Congrès SFMU : focus sur les bénéfices de l’oxygénation haut débit et de la ventilation protectrice

Dr Nicolas Marjanovic, Pr Dominique Savary

Auteurs et déclarations

21 juin 2022

Le Pr Dominique Savary interroge le Dr Nicolas Marjanovic sur les recherches récentes sur l’oxygénation haut débit (COVID-19, BPCO, œdème pulmonaire, SDRA… ) et la ventilation protectrice, en direct du congrès Urgences (SFMU) 2022 .

TRANSCRIPTION

Dominique Savary — Bonjour, je suis Dominique Savary, je travaille au département de médecine d’urgence du CHU d’Angers et je suis très heureux de retrouver le Dr Nicolas Marjanovic de Poitiers. Nous nous retrouvons juste après le congrès Urgences 2022 pour évoquer les différents topos que vous avez présentés sur l’oxygénation [1] et la ventilation. [2]

L’intérêt de l’oxygénation haut débit : COVID-19, BPCO, œdème pulmonaire, SDRA

Dominique Savary — Je propose tout d’abord de revenir sur le sujet de l’oxygénation haut débit. Pouvez-vous nous rappeler les recommandations actuelles et peut-être nous parler de la grande étude FLORALI qui a eu lieu dans votre CHU ?

Nicolas Marjanovic L’oxygénothérapie haut débit est une technique qui a déjà quelques années et il n’y a pas véritablement de recommandations sur son utilisation d’urgence, mais ce qu’on sait, c’est que dans les services de réanimation, chez les patients qui sont en insuffisance respiratoire hypoxémique de novo, cela a été associé à une diminution de la mortalité par rapport à un traitement par ventilation non invasive ou oxygénothérapie conventionnelle. Sur les services des urgences, on a essentiellement une amélioration des paramètres cliniques — il n’y a encore rien qui a été démontré sur le plan pronostique.

 
Chez les patients en insuffisance respiratoire hypoxémique de novo, l’oxygénothérapie haut débit a été associée à une diminution de la mortalité vs un traitement par VNI ou oxygénothérapie conventionnelle. Dr Nicolas Marjanovic
 

Dominique Savary — Nous avons a été amenés à beaucoup utiliser l’oxygénation haut débit pendant cette crise COVID, en particulier dans les services d’urgence. Quel a été l’apport de cette stratégie au cours de la crise qui nous occupe encore aujourd’hui, mais qui a été très importante depuis 2 ans ?

Nicolas Marjanovic Il y a eu un gros doute sur l’intérêt de son utilisation en début d’épidémie, parce qu’il y avait la peur de la contamination du personnel soignant à cause de l’aérosolisation des virus. Ce qu’on a pu voir au fur et à mesure de l’évolution de l’épidémie, c’est que cela a permis de sauver un grand nombre de malades, notamment en limitant le recours à l’intubation qui avait été associée à un effet délétère pour les patients COVID.

Dominique Savary – D’accord. Très intéressant. Vous avez évoqué des études sur lesquelles vous avez travaillées sur l’oxygénation haut débit, en particulier dans l’œdème aigu du poumon [3] : que pouvez-vous nous dire sur l’intérêt de cette stratégie par rapport à la CPAP [Continuous Positive Airway Pressure ou ventilation spontanée avec pression positive continue] et à la ventilation non invasive (VNI) à deux niveaux de pression par exemple ?

Nicolas Marjanovic – Ce qu’il faut bien se rendre compte, c’est que la ventilation non invasive est le traitement recommandé dans la décompensation cardiaque et dans l’œdème aigu du poumon, notamment aux urgences, sauf que c’est un traitement qui peut être mal toléré chez 5 à 15 % des patients. Le problème de tolérance est souvent associé à l’échec du traitement. On sait que l’oxygénothérapie haut débit est un traitement qui est beaucoup mieux toléré que la ventilation non invasive et, en soi, cela pourrait constituer une alternative chez les patients qui sont intolérants ou pour qui le confort est très faible sous ventilation non invasive. Ce qu’on a pu démontrer, notamment avec un travail mené avec l’équipe des urgences de Montpellier, avec le Pr Mustapha Sebbane, [3] c’est que chez les patients en OAP les plus sévères avec une insuffisance respiratoire hypercapnique, cela était associé à une amélioration clinique et à une normalisation de leur gazométrie, et de manière à peu près similaire à ce qu’on pouvait observer sous ventilation non invasive.

 
L’oxygénothérapie haut débit est un traitement qui est beaucoup mieux toléré que la ventilation non invasive et cela pourrait constituer une alternative chez les patients intolérants. Dr Nicolas Marjanovic
 

Dominique Savary — Parfait. Donc ce qui était aussi très intéressant dans la présentation que vous avez faite, c’est que vous avez commencé à nous parler d’oxygénation haut débit avec l’hypercapnie. [1] Est-ce qu’au-delà de l’œdème aigu du poumon on a de l’argumentaire sur des patients BPCO ou sur ceux chez qui jusqu’à présent on n’osait pas l'utiliser ?

Nicolas Marjanovic — Il y a assez peu d’études mais quelques travaux chez les patients qui sont en BPCO stabilisée qui montrent des effets plutôt bénéfique. Il y a une étude italienne []qui s’est intéressée aux patients en exacerbation de BPCO, qui l’a comparée à la ventilation non invasive, et qui retrouve également des résultats similaires. Malgré tout, il y a encore assez peu d’études. À mon avis, c’est un traitement qui est prometteur dans cette indication, dans l’hypercapnie en général et comme pour l’OAP, comme ce que j’ai dit précédemment, très probablement chez les patients qui sont intolérants à la ventilation non invasive. C’est probablement chez ces patients que l’oxygénothérapie à haut débit aura le plus d’intérêt et le plus d’efficacité.

Dominique Savary – Donc quand on se retrouve à l’urgence avec un patient qui a une détresse respiratoire, cela vous paraît très licite qu’on puisse commencer, par exemple, avec de l’oxygénation haut débit avant d’avoir des résultats de gazométrie, de radio, etc., quitte à éventuellement changer la stratégie secondaire ? Finalement, de beaucoup utiliser cette technique dans les services d’urgence, est-ce que cela les sauve ?

Nicolas Marjanovic — Cela les sauve très probablement. À mon sens, c’est un traitement qu’il faut utiliser précocement. À partir du moment où on a un patient qui est en détresse respiratoire aiguë (SDRA), il va falloir envisager assez rapidement ce traitement en attente d’examens complémentaires qui pourraient orienter sur une autre thérapeutique type ventilation non invasive ou ventilation invasive.

 
À partir du moment où on a un patient qui est en détresse respiratoire aiguë, il va falloir envisager assez rapidement ce traitement en attente d’examens complémentaires. Dr Nicolas Marjanovic
 

Dominique Savary — Oui, donc j’imagine qu’on va le mettre en place, en plus des traitements conventionnels de la pathologie qui nous intéresse. Mais quels seraient pour vous les marqueurs de réussite de cette oxygénation haut débit ? Sur quels indicateurs va-t-on se dire « ma stratégie fonctionne, le patient va mieux. » ? Comment peut-on le voir ?

Nicolas Marjanovic — C’est avant tout sur les paramètres cliniques qu’on va juger de l’efficacité du traitement. Comme pour tout support ventilatoire ― parce que l’oxygénothérapie à haut débit est un support ventilatoire ― il va falloir réévaluer très régulièrement le patient et, notamment, le réévaluer à 1 h. On peut le réévaluer sur le plan de la gazométrie aussi. Ce qui peut être intéressant, c’est de rechercher des facteurs qui sont associés à l’échec du traitement. Il y a plusieurs scores qui ont été évalués, notamment le ROX Index, qui, à mon avis, est un score tout à fait intéressant qui peut parfaitement être utilisé aux urgences et qui peut être associé à l’échec ou à la réussite du traitement, ce qui permet de faire évoluer la stratégie thérapeutique chez ces patients.

Dominique Savary — Si je vous comprends bien, un patient qui a une détresse respiratoire, on lui fait son ROX Index et parfois on s’aperçoit que, finalement, la stratégie n’est pas la bonne, qu’il faut peut-être l’intuber tout de suite, ce serait cela ?

Nicolas Marjanovic — Exactement.

Dominique Savary – D’accord. Et le marqueur « fréquence respiratoire », c’est un bon marqueur d’amélioration du patient ou ce n’est pas suffisant ?

Nicolas Marjanovic – Le ROX Index intègre la fréquence respiratoire, la FiO2 la SpO2. La fréquence respiratoire reste un excellent marqueur pour évaluer la gravité des patients, ce n’est pas le seul marqueur qui a été utilisé pour évaluer l’échec du traitement, mais cela reste un marqueur à évaluer et à réévaluer très régulièrement.

La ventilation protectrice

Dominique Savary – D’accord. Donc si on est amené, parce que le patient est trop grave et que le ROX Index nous indique qu’il est plutôt à recours d’intubation et de ventilation mécanique, quelles sont vos recommandations ? Parce que c’était une deuxième intervention que vous avez faite au cours du congrès sur la ventilation protectrice. [2]

Nicolas Marjanovic — D’une part, la ventilation protectrice a déjà quelques années, que cela soit aux urgences ou ailleurs. Elle doit être mise en place pour l’ensemble des patients qui nécessitent une ventilation mécanique invasive — je n’insisterai jamais suffisamment là-dessus. Ce sont essentiellement des paramètres de réglage avec en premier lieu le volume courant, plutôt à 6 ml/kg de poids idéal théorique — on parle bien du poids sec qui va se calculer en fonction de la taille du patient ; c’est une pression expiratoire positive chez la quasi-totalité des patients qui est au moins à 5 cmH2O, une FiO2 qui est contrôlée pour éviter l’hyperoxie des patients, et c’est aussi le monitorage — notamment aux urgences — de la pression de plateau, qui doit être inférieure à 28 cmH2O.

Dominique Savary — Donc que les urgentistes s’approprient la technique de savoir mesurer la mécanique respiratoire de leurs patients, c’est quelque chose d’important.

Nicolas Marjanovic – C’est fondamental. Alors, c’était très difficile il y a quelques années parce que les ventilateurs mécaniques dont on disposait aux urgences ne permettaient pas de le faire facilement. Maintenant, avec les nouveaux matériels, c’est assez simple à faire, donc il faut véritablement le faire.

Dominique Savary – D’accord. Mesurer la résistance, compliance, pour exactement avoir une idée de base de notre patient et savoir vers quoi on va aller.

Nicolas Marjanovic — Tout à fait.

Dominique Savary — Merci grandement pour toutes ces informations qui sont récentes, qui vont intéresser un grand nombre d’urgentistes. Je vous dis à bientôt sur Medscape France.

 

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