjamin Davido, Me David-Emmanuel Picard

Auteurs et déclarations

3 août 2022

Enregistré le 25 juillet 2022

La pandémie a mis en lumière la nécessité d’une organisation collective de la prise en charge des patients en Europe. Pour aller plus loin, quels sont les projets actuels de développement d’une « Europe de la santé » ? Quid de la prise en charge hors d’Europe ? Benjamin Davido, infectiologue à l’hôpital de Garches, interroge Me David-Emmanuel Picard, avocat spécialisé en droit de la santé.

TRANSCRIPTION

Benjamin Davido – Bonjour à tous et bienvenue sur Medscape ! Aujourd’hui nous allons parler « de santé et d’Europe », un sujet qui est d’actualité, au moment où l’OMS appelle justement à une gestion européenne de la variole simienne. C’est l’occasion de faire un point sur cette question plus générale de l’Europe et la santé. Pour cela, j’ai le plaisir de recevoir Maître David-Emmanuel Picard.

David-Emmanuel Picard – Bonjour, je suis Me Picard, avocat au barreau de Paris, et associé au sein d’une structure qui s’appelle EOS associés. Nous couvrons différents champs du droit et, notamment le droit de la santé.

Benjamin Davido – Très bien. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis médecin infectiologue à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches.

L’organisations de la santé en Europe

Benjamin Davido – Cette Europe de la santé, à l’heure des maladies infectieuses, est un sujet important. David, peux-tu nous expliquer au préalable comment s’organise la santé en Europe ?

David-Emmanuel Picard – Il y a une organisation qui est un peu particulière parce qu’il ne s’agit pas d’une organisation intégrée comme cela peut l’être dans différents champs du droit, comme par exemple la concurrence, etc. On a toujours l’idée d’une Europe qui aurait le monopole de la production de la norme juridique – or là, c’est un peu différent : on a une Europe qui est une structure d’appui pour les législations des États membres. C’est-à-dire que les États membres disposent toujours de leur liberté pour définir l’organisation des soins, les modalités de prise en charge. Ce qui se passe, c’est que l’Union européenne, dans ce cadre-là, a une compétence qu’on appelle d’appui et de coordination, qui va être chargée de coordonner et d’impulser au maximum une forme de coordination des systèmes de soins et des prises en charge d’assurance maladie. Mais on n’a pas, à l’heure actuelle (et c’est aussi une question de choix politique), une Europe intégrée, une compétence de décision pour l’Union européenne en matière de santé.

 
En santé, l'Europe est une structure d’appui pour les législations des États membres. Me David-Emmanuel Picard
 

Prise en charge dans un État membre de l’EU

Benjamin Davido – Comment, concrètement pour les praticiens et pour les patients, s’organise cette santé au sein d’un autre État européen ?

David-Emmanuel Picard – C’est une bonne question parce qu'en pratique, l’Union européenne a pu prendre en charge ces questions via ce qu’on appelle des libertés fondamentales, notamment la liberté de circuler en Europe pour les résidents européens, et la liberté de prestation de services. Donc par le truchement de ces deux libertés, l’Union européenne a pu prendre un certain nombre de réglementations. Il y a en particulier un règlement européen de 2004 qui prévoit que les patients puissent être pris en charge dans un autre État membre, mais toujours sous conditions : il va y avoir notamment une condition d’urgence. Il y a aussi la condition qu’un traitement identique ne peut pas être assuré dans l’État membre initial. Aussi, toute la législation européenne a émis un distinguo entre les soins ambulatoires, pour lesquels le patient peut librement se présenter auprès d’un prestataire de soins dans un autre État membre. Dans ce cas-là, évidemment, il n’a plus aujourd’hui à présenter d’autorisation préalable, comme c’était le cas avant. Maintenant, il pourra être pris librement en charge par le prestataire de soins.

Pour autant – j’insiste là-dessus – en ce qui concerne la prise en charge des frais de santé, ce sera l’assurance maladie de l’État initial qui va prendre en charge les frais de soins pour le patient dans un autre État membre.

Benjamin Davido – Cela veut dire que le patient doit avancer les soins ?

David-Emmanuel Picard – Il n’aura pas à avancer les soins – dans ce cadre-là, évidemment, l’Assurance maladie va prendre en charge directement et va verser le montant des soins, mais toujours à hauteur de la cotation, du forfait pris en charge par l’assurance maladie de l’État initial. Et, dans ce cadre-là, s’il y a une différence, c’est-à-dire des soins qui pourraient coûter davantage dans un autre État, ce sera à la charge du patient. C’est pourquoi, d’un point de vue absolument pratique, il est toujours intéressant de contracter une assurance privée qui permet de prévoir cette avance de frais, qui permet de se mouvoir plus librement et d’avoir accès aux soins de manière plus libre, sans avoir cette difficulté du paiement de la charge supplémentaire.

Benjamin Davido – C’est ce qu’on peut avoir avec Europe Assistance...

David-Emmanuel Picard – Exactement. Et, également, les citoyens, doivent être au courant que sur les cartes de crédit, sur les conventions bancaires, il y a bien souvent des couvertures santé ou des avances de soins qui sont envisageables, ou parfois même avec les conventions et assurances habitation, etc.

Benjamin Davido – Et on rappelle qu’il y a également une carte d’assurance maladie européenne. Mais elle n’est pas obligatoire.

David-Emmanuel Picard – Oui, c’est le « passeport » européen qui permet d’être pris en charge immédiatement. Pour autant, pour ce qui est des questions d’urgence, si un patient doit subir une intervention chirurgicale urgente, il sera bien évidemment pris en charge au titre de sa citoyenneté européenne et son assurance maladie va se rapprocher du prêteur de soins local. Mais, pour autant, la carte d’assurance européenne de maladie peut, elle, être utilisée vraiment sans aucune difficulté, partout en Europe.

Benjamin Davido – Pour ceux qui veulent la télécharger, c’est ici . Elle existe, également en dématérialisé, donc c’est toujours pratique de l’avoir sur soi, à l’heure où maintenant on a l’habitude de flasher des QR codes dans son voyage à l’international.

J’ai envie de te dire donc, d’après ce que tu me racontes, que la santé en Europe existe déjà !

David-Emmanuel Picard – Elle existe pour ce qui est de la prise en charge des patients, mais par contre il y a un distinguo très important : chaque pays est libre d’organiser comme il le souhaite les soins et les modalités de prise en charge. Donc la réponse à ta question est partiellement « oui », parce qu’il y a aussi une volonté politique, derrière. C’est à dire que – et c’est un choix collectif, démocratique – est-ce que tous les citoyens veulent avoir la même santé dans tous les pays ? Ce n’est absolument pas certain, parce qu’il y a des traditions médicales qui sont différentes, il y a des enjeux financiers qui sont extrêmement différents, les modalités de financement de la sécurité sociale sont très variées – en Allemagne, ce ne sont pas les mêmes qu’en France, etc. – donc, pour l’heure, la compétence d’appui, la compétence de coordination des régimes d’assurance maladie et de prise en charge des patients fonctionne de cette manière-là. Il pourrait y avoir des évolutions dans le futur, mais elles pourraient peut-être arriver avec ce qu’on a vécu récemment, mais c’est encore une question en suspens.

 
Chaque pays est libre d’organiser comme il le souhaite les soins et les modalités de prise en charge. Me David-Emmanuel Picard
 

Quels sont les futurs projets de l’Europe de la santé ?

Benjamin Davido – Cela amène ma question suivante : quelles pourraient être les perspectives pour développer une Europe de la santé ? On pense à l’image de l’achat groupé des vaccins qu’on a connu pour le COVID, qui a été d’ailleurs très utile (peut-être, malheureusement, qu’on en aura encore besoin avec la variole simienne). Quels sont ces projets d’Europe de la santé ?

David-Emmanuel Picard – Depuis l’épisode de la pandémie de COVID-19, on a vu l’Europe se saisir d’un certain nombre de sujets, grâce à l’action collective des États qui ont décidé de mettre en commun leurs facultés pour essayer de traiter la problématique, qui était extrêmement grave et urgente, à l’époque. Pour autant, il y a eu des actions qui ont été ponctuelles et spontanées et qui ne trouvent pas leur base juridique dans des programmes qu’on appelle structurels, par exemple – ce ne sont pas des programmes au long cours – avec une capacité décisionnelle de l’Union européenne. Ce qui s’est passé, c’est qu’il y a eu une mise en commun, une garantie européenne pour les versements financiers qui devaient être opérés. On a eu, par exemple, la mise en commun pour l’achat de matériel médical d’urgence, pour les équipements de protection individuelle, pour l’achat de vaccins, avec toutes les difficultés qu’il y a eu à l’époque, dont l’Union européenne n’est pas unique responsable.

Benjamin Davido – Et, d’ailleurs, on peut féliciter l’Agence médicale européenne qui a permis la validation de ces vaccins.

David-Emmanuel Picard – Absolument. L’Europe est aujourd’hui en train de se saisir de ce sujet et, d’ailleurs, elle a élaboré dans le cadre des décisions qui vont intervenir sur la prochaine mandature de la Commission européenne, un certain nombre de chantiers qui ont été mis en œuvre. J’en veux pour preuve qu’il y a de nouveaux programmes qui sont mis en place avec de nouvelles agences.

Il y a en particulier le programme EU4Health, qui date de mai 2020, qui a pour but de promouvoir des essais cliniques transfrontaliers, de créer des laboratoires de référence en Union européenne. On a encore une nouvelle agence, qui, elle, devra être mise en place récemment – c’est l’agence HERA, qui a pour but de réagir aux urgences sanitaires, un peu sur le modèle de la BARDA, qui est l’équivalent américain, qui a pour but de promouvoir la recherche médicale ainsi que les vaccins de seconde génération. Après, on a toujours un budget limité, donc c’est là où, évidemment, le bât blesse par rapport à la BARDA américaine qui a à disposition un milliard d’euros. Là, on est à 150 millions d’euros...

Mais ce sont des projets qui sont mis en place et, donc, une recherche européenne pourrait être, dans un futur proche, développée.

Il y a aussi un point relativement important au regard de la gestion de la crise qui a dû être mise en œuvre dans l’urgence : le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC)…

Benjamin Davido – On a donc un équivalent en Europe du fameux CDC américain.

David-Emmanuel Picard – Voilà. Il aurait la charge d’une gestion des urgences sanitaires. Mais le projet est qu’il dispose, à présent, de compétences opérationnelles, ce qu’il n’avait pas. C’est-à-dire de gestion de coordination entre les équipes des États membres. Donc c’est un projet qui me semble absolument intéressant…

Benjamin Davido – Donc il y a plein de projets ambitieux de l’Europe de la santé.

David-Emmanuel Picard – Absolument.

La santé hors d’Europe

Benjamin Davido – Pour montrer, justement, le poids de cette Europe, j’ai envie de te poser une question un peu provocatrice pour terminer, qui est : « quid de la santé hors de l’Europe, à nouveau du point de vue du patient, mais aussi des praticiens ? » On a réouvert les frontières, on voit ces menaces, on dit qu’il y a une Europe de la santé – si je veux travailler en dehors de l’Europe, comment cela se passe ?

David-Emmanuel Picard – Je vais distinguer deux choses, pour le médecin et pour le patient. Pour le patient d’abord, effectivement c’est une question. Les frontières sont ouvertes et tout patient peut être amené à avoir besoin de soins en France, donc en général, il y a des conventions bilatérales entre les États. Par exemple, j’en veux pour preuve les patients ukrainiens qui sont d’office inscrits à l’ACMU, donc ils ont une prise en charge de base pour tous les soins…

Benjamin Davido – Et complémentaires.

David-Emmanuel Picard – Et complémentaires, exactement, dans le cadre de l’Union européenne. Il y a eu une convention Union européenne et Ukraine, donc ça, c’est possible.

Pour le reste, il y a par exemple des conventions bilatérales entre les États. L’idée est quand même de se rapprocher quand on fait un voyage de l’ambassade des pays réciproques (et surtout de ne pas hésiter à rajouter des frais pour des contrats de couverture privée).

Benjamin Davido – Parce qu’il n’y aurait rien de pire que les gens soient malades et ne consultent pas.

David-Emmanuel Picard – Exactement. Pour ce qui est des praticiens pour la question européenne, le diplôme d’un État européen est reconnu dans un autre État européen. Évidemment, si un jeune confrère voulait s’installer, il convient évidemment qu’il se tourne vers l’ambassade, ou consulat, pour vérifier les modalités d’inscription à l’ordre du tableau, etc. C’est la même chose pour les avocats. Par contre, pour ce qui est de l’installation éventuelle de praticiens hors Europe, encore une fois, il faut vérifier auprès des États en question s’il y a des conventions bilatérales et notamment à l’Ordre des médecins, dont voici le lien pour ce sujet.

Benjamin Davido – Oui, absolument. Et, d’ailleurs, pour nos collègues francophones qui nous écoutent, je crois qu’au Canada il y a une convention qui existe et qui est assez bien huilée, parce qu’on sait que souvent les Français sont frileux – sans mauvais jeu de mots – de venir à la période hivernale.

En pleine période de vacances, tout ceci nous ouvre des perspectives. Et j’espère qu’on aura l’occasion de débattre à nouveau de cette santé à l’échelle presque mondiale, puisqu’aujourd’hui on voit que ces maladies infectieuses frappent à nos portes et on réalise qu’on n’a qu’une vie et qu’une santé. Je te remercie beaucoup, David. C’était très clair et passionnant.

David-Emmanuel Picard – Merci, Benjamin. À bientôt!

 

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