Urgences cardiovasculaires et SCA : état des lieux et propositions du CNCH

Dr Franck Albert, Dr Walid Amara

Auteurs et déclarations

27 juin 2022

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

« D’ici 10 ans, y aura-t-il suffisamment de combattants pour prendre en charge les urgences cardiovasculaires face à des unités de soins intensifs qui sont déjà en difficulté ? » Dans le cadre du partenariat Medscape & Collège National des Cardiologues des Hôpitaux (CNCH) , le Dr Franck Albert et le Dr Walid Amara font le point sur l’état des lieux de la prise en charge des syndromes coronariens aigus en France et avancent les propositions du CNCH.

TRANSCRIPTION

Walid Amara – Bonjour et bienvenue dans cette vidéo Medscape. Je suis Walid Amara et j’ai l’énorme plaisir d’avoir avec moi Franck Albert, président du CNCH, qui a été invité à l’Académie de médecine pour parler du syndrome coronaire aigu (SCA). Explique-nous pourquoi tu as été invité ?

Franck Albert – Bonjour, Walid. Cela été un grand honneur pour moi, effectivement, d’être invité à l’Académie de médecine par le Pr Spaulding qui est responsable d’un travail qu’il doit rendre en 2023 sur l’état des lieux de la prise en charge des urgences cardiovasculaires et notamment les SCA, et surtout le futur face à la démographie médicale qui est en berne.

Comme tu le sais, on a actuellement 180 cardiologues formés par an alors que 220 partent à la retraite, donc il y a déjà un delta de 40 cardiologues. L’infarctus du myocarde reste la première cause de mortalité en France chez la femme, la deuxième chez l’homme. Il est vrai qu’on a beaucoup amélioré les choses depuis 25 ans, on a actuellement une mortalité hospitalière qui est à 3,4 %, mais elle reste quand même à 10 % au bout d’un an. Il y a des enjeux avec des centres de coronarographie : il y en a 195 en France et il faut les faire fonctionner, et on est un peu inquiet. D’ici 10 ans, y aura-t-il suffisamment de combattants pour prendre en charge ces urgences cardiovasculaires face à des unités de soins intensifs qui sont déjà en difficulté ?

 
D’ici 10 ans, y aura-t-il suffisamment de combattants pour prendre en charge ces urgences cardiovasculaires face à des unités de soins intensifs qui sont déjà en difficulté ?
 

Walid Amara – Comment cela se passe-t-il aujourd’hui ? C’est-à-dire, comment se répartit l’activité de prise en charge du syndrome coronaire aigu en France ?

Les centres coronarographie en France

Franck Albert – Actuellement, on est plutôt bien positionné. On entend parfois « il y a trop de centres de coronarographie en France ». En fait, pas du tout : 95 % de la population est actuellement à moins d’une heure d’un centre de coronarographie. Tu sais que cela fait partie des recommandations européennes : il faut intervenir très tôt, c’est une course contre la montre et on a à peu près 60 000 infarctus – et non pas 100 000, comme on entend parfois dans le grand public – et c’est vraiment 60 000 infarctus qui vont bénéficier d’un stent. Et on a une augmentation depuis 10 ans de 5 % par an. Donc cela augmente, avec une mortalité qui reste élevée.

Si on regarde la carte nationale, le CNCH, c’est 46 % des séjours (donc c’est le premier acteur en termes de prise en charge des SCA), 27 % pour les CHU et 27 % pour le privé. Et de manière globale, 86 % de la population est à moins d’une heure d’un centre de coro du CNCH. Donc on a un rôle majeur avec 195 centres de coro en France : on en a 84 au CNCH, 38 aux CHU et 73 dans le privé. On a donc un rôle important.

Une réforme vient d’apparaître avec un seuil minimal de 400 angioplasties par an dans nos centres. Quand on regarde, nous, la qualité de nos centres, on voit que quasiment tous – sauf un qui est un hôpital militaire à Paris – sont en deçà des 400, mais tous nos centres sont largement au-dessus du seuil et répondent vraiment à un besoin départemental avec un maillage territorial pour bien soigner l’ensemble de la population française. Et cela est conforté par le registre France PCI national où pour 46 centres sur les 200 qui sont dans ce registre, on en a déjà 17 qui sont du CNCH et on voit bien qu’on a des centres de qualité, qu’on a une mortalité qui est équivalente à celle notamment des CHU pour les patients, y compris tout venant et y compris les états de choc ; on a un délai d’accès à une salle de coronarographie qui est correcte, parfois un peu plus longue dans nos centres parce qu’il y a une population rurale, on a parfois des patients qui sont éloignés avec des régions très disparates où on peut encore améliorer les choses, et il faudra probablement refaire les campagnes comme on l'avait fait dans le temps sur le tabac, sur le réflexe 15 – tu sais, dans le métro on parlait « appelez le 15, n’allez pas de vous-même aux urgences. » Donc je pense qu’il faudra refaire ces campagnes pour, effectivement, améliorer les choses.

Une démographie cardiologique en berne

Walid Amara – Je pensais que c’était super branché d’être en cardiologie interventionnelle, mais d’après ce que je vois, la démographie n’est pas simple et on manque peut-être de cardiologues interventionnels.

 
En France, on a 1340 PH sur les 7000 cardiologues, donc on manque de cardiologues hospitaliers.
 

Franck Albert – Oui, tu as raison. Actuellement, on manque déjà de cardiologues, il y a des délais de consultation standards – il faut 50 jours dans certaines régions comme la nôtre, parfois c’est 4 à 6 mois, y compris dans le privé. Donc on a des délais qui se rallongent. En France, globalement, on a 1340 PH sur les 7000 cardiologues, donc on manque effectivement de cardiologues hospitaliers. Et quand on fait une enquête auprès des jeunes, comme on l’a fait récemment, on voit que chez les 120 jeunes (de moins de 35 ans) qui nous ont répondu, trois choses arrivent sur le podium :

  1. l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée,

  2. le plateau technique complet. C’est-à-dire que les gens veulent travailler dans les équipes nombreuses, avec de la coro et avec de la rythmologie interventionnelle, en fonction de la nature des pathologies concernées,

  3. et il y a aussi un phénomène sur la rémunération et sur le fait de ne pas avoir trop de contraintes de garde.

En cardiologie interventionnelle, qui est une surspécialité qui va demander deux ans de plus, comme la rythmologie interventionnelle, on s’aperçoit pour la première fois (en novembre 2021 avec la réforme de l’internat) que sur 46 postes il n’y en a que 29 jeunes qui ont choisi l’option coro. Donc il en manque déjà une quinzaine. Cela veut dire qu’au bout de trois années, on aura une promotion en moins et on aura vraiment des centres de coronarographie qui, actuellement au niveau du CNCH fonctionnent avec trois angioplasticiens, ne pourront plus fonctionner. Ce sera vraiment une perte de chance pour les patients. Et pourquoi ils ne choisissent pas ce domaine ? Parce qu’il y a l’astreinte 24 h sur 24, il y a les week-ends ; quand on est trois ou quatre ou en vacances, quelquefois on tient la semaine tout seul, donc ce n’est pas facile. Il y a une vraie réflexion à avoir et c’est pour cela qu’il faut qu’on fasse des propositions.

Walid Amara – Effectivement, ce n’est pas évident. Avoir un week-end sur quatre et pendant les vacances quasiment un week-end sur 2… et vous vous déplacez (je peux en témoigner : dans mon centre, mes pauvres cardiologues interventionnels, on les déplace quasiment une astreinte sur deux, des fois plusieurs fois dans la même nuit), donc c’est vrai que ce n’est pas évident et que, effectivement, pour remplacer un cardiologue il en faudrait quasiment deux aujourd’hui, parce que les jeunes ne veulent pas travailler jusqu’à 20h ou 21h, quelque chose que peut-être les anciens faisaient.

Je ne suis pas un défenseur de la réforme actuelle parce qu’elle ne donne pas de souplesse. Avant, on pouvait commencer comme cardiologue, puis à un moment donné on pouvait évoluer plus facilement dans une surspécialité en passant un diplôme interuniversitaire. J’espère que les diplômes interuniversitaires seront maintenus pour permettre à des vocations d’apparaître, parce qu’on a le droit, au bout de deux ans, de se dire « finalement je vais faire autre chose. » Et cela peut expliquer pourquoi les jeunes n’ont pas voulu s’inscrire tout de suite et se lier avec la cardiologie interventionnelle.

Les propositions du CNCH

Walid Amara – Je sais que le Livre blanc va sortir en novembre, mais faisons un peu de teasing : est-ce que le CNCH a des propositions, par exemple pour les jeunes, pour la cardiologie et notament la cardiologie interventionnelle ?

Franck Albert – Oui. On est en train de finaliser les choses. On est dans une phase avec des propositions fortes et c’est vrai que pour améliorer le syndrome coronarien aigu, on a plusieurs propositions :

- il faut déjà un accès aux soins pour tous les territoires, ce qui me paraît normal, avec des plateaux techniques complets. C’est comme cela qu’on a eu trois autorisations nouvelles sur la France en 2021-2022 : il y a Cherbourg, Chalon-sur-Saône (qui était un projet qui date déjà de 3-4 ans) et Cholet. Donc c’est bien parce que cela veut dire que ce sont des centres qui vont avoir des plateaux techniques complets et qui ont plus de chance de recruter des cardiologues pour fonctionner.

-  on peut avoir des systèmes partagés avec des groupements de coopération sanitaire, avec une gouvernance qui est efficiente.

- il faut absolument améliorer le parcours avec, notamment, le réflexe 15, et cela va de l’appel du SAMU jusqu’à la réadaptation cardiovasculaire. On ne développe pas assez la réadaptation cardiovasculaire qui peut aussi faire de la prévention primaire chez ces patients.

- il faut qu’on ait des propositions fortes sur l’attractivité : alors cela passe forcément par l’augmentation du numerus clausus qui n’est pas suffisant actuellement. Il faut plus de DES. Comme tu le dis, il faut aussi pouvoir importer des médecins, notamment de l’étranger – c’est le cas, actuellement, avec les concours type PAE ou PADHUE. Ces médecins sont un peu la soupape de sécurité pour nos hôpitaux. Il faut qu’ils aient accès aux diplômes interuniversitaires pour bien les former. Donc c’est très important de pérenniser les diplômes interuniversitaires, notamment dans les trois options d’expertise qui sont l’imagerie, avec le coroscanner et l’IRM, la coronarographie avec la cardiologie interventionnelle – parce que ce sont des diplômes où l’enseignement est très bien fait – et la rythmologie interventionnelle.

- On incite aussi nos collègues du CHU à partager un peu plus les docteurs juniors : globalement sur deux années de docteur junior, on estime que 50 % en CH et 50 % en CHU c’est un bon deal, parce que quand les jeunes sont venus en tant que docteurs juniors dans le service, ils peuvent, après, être intéressés pour s’installer et rester dans la région, parce qu’ils sont souvent attirés par la mer ou le sud et donc c’est important de les laisser.

- Et puis on pense qu’il y a un gros progrès à faire avec tout ce qui est délégation de tâches pour que les cardiologues soient vraiment investis dans les tâches prioritaires. Il y a des choses qu’on peut probablement déléguer à des infirmières formées – je pense notamment au suivi de l’insuffisance cardiaque, au suivi des patients qui ont une prothèse cardiaque ou qui sont sous télésurveillance dans le cadre d’une insuffisance cardiaque, et à nos IPA qui peuvent aussi prendre en charge toutes les pathologies chroniques cardiovasculaires, l’hypertension artérielle, et aussi des suivis de syndrome coronarien aigu, pour voir si le LDL-cholestérol est bien inférieur à 0,55, voir s’il faut prescrire des inhibiteurs des PCSK9, etc.

- Il y a probablement, aussi, des choses à faire pour valoriser la rémunération, les prix multisites, parce qu’on pourrait imaginer, finalement, qu’un cardiologue qui travaille dans le privé ou à l’hôpital public puisse avoir des salaires équivalents avec, notamment, des gardes qui soient rémunérées de manière équivalente. Cela nous paraît logique.

Walid Amara – Je retiens qu’effectivement les jeunes, quand on en discute avec eux, adorent venir à l’hôpital pour avoir le contact avec leurs collègues de travail en équipe – je pense qu’on le voit également à l’échelle du CNP, ce n’est pas segmenté, on travaille tous ensemble – et qu’effectivement un cardiologue hospitalier peut avoir une activité libérale ; et donc il restera plus facilement à l’hôpital s’il a une activité libérale et qu’on lui permet d’avoir plus de temps consacré à cette activité libérale. Moi, je vois qu’à chaque fois qu’un praticien hospitalier a fait de l’activité libérale, il a été encore plus présent dans le service, donc tout le monde est gagnant – cela fait plus de consultations, plus de patients qui sont pris en charge et de service à la population, et cela évite que ces talents aillent uniquement vers une clinique et restent également à l’hôpital.

Merci Franck, merci à l’audience d’avoir été avec nous. Je suis impatient de voir la dernière mouture du livre blanc du CNCH ! Vous êtes, bien entendu, invités à nous rejoindre lors de notre congrès national qui sera cette fois-ci sur trois jours, du mercredi 23 au vendredi 25 novembre à Paris. À bientôt à tous !

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